3321-Face à Mélenchon les socio-démocrates sont ils condamnés ?
François Hollande et Franz-Olivier Giesbert : «Face à Mélenchon, les sociaux-démocrates sont-ils condamnés à disparaître?»
-
propos recueillis par Alexandre Devecchio et Eugénie Boilait, pour Le Figaro Magazine - novembre 2024
ENTRETIEN - Devant les lecteurs du Figaro Magazine, nous avons réunis l’ancien président de la République et le journaliste pour discuter de l’avenir de la gauche et de la France.
Le Figaro Magazine - Qu’est-ce qu’être de gauche aujourd’hui?
François Hollande. - La gauche a une histoire, celle de la conquête des libertés. Avant même qu’elle ne s’empare de la question sociale, cette cause a été son premier mouvement. Elle a fait accoucher la République de droits nouveaux. En ce sens l’affaire Dreyfus a été un moment fondamental dans la formation de l’identité de la gauche. Ensuite elle s’est attachée à vouloir répartir différemment les richesses et le pouvoir au sein de la République comme au sein de l’entreprise et de la société. C’est cette volonté d’égalité qui la définit sans doute le mieux alors qu’elle s’est fondée sur le principe de liberté.
Franz-Olivier Giesbert, vous avez tendance à dire que vous êtes de «droiche» ou de «drauche», ni tout à fait à droite, ni tout à fait à gauche. Est-ce que le clivage droite/ gauche a encore un sens?
Franz-Olivier Giesbert. - Pas aujourd’hui, alors que nous sommes condamnés aux trois blocs à l’Assemblée nationale, ce qui, à l’évidence, ne fonctionne pas: nous n’avons pas de majorité et nous ne pouvons pas avancer. À un moment donné, on retombera sur nos deux pieds comme dans toutes les démocraties quand elles marchent, c’est-à-dire sur une alternance gauche-droite.
Franz-Olivier Giesbert. -Au départ, résumé facile, la gauche, c’était la redistribution et la droite, la production. Mais la gauche a changé en balançant par-dessus bord une grande partie de son héritage. L’historien Jacques Julliard demandait, dans son ouvrage Comment la gauche a déposé son bilan: «Pourquoi avoir stupidement assuré à l’extrême droite cette extraordinaire rente de situation qui lui permet de se présenter en défenseurs essentiels de deux droits essentiels que sont la sécurité et l’identité?» À ces valeurs, on peut ajouter la laïcité et le travail qui ont aussi été abandonnés par la gauche.
On ne sait plus ce qu’est la gauche, et il est temps qu’elle se repense. Elle a voulu «dépasser» la social-démocratie mais elle ne l’a remplacée par rien d’autre, sinon une marmelade idéologique que représente bien ce groupe grotesque de l’Assemblée nationale, le Nouveau Front populaire, composé d’escrologistes, d’islamo-gauchistes, de LFIstes déjantés ou zadifiés et de bons sociaux-démocrates qui comptent les points. Il y a un travail considérable à mener, en se réinventant et en relisant les classiques comme Jaurès.
«Si François Mitterrand n’avait pas pris le dessus sur Georges Marchais et le parti communiste, il n’y aurait pas eu la victoire de 1981.» François Hollande
François Hollande. - La gauche, depuis sept ans, est dominée par une aile plus radicale. Pourtant, jusqu’en 2017, elle était menée par l’aile réformiste, socialiste ; or, c’est la dynamique de cette dernière qui permet l’accès au pouvoir. Si François Mitterrand n’avait pas pris le dessus sur Georges Marchais et le parti communiste, il n’y aurait pas eu la victoire de 1981. Si Lionel Jospin n’avait pas montré, avec la gauche plurielle, que c’était le bloc socialiste qui était le plus robuste, et si moi-même, face à Jean-Luc Mélenchon, je n’avais pas fait 28 % au premier tour, il n’y aurait pas eu de victoire. La gauche radicale, quoi qu’on en pense, n’est pas en état de devenir majoritaire. Et ce, dans aucun pays européen.
