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Soins palliatifs et Aide active à mourir.
Par BORDADOUR
PROBLEMATIQUE
- Les soins palliatifs sont nécessaires mais dans une situation très dégradée. Ils ne répondent pas aux besoins exprimés tant en nombre qu’en qualité. Aucune amélioration n’est envisageable avant plusieurs années.
- Soins palliatifs et aide active à mourir, loin d’être inconciliables doivent, au contraire, être regardés, selon la belle formule de l’ADMD, comme les deux aspects d’une même prise en charge fraternelle des situations de fin de vie.
I) Les soins palliatifs.
A) Ils sont nécessaires
Les soins palliatifs sont nécessaires. Ils doivent être de qualité. Ils doivent pouvoir être offerts à quiconque en fait la demande. Ils doivent pouvoir être proposés à toute personne éligible à ce type de soins.
Présentés par certains comme de véritables « soins de vie, les soins palliatifs incarnent (pour eux) cette présence à l’autre, cette vigilance bienveillante et cette compétence qui le reconnaissent dans la plénitude de ses espérances , de ses choix et de ses droits ». (Emmanuel HIRSCH, professeur émérite d’éthique médicale).
Plus modestement, pour Mme Claire FOURCADE, médecin et présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), la médecine palliative se fixe « pour seule finalité d’offrir au patient et à son entourage un maximum de bien-être et un minimum de souffrance à l’approche de la mort ».
L’objectif ainsi affiché par celles et ceux qui, comme les décrit Martine LOMBARD, professeur émérite de droit public, « prônent le respect absolu de la vie… et (défendent) la liberté de conscience de tous ceux, nombreux dans les faits lorsqu’ils sont concrètement confrontés à la mort, qui veulent vivre jusqu’au dernier instant possible.», cet objectif, donc, est louable et manifeste une sens de l’humain qui ne peut qu’être approuvé et soutenu.
B) Ils ne sont toutefois qu’imparfaitement mis en œuvre
En France, en 2024, 25 ans après l’adoption de la loi Kouchner de 1999 garantissant l’égalité devant les soins palliatifs, malgré la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, et huit ans après l’adoption de la loi Claeys-Leonetti qui offrait aux malades et aux personnes en fin de vie la garantie « du meilleur apaisement possible de la souffrance … (ainsi que) le droit à une sédation profonde et continue jusqu’au décès « force est de constater que nombre de ces promesses n’ont pas été suivies d’effets et, surtout, que l’égalité devant les soins palliatifs n’est toujours pas effective.
Non seulement l’accès aux soins palliatifs souffre de disparités choquantes, moralement et éthiquement insupportables, mais, en outre, les conditions de mise en œuvre de ces soins s’avèrent souvent inadaptées.
Un bilan actualisé des structures et des ressources dédiées aux soins palliatifs en France s’impose donc. Cette question doit faire l’objet d’une approche aussi rationnelle et dépassionnée que possible, fixant des ordres de grandeur, mettant des chiffres sur les problèmes et portée, comme le suggère Claude EVIN, ancien ministre des Affaires sociales et de la Solidarité, par des instances neutres, publiques.
C) Ils sont en outre dans un état très dégradé.
- Une offre insuffisante de soins palliatifs sur notre territoire.
Déjà, en 2022, le docteur Claire FOURCADE relevait que « les soins palliatifs prennent en charge 100.000 personnes par an (alors que) la Sécurité sociale estime les besoins annuels à plus de 300.000, (et que) 26 départements métropolitains ne comptent aucune unité de soins palliatifs sur leur territoire ».
Ces évaluations sont confirmées par l’Inspection générale des Affaires sociales selon laquelle « 62% des personnes décédées qui auraient dû bénéficier de soins adaptés en ont été privés… Là est la vraie priorité (conclut cet organisme)… mettre en œuvre une loi qui demeure inappliquée plus de 20 ans après son adoption, faute de moyens disponibles ». (encore s’agit-il de chiffres qui pourraient être revus à la hausse compte tenu de l’impact grandissant des maladies chroniques et des prévisions démographiques qui tendent vers le doublement du nombre de personnes âgées dépendantes d’ici à 2050).
C’est encore le Centre National de soins palliatifs et de fin de vie (CNSPFV) qui, dans son rapport du 28/11/2018, déplore que, « alors que la loi a eu pour intention de favoriser l’accès de tous à des soins palliatifs et à un accompagnement de qualité en fin de vie, des inégalités persistent sur le terrain en fonction des situations et des spécialités ».
Depuis, la situation n’a fait qu’empirer.
