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Une photo des terroristes du Hamas primée : le prix de la honte

  • par Pascal Bruckner, pour Le Point - avril 2024 Republié par Jal Rossi
Le philosophe Pascal Bruckner réagit à la récompense accordée, parmi d’autres photos, au cliché montrant le corps de Shani Nicole Louk, capturée par des terroristes du Hamas le 7 octobre.
 
«Il y a une charge morale dans chaque travelling», disait Jean-Luc Godard. Y a-t-il une morale qui justifierait le prix attribué à une équipe de photographes de l'agence AP, en mars, par le Reynolds Journalism Institute (Missouri) dans la catégorie Team Picture Story of the Year pour leur couverture du conflit israélo-palestinien ?
 
L'une des photos primées, parmi d'autres montrant les victimes des bombardements sur Gaza, évoque une scène de chasse dont le gibier est une jeune femme germano-israélienne à demi nue, Shani Nicole Louk, tatoueuse de 22 ans, capturée par les hommes du Hamas à l'aube du 7 octobre lors de la rave-party de Réïm, couchée sur le ventre au milieu de cinq hommes armés dont certains semblent hurler avec entrain «Allahou akbar».
L'un d'eux a le pied posé sur la femme qui finira violée, démembrée et décapitée par une foule haineuse. Rappelons que le photographe en question, le Palestinien Ali Mahmud, était embarqué avec les hommes du Hamas et voulait sans doute par ce cliché glorifier leurs actes.
 
Le voyeurisme face à l'abjection
 
À quelle condition une image est-elle efficace ? Quand elle cristallise un sentiment diffus dans l'opinion publique ou conforte un parti pris. Un soldat républicain en chemise blanche fauché par une balle en Espagne (Robert Capa, 1936) symbolisait la résistance de cette nation au fascisme;une fillette vietnamienne courant toute nue sous un bombardement, éperdue de terreur (Nick Ut, 1972), a causé plus de dégâts que les reportages antérieurs et renforcé l'allergie des Américains à la poursuite du conflit.
 
Une photo fonctionne quand elle anticipe et justifie une décision politique, accompagne une action précise, quand elle est réduite à l'état de moyen, éventuellement à des fins de propagande. Ce ne sont pas les prises de vue insoutenables qui provoquent les décisions historiques, ce sont les décisions politiques qui donnent à certains clichés un caractère historique. Sinon l'image ne satisfait qu'une pulsion – le voyeurisme face à l'abjection –, et ce droit de tous de tout voir à tout moment confine à la pornographie.
 
C'est à cette catégorie, me semble-t-il, que ressortit le cliché d'Ali Mahmud, qui respire le contentement. Reprenant une stratégie inaugurée par Daech, filmer ses crimes en temps réel pour terroriser les victimes et galvaniser les adeptes, les combattants du Hamas ont pratiqué le meurtre en open space, postant leurs tueries sur Instagram ou X, partagées par des millions de followers. Ces carnages ont enthousiasmé de nombreux progressistes en France et aux États-Unis, dont la philosophe Judith Butler, qui a célébré ces actes de résistance même si elle a «déploré» les viols.
 
Le massacre sympa, la tuerie cool
 
Les nazis et les staliniens ont toujours dissimulé leurs forfaits grâce à la tactique du camouflage – on se souvient de l'allocution de Himmler le 6 octobre 1943 à propos de l'extermination des Juifs devant les hauts cadres du Parti et de sa célèbre phrase : «C'est une page glorieuse de notre histoire qui n'a jamais été écrite et ne le sera jamais.»
De l'autre côté, en URSS, on fusillait les mouettes des îles Solovki, lieu de naissance du Goulag en Sibérie à partir de 1920, qui emportaient les messages de détresse des prisonniers, les zeks. Rien ne devait filtrer du système concentrationnaire, sinon dans le petit cercle des avertis.
 
Un nouveau régime s'est mis en place avec Al-Qaïda et Daech, imités par le Hamas. Ces djihadistes new-look, loin de se dissimuler, auront inventé un nouveau jeu de société : le massacre sympa, la tuerie cool que l'on se repasse en boucle sur TikTok ou Instagram.
 
Traîner un cadavre derrière un 4 x 4, jouer au foot avec une tête coupée ou les seins mutilés d'une femme, découper les ennemis de Dieu avec une bonne humeur revigorante, c'est ce qu'on pourrait appeler l'enthousiasme exterminateur. C'est ce que montre le cliché d'Ali Mahmud : des tueurs se préparant pour un festin, une orgie de haine. Cette photo n'informe pas, ne rebute pas, elle recrute.�
 
 
 
Illustration :
  • Le romancier et philosophe Pascal Bruckner. © Bauweraerts Didier
  • Pour Pascal Bruckner, ce cliché montre «des tueurs se préparant pour un festin, une orgie de haine». © Ali Mahmud / AP / Sipa
 
  
Jean-Albert Margaine
Modérateur
• "Ce ne sont pas les prises de vue insoutenables qui provoquent les décisions historiques, ce sont les décisions politiques qui donnent à certains clichés un caractère historique."
• "Cette photo n'informe pas, ne rebute pas, elle recrute."
 


27/04/2024
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