La social-démocratie doit donc se définir: elle ne peut pas être simplement une gauche de gouvernement face à une droite concurrencée par son extrême ou une expression de sagesse face à une radicalité de circonstance. Elle doit apparaître pour les solutions qu’elle peut offrir au pays. Et pour ce faire, relever de nombreux défis. Nous ne sommes plus au temps de Jaurès où la passion de la liberté s’ajoutait à l’appropriation des moyens de production dans une économie fermée. Les réalités sont tout autres aujourd’hui. La mondialisation s’est imposée, la construction européenne aussi, la planète est menacée par le réchauffement. Ce qui justifie des compromis, des alliances, des coalitions, y compris avec les États-Unis. Et je n’oublie pas le terrorisme islamiste ou la lutte contre le narcotrafic, ce qui suppose d’avoir des lois pour y faire face.
C’est en ce sens que Julliard nous rappelle utilement que si une partie des classes populaires a glissé vers les extrêmes, c’est pour être davantage protégées de tout ce qui les inquiétait. C’est souvent la peur, celle du déclassement comme des désordres du monde. La réalité vécue par ces classes populaires n’a pas été suffisamment prise en compte. Or, la politique doit répondre à ces interrogations simples: qui sommes-nous? Où allons-nous? Est-ce que la nation a encore un sens?
Le socialisme est certes un internationalisme - nous devons être ouverts et l’Europe fait partie de notre perspective - mais nous devons également donner à la social-démocratie une définition. Ici, en France, le socialisme ne s’est pas historiquement construit à partir du mouvement syndical ou de l’organisation de la classe ouvrière, mais à partir de la République. En ce sens il fait largement appel à l’État et à la puissance publique, au moment même où il est épuisé financièrement et alourdi administrativement. D’où l’enjeu de la réforme de l’État et l’appel aux partenaires sociaux et à la société civile. La bipolarisation gauche-droite donnait une sorte de stabilité institutionnelle et les clivages qui existaient accouchaient d’une culture démocratique qui se transmet de génération en génération. Aujourd’hui, il y a une sorte de défaillance idéologique et de confusion politique, qui fait que nos citoyens sont désemparés.
Pourquoi, d’après vous, l’affaire Dreyfus a-t-elle constitué un tournant pour la gauche?
François Hollande. - C’est un tournant car se sont révélées deux gauches. Une gauche plus radicale, voire insurrectionnelle qui affirmait que l’enjeu majeur était celui de l’émancipation du prolétariat et que le combat était exclusivement social. Dans cette perspective, le cas de Dreyfus, ce capitaine juif sans doute innocent, ne pouvait pas être selon Jules Guesde un sujet de mobilisation, alors que Jean Jaurès faisait de Dreyfus le symbole de l’humanité souffrante et plaidait pour la justice et le droit.
Une question s’est alors posée aux socialistes à ce moment-là: fallait-il gouverner et participer au cabinet de Waldeck-Rousseau, cet éminent républicain, qui cherchait à régler la question qui divisait le pays? Un socialiste (Alexandre Millerand) a alors accepté d’y siéger, provoquant de véritables cris d’orfraie du côté de Guesde et de ses partisans. Mais Jaurès est resté inflexible en déclarant que l’urgence de sauver la République devait l’emporter sur toute autre exigence.
Franz-Olivier Giesbert. - Il faut rappeler que Guesde incarnait la tradition antisémite d’une certaine gauche dans laquelle on trouvera ensuite Déat et les socialistes passés au collaborationisme.
