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 «Sans la laïcité, je ne serais pas devant vous aujourd’hui»
  • par Abnousse Shalmani, pour Le Point - novembre 2023
ENTRETIEN. Le 8 novembre, l’écrivaine prononçait un discours remarqué à l’occasion de la remise du prix de la Laïcité au maire de Montpellier, Michaël Delafosse. En voici de larges extraits.
 
«C’est étrange comme ce mot résonne aujourd’hui. Laïcité. Ce mot qui devrait être un refuge pour tous, parce qu’il garantit la liberté pour chacun de vivre sa foi ou son athéisme au grand jour, sans crainte d’arrestation, de torture, de mort, ce mot qui autorise l’expression de n’importe quelle idée blasphématoire dans les limites du droit. Laïcité. Ce mot qui fait l’honneur de la France et qui dans la guerre culturelle mondiale devient un fardeau. Ce mot qu’on doit dorénavant défendre alors qu’il nous défendait jusqu’à il n’y a pas si longtemps, qu’il nous protégeait, nous consolait, nous rassurait. Laïcité. Ce mot qui se retourne en une insulte dans la bouche des ennemis de la liberté et de la France.
Sans ce mot, je ne serais pas devant vous aujourd’hui. Sans ce mot, mes parents n’auraient pas fait le choix de la France. Sans ce mot, il n’y a plus de refuge nulle part pour les amoureux de la liberté,les persécutés de l’obscurantisme.
Respirer l’atmosphère de la laïcité après les voiles noirs du fanatisme et les barbes touffues de la haine, retrouver la possibilité du choix, de la parole à voix haute, de la sécurité, fut une nouvelle naissance pour moi, comme pour tant d’autres exilés au fil du temps. La France ! Ce pays où il était moins grave d’avoir faim car on y était assuré de trouver la liberté totale. Chaïm Soutine, après une enfance prisonnier de l’intégrisme religieux qui lui interdisait de dessiner figure humaine, a choisi la France, pour être libre, pour être peintre. Tant pis pour la faim, le froid, la misère. La liberté. La liberté sonnait alors comme une victoire !
 
Aujourd’hui, nous voilà réduits à défendre la liberté et la laïcité, nous voilà réduits à nous défendre de n’être ni racistes, ni colonialistes, ni «islamophobes», avec guillemets, nous voilà sur la défensive. Car défendre la liberté et la laïcité, et l’un ne va pas sans l’autre dans le pays de Hugo et de Zola, de Baudelaire et de Pierre Louÿs, du marquis de Sade et de Marcel Proust, dans le pays de Charlie Hebdo, est devenu dangereux. Imperceptiblement, la liberté n’est plus le phare de toute l’humanité, elle est devenue louche, entachée du passé historique de l’Occident, elle est devenue la marque du dominant alors qu’elle était, à juste titre, le but de tout désir d’émancipation, l’espoir inébranlable de tout opprimé sur terre.
 
«Par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, l’Occident, l’Europe, la France se sont laissés dériver vers une tolérance qui laisse s’épanouir l’intolérance.»
 
Ténèbres. Par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, l’Occident, l’Europe, la France se sont laissés dériver vers une tolérance qui laisse s’épanouir l’intolérance. «Il est un cas où la tolérance peut devenir funeste à une nation : c’est lorsqu’elle tolère une religion intolérante», écrivait Helvétius à propos du catholicisme. Ceci pourrait s’appliquer à toutes les religions, et aujourd’hui, ici, maintenant, surtout à l’islamisme qui est aussi l’islam, qui est son cancer, mais aussi la conséquence de son refus de se réformer, de se penser, de se réfléchir au miroir de la modernité. Au nom d’une tolérance dangereuse, nous avons collectivement laissé prospérer l’intolérance qui tue. Le sang a coulé en France : le sang de journalistes, de caricaturistes, de policiers, de juifs, d’enfants juifs, de professeurs. Le sang a coulé au nom de l’islamisme qui est un totalitarisme. L’islamisme réduit les hommes et les femmes à n’être que des agents de haine et de destruction. L’islamisme est un antisémitisme, un antiféminisme, une homophobie, un antirépublicanisme, un antihumanisme, une fabrique de malheurs, un incubateur de ressentiments imaginaires, la promesse de ténèbres pour tous.
 
