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«Sans un big bang de l’autorité, la violence établira ses quartiers à l’école»

  • par Jean-Eric Schoettl, pour Le Figaro - avril 2024
Face à la multiplication des agressions dans le cadre scolaire, il est urgent d’adopter des mesures fortes pour rétablir le respect de l’autorité dans les établissements, argumente l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.
 
Carence de l'autorité. Celle des parents, comme celle des maîtres et celle de l'État. Pour expliquer la montée de la violence chez les mineurs, ce diagnostic est désormais largement partagé. Les drames récents, aux lourdes connotations ethno-religieuses (enseignants agressés dans les salles de classe, passages à tabac d'élèves aux abords des établissements scolaires), ont décillé beaucoup d'yeux. C'est une victoire sur le déni, car, hier encore, un tel diagnostic aurait été taxé de fantasme réactionnaire.
Toutefois, pour déboucher sur une thérapeutique opératoire, il faut aller jusqu'au bout du diagnostic. La nostalgie de l'autorité perdue ne suffit pas à remonter la pente. Pour que l'autorité s'affirme, il faut que la société dote sans réticence son titulaire des moyens effectifs et suffisants (matériels, juridiques, statutaires, psychologiques) d'exercer sa fonction. Ce n'est pas le cas aujourd'hui et cela donne la mesure de l'effort à accomplir pour restaurer ce qui peut l'être de l'autorité perdue.
Prenons le cas du proviseur du lycée Maurice-Ravel, à Paris, confronté à l'élève qui refuse de retirer son voile dans l'enceinte de l'établissement. Peut-il, face à ce refus, déclencher des poursuites disciplinaires ? Les circulaires n'évoquent de telles sanctions que d'une plume tremblante, mettant sans cesse en avant la nécessité impérieuse du «dialogue» (avec l'élève, avec les parents). Hier l'élève insolent était consigné et, de surcroît, réprimandé par ses parents. C'était la double peine. Aujourd'hui beaucoup de parents demandent des comptes (lorsqu'ils ne le bousculent pas) au professeur qui ose admonester leur progéniture. Aujourd'hui, une suspension de plusieurs jours pour comportement illicite, agressif ou injurieux impose de réunir un conseil de discipline dont la composition n'est nullement acquise aux responsables scolaires. Dans les quartiers à forte population immigrée, une certaine paranoïa communautaire paralyse les responsables scolaires lorsqu'ils auraient des velléités de sévir.
Et que faire face à une attitude provocatrice caractérisée ? Le proviseur du lycée Maurice-Ravel pouvait-il, comme cela aurait paru naturel il y a quelques décennies, contraindre physiquement l'élève à ôter son voile ou, à défaut, la mener par le bras jusqu'à la porte de l'établissement ou jusqu'à une salle de retenue ? Une telle «contrainte par corps» est ce que le droit administratif classique nomme «privilège d'exécution d'office». C'est en théorie celui de tout détenteur de l'autorité publique confronté à un refus d'obtempérer. Mais il a été implicitement aboli dans les établissements scolaires autant que dans les lieux publics.
Jusque dans les années soixante-dix, les gardiens de square, avec leurs casquettes, leurs houppelandes et leurs sifflets, n'hésitaient pas à agripper un chenapan par l'oreille s'il piétinait une platebande. Cela ne choquait personne. Aujourd'hui, le gardien de square serait révoqué et poursuivi pénalement s'il osait une telle manifestation d'autorité. Et, aujourd'hui, un policier ou un gendarme qui utilise son arme, même en en respectant les conditions d'emploi, sera très souvent poursuivi pour homicide si un drame survient.

«La doctrine est gravée dans le marbre des bons sentiments humanistes et pédagogistes : il faut toujours privilégier le dialogue sur la coercition lorsque sont en cause des questions aussi délicates que celles intéressant la personnalité et les convictions.»

Si le proviseur du lycée Maurice-Ravel s'était livré au quart de la moitié de ce dont l'accuse, sur les réseaux sociaux, l'élève voilée, les autorités académiques l'auraient désavoué au motif que le souci de faire respecter la loi ne justifie aucun geste brutal. La doctrine est gravée dans le marbre des bons sentiments humanistes et pédagogistes : il faut toujours privilégier le dialogue sur la coercition lorsque sont en cause des questions aussi délicates que celles intéressant la personnalité et les convictions. Agripper la rebelle voilée par le bras ?
Groupes militants et médias crieraient à la maltraitance islamophobe. Dans le contexte non pas multiculturel et multiconfessionnel, mais culturellement et religieusement homogène, qui est celui de beaucoup de quartiers dont la population est issue du sud de la Méditerranée, une partie significative des élèves verrait une héroïne dans la révoltée et une partie significative des parents, exposés aux discours communautaristes et aux prêches intégristes (l'interdiction du voile est une brimade contre les musulmans), en ferait une martyre.
On imagine la suite. Si une simple sommation de respecter la loi a fait pleuvoir des menaces de mort sur le proviseur, le poussant à la démission, on n'ose penser à ce qu'une manifestation d'autorité musclée, banale il y a une cinquantaine d'années, eût provoqué. Le scénario conduisant à l'assassinat de Samuel Paty est dans toutes les têtes. Il s'agit non d'une crainte isolée, mais d'une peur collective et permanente : comme le révèle une enquête du syndicat national des directions de l'Éducation nationale, un principal de collège ou proviseur du lycée sur quatre a vu l'enseignement dispensé dans son établissement ou les règles de vie de son établissement contestés au nom de la religion.

