2494-"Victor ", de Paul Pavlovitch ( "Emile Ajar") - Nouvelle Revue de presse du blog 10 posts

Lot : Dans son livre "Victor", Paul Pavlowitch, le visage d'Émile Ajar, raconte l'histoire d'un village quercynois

L'écrivain Paul Pavlowitch propose avec "Victor" une chronique d'un village quercynois au 20e siècle. Une belle déclaration d'amour au Lot parue il y a déjà 23 ans.

Première de couverture de
Première de couverture de « Victor » par Paul Pavlowitch ©DR
 

On se souvient de la mystification géniale, au cours des « seventies », de Romain Gary réussissant, sous le pseudo d’Émile Ajar, à obtenir pour la seconde fois le prix Goncourt. Longtemps on crut que l’auteur de La Vie devant soi était Paul Pavlowitch, ce néorural installé à Caniac dans le Lot que l’on croisait sur les routes du canton au volant de sa « coccinelle ». Cet enfant adoptif du Causse a publié chez Fayard une chronique villageoise intitulée « Victor » en mars 2000. Elle fait revivre, avec brio, l’histoire d’un village quercynois tout au long du vingtième siècle.

 

L’itinéraire d’un jeune Lotois

Comme dans les meilleurs romans, tout commence par la découverte, dans la décharge de Cartayroux, aux portes de la Braunhie, d’un « petit coffret de bois blanc » contenant lettres, photographies et documents personnels de la famille Theil domiciliée au Puits sur la commune de Cessac dans le canton de Labastide. Cessac c’est le pseudo de Caniac, choisi « afin de respecter la discrétion, qualité première des habitants de ce petit pays » et pour favoriser une distance favorable à l’écriture. Grâce à ce trésor l’auteur va reconstituer l’itinéraire de Victor, jeune paysan : les bancs de la communale, les chemins du Causse où les petits campagnards traquent les vipères contre quelques sous, le service militaire lorsque montent les périls, la première blessure au combat sur la frontière, la longue convalescence, puis à nouveau les combats dont on ne sait rien, sauf leurs effets, par l’effrayante litanie des hommes tués, presque dans chaque famille, les difficultés du retour à la vie civile, le choix de Paris, le retour au pays, l’installation de l’électricité, les mutations sociales, puis à nouveau la guerre, la création des maquis, les joies et les drames familiaux…

En sollicitant sans cesse l’imagination du lecteur, le choix d’un point de vue externe confère au portrait beaucoup de profondeur, une part de mystère et aussi des zones d’ombre ; Victor, c’est « un homme sans qualité », « un sans grade », semblable à n’importe lequel d’entre nous, jeté dans les tempêtes du siècle…

Le portrait de toute une époque

Mais l’auteur ne s’intéresse pas à la seule figure de Victor. C’est une vraie saga villageoise qui se déploie sous nos yeux. L’enquête minutieuse et le dépouillement exhaustif de la presse de l’époque et des documents administratifs sont au service de la poésie. On suit le parcours du parisien d’Aristide, le tonton gâteau qui mène Juliette à l’exposition coloniale, Manou, le gardien de la paix passionné de courses hippiques, Pierrette qui pratique sans le savoir le marché noir, Pierre le charpentier, Paul le charron, Balmary l’instituteur secrétaire de mairie, André et Joseph Rohr les frères lorrains initiateurs du maquis de la Braunhie, Jean Cambe futur déporté, Camille Boudet le jeune curé… et tant d’autres figures !

 

La fresque épique d’un petit peuple aux prises avec les forces de la nature, les catastrophes, au premier rang desquelles figurent la hantise de la sècheresse, la grêle, les épidémies, la mort à tous les âges de la vie, les déterminismes sociaux cause d’émigration, et bien sûr la guerre qui va frapper deux fois d’implacable façon ! Des quinze cents conscrits du 131e régiment d’infanterie de ligne quittant la caserne Belzons d’Aurillac en août 14, seuls sept cents seront encore vivants le 11 novembre 1918, et, pour beaucoup, comme Victor, avec quelles incurables blessures physiques et morales !

Un regard humaniste

Le choix d’un point de vue externe dominant n’empêche pas un regard subjectif d’apparaître en filigrane, celui d’un humaniste. D’abord une vision tragique de l’Histoire avec le retour fatal des conflits, le caractère inéluctable des menaces existentielles sur la vie des petites gens dans leur lutte, au jour le jour, pour la survie, et le déclin inexorable, amorcé depuis le dix-neuvième siècle, de la vitalité démographique de la commune. Un regard poétique aussi sur l’âpre beauté du Causse : c’est la vivante forêt étendant son domaine sur les anciennes terres à blé, « les troupeaux de brebis, dont les sonnailles paisibles donnent le ton d’une éternité apparemment retrouvée ». Un regard caustique enfin qui démasque avec sévérité les mesquineries des voisins mal intentionnés, l’infinie petitesse d’un personnel politique pratiquant un clientélisme dépourvu de toute vision, ou encore l’étroitesse de certains esprits religieux corsetés dans leurs préjugés et singulièrement dépourvus d’esprit de charité.

Un béguin pour le Lot

Seul un étranger pouvait porter un regard aussi aigu sur son pays d’adoption. Seul un vrai parisien pouvait faire revivre avec cette vérité la diaspora lotoise dans les quartiers populaires de la capitale. Seul un amoureux de Cessac-Caniac pouvait en avoir une connaissance si intime. Seul un poète, sensible « à la marche du temps », pouvait à ce point « devenir un autre que soi » en épousant la vie et les rêves de chacun de ses habitants. L’écriture même, sobre, blanche, neutre, est à l’image de l’austérité de ce Causse qui a façonné le caractère et le visage de ses enfants. Car dans cette œuvre, comme dans toute grande littérature, la forme exprime le fond, elle est consubstantielle à lui.

 
Livre disponible chez « Cœur d’ouvrage », 1 place de la Mairie à Labastide-Murat

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30/08/2023
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