«L’antisémitisme en France revient en force, mais pas par la droite ou l’extrême droite. Par l’extrême gauche !» Franz-Olivier Giesbert, journaliste
François Hollande. - L’antisémitisme était présent dans la classe ouvrière. Même Jaurès au début de l’affaire Dreyfus formule des déclarations malheureuses. Il s’est empressé de les corriger. Quant à Guesde qui avait combattu le ministérialisme, il s’est retrouvé en 1914 dans un gouvernement d’union sacrée avec Deny Cochin, un historien proche de l’Action Française. La radicalité est souvent une posture de circonstance. L’opportunisme ne lui est pas étrangère.
La question de l’antisémitisme de gauche fait-elle son grand retour avec une frange du NFP qui refuse de qualifier le Hamas de terroriste ou qui refuse de participer à une marche contre l’antisémitisme?
Franz-Olivier Giesbert. - C’est une évidence. L’antisémitisme en France revient en force, mais pas par la droite ou l’extrême droite. Par l’extrême gauche! À la fin du XIXe siècle et pendant une partie du XXe, elle expliquait déjà les crises ou les problèmes du monde par les agissements d’une mafia juive et de sa «domination financière», comme l’a dit récemment un ancien premier ministre. C’est une réalité qu’il faut regarder en face. Or, j’ai le sentiment que la gauche réformiste, en partie incarnée par François Hollande, refuse de le faire. N’ayons pas peur de le dire, il s’agit là d’une stratégie bassement électorale pour récupérer les votes islamistes ou islamisants. Plusieurs députés LFI sortants ont au demeurant obtenu de gros scores quand ils n’étaient pas élus dès le premier tour, comme si leurs électeurs voulaient les remercier d’avoir tenu des propos antisionistes, voire antisémites. Apparemment, l’antisémitisme rapporte gros dans ce que M. Mélenchon appelle les «quartiers populaires».
«Il y a toujours eu deux gauches en France.» François Hollande
Le problème de la gauche réformiste, donc de François Hollande, c’est qu’elle apparaît aujourd’hui comme un appendice de la coalition LFI-escrologistes. Les socialistes ne pourront jamais compter sur ces derniers, car ils vivent dans un univers islamo-gauchiste de fantaisie: il suffit de voir comment ils gèrent leur ville!
François Hollande, est-ce qu’il y a deux gauches «irréconciliables»? Et n’y a-t-il pas un paradoxe à s’être allié à cette gauche antisémite pour faire barrage au RN?
François Hollande. - Il y a toujours eu deux gauches en France. C’est ce que j’évoque tout au long de mon livre. Une gauche révolutionnaire ou à tout le moins intransigeante, qui a longtemps été représentée par le parti communiste - et une gauche réformiste, attachée aux libertés. La scission du congrès de Tours en est la traduction concrète au moment où l’alignement sur l’Union soviétique ouvre un débat qui ne s’est peut-être jamais refermé. Lorsque Mitterrand fait l’union avec le Parti communiste en 1972, nombreux sont ceux qui se demandent ce qu’il va faire dans cette aventure. Le Parti communiste, c’était 22 % des électeurs, un syndicat qui lui était très proche, des milliers d’adhérents et l’Union soviétique qui lui apportait son soutien. François Mitterrand fait un parti risqué. Mais c’était la seule stratégie permettant au Parti socialiste de devenir la première force au sein de la gauche. Quand se produit la rupture avec le Parti communiste en 1977, loin de disqualifier le Parti socialiste, elle l’installe comme la seule alternative possible. Et c’est pour cette constance qu’il gagne en 1981. Ce raisonnement vaut encore aujourd’hui.
Mais avec plusieurs différences majeures. Quand le Parti communiste agissait dans les quartiers populaires, il le faisait sur la question sociale, et jamais identitaire. Il ne faisait jamais référence à la religion, à une situation internationale qui appellerait des solidarités communautaires. Or, l’attitude électorale de LFI ces derniers mois a été de s’adresser aux quartiers populaires - ce qui est en soi nécessaire - en faisant de la Palestine la question centrale.