Le Gouvernement a adopté récemment une « Stratégie décennale des soins d’accompagnement ». Les chiffres clés dont est assorti ce document officiel font état de 440.000 personnes éligibles aux SP en 2035 contre 190.000 en 2021 (Cour des comptes) ; de la 15 -ème place de la France au sein des pays de l’OCDE en termes de densité de l’offre de services spécialisés en SP ; de 20 départements ne disposant toujours pas d’unités de SP. D’
- Un sous-effectif persistant des structures de soins palliatifs existantes
C’est encore le Centre national de soins palliatifs et de fin de vie (CNSPFV) qui constate, dans son rapport, qu’aucune structure de soins palliatifs n’atteint les critères d’emploi (équivalent temps plein) fixés par une circulaire du 25 mars 2008, et ce quelle que soit la catégorie de personnel concerné ou encore le type de structures.
Le manque est en moyenne de 37% pour les médecins, de 42% pour les cadres infirmiers, de 14% pour les IDE, de 25% pour les aides-soignants et de 39% pour les psychologues.
L’insuffisance de personnel se fait également sentir pour les soins palliatifs dispensés au domicile des malades.
- Un manque d’information et de formation de nombreux soignants
- Claire FOURCADE (SNAP) déplore que l’enseignement de l’approche palliative et de la prise en charge de la douleur n’occupe que 12h en moyenne durant les 9 à 10 années d’études des futurs médecins.
- Encore plus significatif du manque de moyens, de confiance et de soutien apporté aux médecins généralistes exerçant en milieu urbain, le CNSPFV relève que ces praticiens se voient toujours refuser la libre disposition du seul agent sédatif qui leur est proposé - le Midazolam (Hypnovel) - pour apaiser leurs malades à leur domicile. Ils doivent en solliciter la délivrance auprès d’une pharmacie hospitalière sans pour autant être assurés d’échapper plus tard à des poursuites judiciaires.
- Ce qui précède explique sans doute les hésitations de nombreux médecins et des équipes soignantes à s’approprier les droits et les nouvelles pratiques ouvertes par les différentes lois relatives à la fin de vie, et, par voie de conséquence, que 91% des Français affirment que leur médecin traitant ne les a pas informés sur leurs droits et sur les dispositifs existants (mais encore faudrait-il qu’ils aient eux-mêmes conscience du problème, le CNSPFV rappelant, par exemple, que près de la moitié des Français ignorent tout des directives anticipées…).
Comme le dit Claude EVIN « On peut constater un manque d’anticipation autour de la fin de vie… qui concerne aussi bien les patients que les professionnels de santé ».
Outre les divers organismes publics et les nombreux experts précédemment cités, le Sénat et la Cour des comptes, pour faire bonne mesure, confirment les diverses carences et insuffisances qui continuent d’entraver, en France, en 2022, la dispensation des soins palliatifs et la prise en charge de la fin de vie.
Le docteur Claire FOURCADE, qui se bat pourtant infatigablement pour « garantir à tous et partout un accès précoce à des soins palliatifs de qualité … reconnait elle-même que, « au final, les témoignages des acteurs de terrain… convergent sur un même constat : des progrès (ont été réalisés mais) sont encore attendus pour garantir l’équité d’accès aux soins palliatifs et des parcours de prise en charge adaptés, dans l’hôpital mais aussi surtout en dehors de celui-ci ».
De fait, il existe une marge de progression importante en France puisque, selon le docteur Sarah DAUCHY, présidente du Conseil d’orientation stratégique du CNSPFV, si notre pays se situe, parmi les pays européens, au 5ème rang pour la qualité des soins, elle ne se classe qu’au 22ème rang pour l’accès aux soins.
Face à une telle situation dégradée, il convient de s’interroger sur les moyens de toute nature à mettre en œuvre, notamment financiers, pour améliorer l’offre et la qualité des SP et apprécier la pertinence des objectifs annoncés notamment par Mme Catherine VAUTRIN, Ministre du travail, de la santé et des Solidarités dans la « Stratégie décennale » sus-évoquée : promesse d’accés à une unité de SP en tout point du territoire, développement d’équipes mobiles territoriales, création d’unités de SP pédiatriques et, surtout, porter la capacité d’accueil en SP à 440.000 personnes en 2035.