«Le lien entre carence de l'autorité (entendue comme une absence ou une insuffisance de coercition légale) et ensauvagement se manifeste dans d'autres domaines, tous plus ou moins corrélés à la problématique de l’intégration.»

Face à ce climat d'intimidation, des cours d'empathie et d'initiation aux valeurs de la République sont impuissants. Seule serait opérante une volonté ferme et solidaire de la communauté éducative de ne plus rien laisser passer en matière de violation des règles de la vie scolaire, qu'il s'agisse de discipline ou de laïcité.
Ceci implique la possibilité pour le proviseur ou le principal de se séparer d'un enseignant ou d'un surveillant hostile aux exigences de cette solidarité ; la fluidité de l'information entre professeurs, proviseurs, rectorat et, au-delà, avec tous les acteurs responsables de l'ordre public au sens large (police, justice, services sociaux) ; l'intervention de la police ou de la justice en direction de la famille ou du milieu pour décourager les représailles ; la présence de surveillants aptes moralement et physiquement à inspirer du respect aux élèves ; l'exercice par le dirigeant de l'établissement d'un pouvoir disciplinaire autonome allant jusqu'à la révocation de l'élève ; la remise en vigueur des codes de courtoisie passés (se lever à l'entrée du professeur) ; l'uniforme scolaire ; la multiplication des pensionnats ; l'inscription des élèves renvoyés dans des établissements spécialisés.
À quoi il faut ajouter un allègement de la tutelle juridictionnelle sur les décisions quotidiennement prises par les autorités scolaires, décisions qui, jusqu'à une date récente, étaient considérées comme des « actes d'ordre intérieur » échappant au contrôle du juge. Programme indigeste, dira-t-on, mais, sans un big bang de l'autorité, la violence établira ses quartiers dans l'univers scolaire !
Le lien entre carence de l'autorité (entendue comme une absence ou une insuffisance de coercition légale) et ensauvagement se manifeste dans d'autres domaines, tous plus ou moins corrélés à la problématique de l'intégration. On pourrait parler de la justice des mineurs, de l'effectivité des peines, des pouvoirs de la police municipale, du maintien de l'ordre en général et du contrôle des manifestations sur la voie publique en particulier. Sans oublier le traitement des émeutes urbaines et la conduite à tenir par les forces de police et de gendarmerie en cas de refus d’obtempérer.

«Il faut donc remettre en cause le dogme du maintien dans les lieux, notamment en instituant un bail à durée limitée permettant, indépendamment de mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas renouveler un bail en cas de mauvais comportement.»

Une autre illustration de cette causalité entre absence de coercition et ensauvagement du tissu social – et des solutions qui pourraient y être apportées - vient d'être mise en évidence par le préfet Michel Aubouin dans son rapport sur les étrangers extra-communautaires et le logement social en France (Fondation pour l'innovation politique et Observatoire de l'immigration et de la démographie). Le bailleur public, dit-il, «doit s'assurer que les locataires vivent en paix, ce qui suppose qu'il ait la capacité d'agir pour faire cesser les troubles graves à l'ordre public (agressions, trafic de drogues, rodéos...) qui naissent au sein de son patrimoine».
Il faut donc remettre en cause le dogme du maintien dans les lieux, notamment en instituant un bail à durée limitée permettant, indépendamment de mesures plus coercitives (expulsions locatives), de ne pas renouveler un bail en cas de mauvais comportement. Remplaçons «bailleur social» par «proviseur» et «révocation du bail du locataire fauteur de troubles» par «renvoi de l'élève fauteur de troubles» : les solutions se valent mutatis mutandis. De même, ne plus s'obliger à recaser dans un établissement scolaire ordinaire un élève renvoyé en raison de son comportement se justifie autant que ne plus attribuer de logement HLM à un locataire incivil. Dans les deux cas, ce sont tout autant les intérêts de la collectivité nationale que ceux des populations en provenance d'outre-Méditerranée que l'on servirait.
Restaurer l'autorité, c'est remplir son détenteur de toutes ses prérogatives, et notamment des plus traditionnelles d'entre elles, y compris le «privilège d'exécution forcée». C'est donc réapprendre la coercition. C'est aussi s'en remettre plus amplement qu'aujourd'hui au dépositaire de l'autorité. Quant au risque d'usage abusif du pouvoir délégué, inhérent à toute large délégation, il peut être combattu par un contrôle a posteriori sensible aux difficultés de la fonction. Refuser la coercition, refuser de faire confiance au titulaire de l'autorité, c'est abdiquer l'essence même de l'autorité. La République doit être d'autant moins angélique à cet égard que la culture d'origine des populations nouvellement établies sur son sol n'a pas répudié, elle, le recours à la force et qu'elle sacralise même certaines formes de violence.
Si nous renonçons aux moyens de nos fins, en matière d'autorité, ne larmoyons plus sur l'état de décivilisation auquel nous parvenons.�
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25/04/2024
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