Avec la dissolution, l’union de la gauche était nécessaire car sinon le barrage face au RN n’aurait pas tenu bon. Les socialistes avec le mode de scrutin majoritaire à deux tours n’auraient pas pesé lourd en partant seuls. Toutefois, la prochaine échéance électorale, c’est la présidentielle et, de ce point de vue, le candidat ou la candidate social-démocrate sera libre de présenter comme il l’entendra son projet, et sera dispensé de fixer a priori des alliances.
Franz-Olivier Giesbert. - La gauche est descendue très bas. Rappelons qu’au premier tour des dernières législatives, elle ne recueillait qu’à peine plus de 28 % des suffrages. Même pas un tiers des voix! Si elle a obtenu beaucoup plus de députés que prévu, c’est grâce aux désistements réciproques pour le second tour avec les macronistes contre le RN, qui relevaient surtout de la magouille type IVe République.
Vous affirmez que, tactiquement, il n’y avait pas d’autre choix pour le PS que de s’unir. Que faites-vous du discours émanant de la gauche et affirmant la nécessité de conserver un cordon sanitaire avec l’extrême droite parce qu’elle est antisémite.
Existe-t-il donc un antisémitisme de gauche qui serait acceptable comme l’ont expliqué certains à gauche et un antisémitisme infréquentable à droite?
François Hollande. - L’antisémitisme n’a cessé de parcourir l’histoire de la France et il ressurgit et prend des formes différentes selon les situations. Il existe toujours un antisémitisme d’extrême droite, et je ne donne aucun blanc-seing. Mais il y a eu aussi un antisémitisme rampant à gauche, avec une confusion des juifs avec le pouvoir financier. Avec les puissants, ceux qui dominent! Aujourd’hui, c’est sur Israël qu’un antisionisme récurrent peut dériver en antisémitisme. Il doit être fermement combattu.
Je n’entends pas me déterminer par rapport à la LFI, mais par rapport à l’état du pays. Il se trouve que des citoyens de confession musulmane, ou d’autres dans les quartiers populaires peuvent être sensibles à des sujets extérieurs à leur cadre de vie mais il nous revient de les convaincre de l’utilité d’un vote pour la réussite de leurs enfants, pour la reconnaissance de leur travail et pour leur sécurité car ils sont les premières victimes des narcotrafics.
François Hollande, vous évoquez dans votre livre le Front populaire. Quel est le rapport entre ce dernier et le NFP? Est-ce que Jean-Luc Mélenchon est le nouveau Léon Blum?
Blum, sûrement pas. Thorez mais avec des petits moyens. Rien à voir avec le PCF de la grande période.
Si l’on veut faire une analogie entre les deux périodes historiques, il y a une situation intérieure similaire avec une poussée de l’extrême droite qui précède l’avènement du front populaire, d’où le bloc que doit constituer la gauche malgré toutes ses disputes et ses conflits. Mais la différence majeure, c’est que le Front populaire disposait d’une majorité à la chambre des députés et que Blum n’avait donc pas d’autres choix que de gouverner. Et parce que le parti communiste veut favoriser l’avènement du Front populaire, il accepte de ne pas «participer». Jean-Luc Mélenchon a au contraire posé des conditions dans une situation où la gauche était minoritaire qui interdisaient au nouveau Front populaire de gouverner.
Autre différence majeure c’est qu’en 1936 un mouvement social s’est levé alors que rien de tel ne s’est produit aujourd’hui.
Et que penser de l’analogie avec les années 1930 et l’idée que l’on pourrait faire face à une nouvelle menace fasciste?
Franz-Olivier Giesbert. - Cette analogie a du sens même si la «menace fasciste» ne vient pas nécessairement de là où l’on croit. Du point de vue international, nous sommes plongés dans une marmite bouillonnante et, dans ces circonstances, l’union entre les sociaux-démocrates, les escrologistes et les éléfistes intimement poutinistes n’a aucun sens. Sur le plan intérieur non plus, car nous sommes au bord de l’abîme. Pour éviter la descente aux Enfers, il faut réparer le pays et, donc, s’attaquer aux vrais problèmes, ce que n’acceptera pas la gauche de la gauche qui les nient: le déraillement des comptes publics, l’immigration sans contrôle, l’affaissement de l’autorité, etc.