- Chiffrage des investissements financiers nécessaires pour améliorer l’offre et la qualité des soins palliatifs sur notre territoire
- Dans une récente thèse de doctorat soutenue par Mme Yaël TIBI-LEVY, remarquablement documentée, argumentée et, surtout, chiffrée, intitulée « Les équipes hospitalières de soins palliatifs dans le processus de rationalisation des soins : entre engagement idéologique et contraintes financières », l’intéressée évalue, en moyenne, à environ 25.000 euros le coût total, par patient, d’un séjour en soins palliatifs (sachant que la durée de ce séjour est imprévisible, celle-ci pouvant varier considérablement d’un individu à l’autre et en fonction de l’évolution des pathologies dont il soufre).
Dès lors, si, chaque année, comme l’indiquent, entre autres, la Sécurité sociale et la Cour des Comptes – pour ne citer que ces deux organismes publics - ce sont plusieurs centaines de milliers de personnes qui sont éligibles à ce type de soins, il est aisé d’évaluer l’énormité des moyens budgétaires à mobiliser en faveur des seuls soins palliatifs.
Comment, dans ces conditions, croire ou espérer un seul instant que, dans l’état actuel de notre économie, de nos finances, de la résurgence de l’inflation, de la situation sanitaire et sociale, des relations internationales, on trouvera les milliards d’euros nécessaires chaque année ?
(Est-il nécessaire de rappeler, pour ne citer qu’un exemple, les promesses répétées depuis des décennies mais jamais respectées, là encore faute d’argent, d’amélioration des conditions de vie des personnes âgées dépendantes vivant en ehpad ?)
- D’autre part, où trouver le personnel et les lits nécessaires pour assurer ces soins palliatifs qui mobilisent, on l’a vu, beaucoup de personnel soignant, notamment infirmier, alors qu’on ferme des lits faute, précisément, d’infirmiers et d’aides -soignants suffisamment payés pour les gérer ?
- Et ou trouver les médecins chargés de superviser ces soins palliatifs dans un pays qui souffre d’une désertification médicale croissante à laquelle on ne sait toujours pas remédier ? Faut-il, là encore, rappeler l’insatisfaction laissée par le « Ségur de la santé » ? Faut-il rappeler, pour faire bonne mesure, l’état pitoyable de notre service public de santé, de nos hôpitaux ?
Il est grand temps de redescendre sur terre et de cesser de se faire la bouche fraîche à bon compte. La célèbre apostrophe de l’ancien Président des Etats Unis, Bill Clinton, est plus que jamais d’actualité : « It’s the economy, stupid ! »
Déjà, dans un rapport de 2007, la Cour des Comptes critiquait « l’absence d’évaluation… la méconnaissance des coûts » associés aux soins palliatifs. La critique est toujours fondée.
Même s’ils sont infiniment regrettables, les faits sont têtus et s’imposent à nous.
Non qu’il faille cesser de batailler pour améliorer autant que faire se peut la situation des soins palliatifs en France. Bien au contraire. La situation est dramatiquement urgente comme le révèle Mme Claire Fourcade en rappelant que 500 personnes meurent chaque jour sans avoir accés aux soins dont ils auraient besoin.
Mais, dans l’immédiat, il ne faut pas se bercer d’illusions et il faut admettre que nous n’avons pas les moyens de faire bénéficier toutes celles et tous ceux qui le souhaitent de soins palliatifs dignes de ce nom. L’Etat ne disposera pas avant longtemps des ressources budgétaires suffisantes à cet effet. Pour l’instant il n’en a pas le premier centime !
D’ailleurs, et c’est significatif, dans une interview consacrée aux soins palliatifs qu’elle a donnée le mercredi 29 janvier 2025 au JD NEWS, Mme Claire Fourcade, présidente, rappelons-le, de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, ne se hasarde à aucune évaluation quant au coût des réformes et des aménagements nécessaires.
Ces « vaticinations horrifiques » (pour reprendre une expression de Laurent Joffrin) sont peut-être erronées. On le souhaite. Sans y croire.
II) Avec les soins palliatifs, l’aide active à mourir s’impose comme le second aspect d’une prise en charge fraternelle des situations de fin de vie
Les contempteurs de l’aide active à mourir dénoncent habituellement celle-ci comme une fausse solution progressiste qui détourne le débat des vraies solutions, à savoir les soins palliatifs.
Affirmant se fonder sur « des principes éthiques et des considérations liés aux droits humains », ils dénient tout caractère compassionnel à l’aide active à mourir et refusent toute légalisation d’un droit à une aide active à mourir.
Mais force est de constater que cette condamnation sans appel manque pour le moins, elle aussi, de compassion et d’humanité envers celles et ceux qui ne partagent pas les convictions qui habitent de tels détracteurs.