«C’est une imbécillité d’avoir fait croire aux Français, depuis 1981, et encore avec M. Macron, qu’il faut dépenser plus pour avoir de la croissance.» Franz-Olivier Giesbert, journaliste
Voyez la gauche social-démocrate en Allemagne avec le chancelier Scholz ou les travaillistes en Grande-Bretagne avec le premier ministre Starmer: tous mènent une politique réaliste et pragmatique, très loin du programme délirant du NFP avec au moins 100 milliards de dépenses supplémentaires. Ils ont compris qu’on a de la croissance qu’avec des finances assainies. C’est une imbécillité d’avoir fait croire aux Français, depuis 1981, et encore avec M. Macron, qu’il faut dépenser plus pour avoir de la croissance. Ça ne marche jamais, mais apparemment, la gauche n’apprend jamais!
François Hollande qui a fait HEC, connaît donc l’entreprise. Si on en est là, c’est parce qu’on a des dépenses publiques démentielles, un record du monde, à 56,6 % du PIB. C’est aussi parce que, pour les payer, on accable les entreprises de taxes, d’impôts: en France, par exemple, vous avez 7 fois plus d’impôts sur la production qu’en Allemagne! Et il y a encore, à l’extrême gauche, des inconscients qui osent dire qu’il faut dépenser plus alors qu’il faudrait repenser l’organisation! Nous sommes, par exemple, le pays qui dépense le plus pour les hôpitaux, désormais dirigés par des fonctionnaires. Et vous avez vu le résultat? Croyez-vous que tout s’arrangera avec plus d’argent? N’est-il pas temps de redonner du pouvoir à nos médecins et aux professions de santé, qui n’ont pas démérité?
François Hollande. - Aujourd’hui la première urgence, c’est le rétablissement de nos comptes: 6,2 % de nos déficits publics, c’est de l’endettement en plus et de la souveraineté en moins. Le gouvernement de Michel Barnier va procéder à des hausses d’impôts pour 2025. Les dépenses publiques vont encore progresser malgré des coupes discutables. La régulation encore modeste du déficit public annonce des choses douloureuses jusqu’en 2029! Sauf reprise bien aléatoire de la croissance ou réforme structurelle bien improbables. La seule question, c’est: sur quels ménages et quelles entreprises fera-t-on peser des prélèvements supplémentaires? Et comment repenser notre modèle social? Car dépenser plus ne réglera mécaniquement aucun problème, en matière de santé notamment. Car c’est l’organisation de l’État qui n’est plus adaptée.
Qu’est-ce que vous retenez de la période François Mitterrand, soit la première expérience de la gauche au pouvoir sous la Ve république? Est-ce que l’expérience socialiste et la crise dans laquelle nous sommes aujourd’hui n’avait pas commencé avec le tournant de la rigueur en 1983?
«La politique de rigueur de 1983 a sauvé la gauche en épargnant un désastre économique au pays.» Franz-Olivier Giesbert, journaliste
François Hollande. - Mitterrand voulait le pouvoir. Il avait tranché cette question dès 1965. Pour le conquérir, il lui fallait un parti, ce fut parti socialiste, il lui fallait une stratégie, ce fut l’alliance avec les communistes, et une incarnation, il l’a trouvée aisément, c’était lui. Il a ensuite hérité d’un programme qui n’était pas forcément le sien, mais qui était commun. Il a mené en 1981 des réformes majeures en quelques mois. Mais un an après, il a été confronté à la réalité et il a pour durer admis la nécessité de la rigueur budgétaire et de la compétitivité économique. Il les a acceptées pour préserver l’ancrage européen de la France et ne pas entrer dans une spirale d’endettement. Je considère que le tournant de 1983 donne ses titres non seulement de réformiste à Mitterrand mais de grand européen!