Car, en effet, en arguant, comme ils le font communément, que « de nombreuses études indiquent que lorsque les symptômes (physiques ou mentaux) sont mieux contrôlés, une grande majorité de patients renoncent à leur demande initiale de mourir », c’est, en creux, reconnaitre qu’une minorité de ces patients maintiennent leur demande initiale de mourir.
Combien sont-ils, alors, ces patients récalcitrants aux soins palliatifs qui demandent à pouvoir disposer librement, à l’heure de leur choix, des moyens propres à provoquer une sédation profonde et continue jusqu’à leur décès ? Si on se reporte aux chiffres clés cités ci-avant cette minorité représente sans doute des dizaines de milliers de personnes.
Alors, pour ceux-là, point de salut ? Aucune compassion ?
En fait, cette vision manichéenne rejetant l’aide active à mourir (le mal) pour ne retenir que les soins palliatifs (le bien) a pour effet, en focalisant l’attention sur ces seuls soins, de faire oublier complétement l’euthanasie.
Et c’est bien là, semble-t-il, leur but inavoué.
Tout comme c’est manifestement la stratégie de François BAYROU, notre actuel Premier ministre, en œuvrant, comme il le fait en ce moment, pour que le texte de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie soit scindé en deux textes. Le premier portant sur les soins palliatifs, le second portant sur l’aide active à mourir.
Rompant avec ces argumentations quelque peu biaisées et dogmatiques , je considère que soins palliatifs et aide active à mourir sont parfaitement compatibles et complémentaires.
Ces deux options respectent la liberté et la dignité de chacun.
Pour ce qui est de la dignité, comment accepter que d’aucuns s’arrogent le droit d’en décider à ma place en m’imposant un protocole de fin de vie qui n’est pas le mien. Que savent-ils de la conception que je me fais de ma dignité sachant que chaque individu a la sienne ? Je m’estime donc en droit d’exiger qu’on respecte celle que je m’en fais et que j’ai pris la précaution de définir dans mes directives anticipées régulièrement réitérées et actualisées si nécessaire.
Elles respectent aussi, est-il besoin d’y insister, les dernières volontés exprimées par chaque individu. Il fut un temps où il ne serait venu à l’esprit de personne de transgresser les dernières volontés d’un mourant ou d’un défunt. Ce temps serait-il révolu ?
X
Dans nos vies d’hommes et de femmes, nous risquons d’être confrontés à tout moment à cette soudaine révélation qui nous fait passer d’un état plus ou moins agréable, mais jugé supportable, à une perspective de fin de vie rapprochée et dégradée. A fortiori quand on avance en âge.
Lors de ce moment de « bascule », à la perspective d’un recours aux soins palliatifs pour prolonger la vie, sans trop souffrir, aussi longtemps que possible, d’aucuns peuvent préférer avoir à leur disposition les moyens de mettre fin à la vie qui les attend et dont ils ne veulent pas,
- Sans avoir à en référer à qui que ce soit, ni famille, ni proches, ni médecins, sans l’intervention de quelque comité ou organisme que ce soit ;
- Sans souffrir, grâce à une sédation profonde, continue et rapide permettant de glisser doucement dans ce qu’ils pensent être – à tort ou à raison - le néant ;
- Avant d’inspirer la pitié ou le dégout ;
- Pour ne pas perturber et compliquer la vie de leur famille et de leurs proches tout le temps d’une agonie dont on ne connait pas a priori la durée ;
- Pour ne pas dilapider inconsidérément l’argent public en leur offrant quelques semaines, voire même quelques mois, d’une survie léthargique et inconfortable au détriment de leurs concitoyens à l’avenir plus prometteur.
N’est-ce pas répondre, ainsi, véritablement au devoir d’humanité que nous devons à tous nos semblables, aux convictions forcément dissemblables mais toutes respectables ?
Quelques réflexions, avant d’en terminer, sur le rôle des médecins lors de la fin de vie des gens.
- Tout d’abord, la mise en œuvre de l’aide à mourir n’exclut à aucun moment l’intervention d’un médecin, mais n’impose pas, non plus, sa présence et encore moins son intervention ;
- Le médecin doit, en effet, se voir garanti un droit de retrait ou de clause de conscience ;
- Pour un médecin, laisser quelqu’un mourir et, a fortiori, le laisser se donner la mort – quel que soit le protocole – c’est avaliser un échec déchirant, soit de sa part, soit de la médecine en général ;
- Mais, comme cela a été dit (je ne sais plus par qui, qu’il ou elle veuille bien me pardonner) , il faut distinguer soigner et guérir : guérir c’est éradiquer la maladie.
- Et on éradique pas la mort
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A Bayonne, le 13 février 2025
par BORDADOUR