Franz-Olivier Giesbert. - Et, surtout, la politique de rigueur de 1983 a sauvé la gauche en épargnant un désastre économique au pays!
Est-ce qu’il y a quelque chose de François Mitterrand en François Hollande?
Franz-Olivier Giesbert. - Oui, il veut le pouvoir, comme tous les sociaux-démocrates qui appartiennent à ce qu’on appelle à la gauche de gouvernement. Mais Jean-Luc Mélenchon veut aussi le pouvoir et a, pour le conquérir, une vraie stratégie que les médias ne semblent pas comprendre. Il a construit quelque chose de cynique, électoralement parlant, mais de puissant en affermant le vote immigrationniste ou islamiste, ce qui lui fait une base de départ de 8 à 10%. Ensuite, vous le verrez, à l’approche de la prochaine présidentielle, il tentera, avec son charisme, de récupérer des voix à droite ou au centre.
François Hollande. - Mélenchon veut le pouvoir sur la gauche, pas sur la France. Il veut arriver au second tour de l’élection présidentielle pour créer un affrontement entre «eux» - l’extrême droite et le puissant - et «nous» - le peuple. Il n’y a donc aucune perspective de victoire possible en France pour Jean-Luc Mélenchon. Ce qu’il peut en revanche c’est par sa présence empêcher la gauche réformiste d’accéder au pouvoir. À elle d’être la plus forte.
«La France n’est pas une addition de minorités. La gauche républicaine doit faire en sorte que tous les combats, louables sur le plan des droits des personnes ou des groupes, confortent l’unité du pays.» François Hollande
On reproche à Mélenchon sa stratégie clientéliste notamment à l’égard des banlieues, y compris radicalisées. On se souvient des débats autour de la note Terra Nova qui expliquait que le PS devait abandonner les classes populaires pour se tourner vers les minorités, un peu avant 2012…
François Hollande. - C’était une thèse américaine, qui n’était pas la mienne. La France n’est pas une addition de minorités. La gauche républicaine doit faire en sorte que tous les combats louables, sur le plan des droits des personnes ou des groupes, confortent l’unité du pays. L’agrégation des revendications ne donne aucun sens. Or, c’est cette direction qu’attend le pays pour retrouver confiance en lui-même. Ce qui se dessine électoralement c’est un vote Nouveau Front populaire dans les métropoles avec peu de RN. Et dans les autres territoires où pourtant il y a peu de présence migratoire et une insécurité toute relative, un vote d’extrême droite avec une gauche faible. Comme si les catégories électorales s’étaient éloignées les unes des autres. C’est contraire à tout ce que je pense. Une grande force politique doit couvrir tous les territoires et représenter l’ensemble de la population dans sa diversité.
Franz-Olivier Giesbert. - La grande faute de la gauche, c’est de s’être peu ou prou convertie, depuis une trentaine d’années, au communautarisme et à l’immigrationnisme. Elle a ainsi participé à l’américanisation du pays, en s’adressant séparément aux différents électorats tout en abandonnant au RN les classes populaires. Ce faisant, elle a totalement oublié la France. Or, je crois que, dans cette ère de doutes, notre pays a besoin d’un discours patriote, unificateur. La nation, comme disait Ernest Renan, c’est une âme, un principe spirituel. Il ne faut pas, ajoute-t-il, la réduire à une langue ou un groupe ethnique, c’est le souvenir d’avoir fait des choses ensemble et la volonté d’en faire encore ensemble. Le problème de la France aujourd’hui, c’est qu’on peut se demander, parfois, si elle a encore ce souvenir et cette volonté.
-
Illustration : François Hollande et Franz-Olivier Giesbert. © Frédéric STUCIN pour le Figaro Magazine