Chaque fois, comme une litanie morbide, nous avons répété «plus jamais», allumé des bougies, respecté les minutes de silence, affiché des «je suis…» qui sonnaient de plus en plus creux et puis… Par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée, nous avons oublié, nous avons continué de baisser la tête jusqu’au prochain attentat, au prochain assassinat, au prochain mort. Nous, les laïcs, universalistes, humanistes, sommes accusés de défendre la liberté et la laïcité, nous sommes accusés de ne pas respecter les minorités, de ne pas être tolérants, d’être de vieux cons.
 
Et pourtant. Le camp d’en face ment. Il ment monumentalement. Il ment et trahit l’humanisme le plus élémentaire. Celui qui refuse de réduire l’homme à sa naissance, qui refuse de l’abandonner au boulet de l’essentialisme. Le renversement de valeur est vertigineux : nous voilà coupables de défendre la possibilité de l’émancipation et de l’autonomie, nous voilà coupables de désirer que cet enfant puisse faire un choix, son choix, qu’il ne soit pas réduit à n’être que la suite sans imagination de son ascendance, nous voilà coupables de considérer tous les hommes égaux, nous voilà sommés de montrer patte blanche antiraciste face aux nouveaux racistes, qui défendent la naissance comme identité, l’identité comme unique revendication, la couleur de peau comme personnalité, finalité, destinée, la religion des opprimés comme excuse à toutes les dérives, pire, comme un laisser-aller, laisser-dire, laisser-faire.
 
Mollahrchie. Le voilà, le néocolonialisme qui est reproché aux défenseurs de la liberté et de la laïcité, de l’universalisme et de l’égalité : sous ses airs d’amour pour tous, de tendre la main aux opprimés, le nouvel antiracisme pèche par paternalisme, il excuse l’antisémitisme quand il émane de la religion des opprimés, il excuse l’homophobie et la misogynie quand ils sont dits par des cultures non occidentales, il applaudit l’antidémocratie et le séparatisme parce qu’ils arrangent leur agenda politique électoraliste, qu’ils les confortent dans l’idée d’être dans le bon camp, le camp du Bien, alors qu’ils sont guidés par l’idéologie islamiste.
 
Ils ont oublié, tous ceux-là, que le chaos civil qu’ils espèrent et nourrissent n’a jamais accouché que de la prise de pouvoir par l’extrême droite. Je refuse de considérer l’exilé, l’immigré, le musulman comme inférieur, je ne lui dois pas plus de respect qu’à un autre, il est humain à mes yeux et je m’adresse à lui d’égal à égal, sans considération pour le passé, à hauteur de présent, à hauteur d’homme. Je n’aimerais pas qu’on me regarde comme une pauvre exilée iranienne. (Parenthèse : je ne suis pas franco-iranienne. Je suis française. Une Française née à Téhéran, certes, mais française. Alors cessez de me regarder en penchant la tête de côté, par pitié, ou respect, ou considération. Vous m’insultez.)
[…]
«Heureusement, il existe des hommes et des femmes partout dans le monde qui se battent pour nos valeurs à nous, que nous ne voyons même plus, tant nous sommes vautrés dedans.»
 
Heureusement, il existe des Ukrainiens, des Birmans, des Iraniens, des Hongkongais, des hommes et des femmes partout dans le monde qui se battent pour nos valeurs à nous, que nous ne voyons même plus, tant nous sommes vautrés dedans.
 
Nous pouvons remercier ceux qui se battent et qui meurent là-bas pour défendre ce qui n’est plus unanimement partagé ici, par lâcheté, par peur, par paresse, par culpabilité mal placée. Alors soyons à la hauteur des Iraniens qui, au prix de leur vie, défient l’obscurantisme de la mollahrchie, soyons aussi conscients qu’admiratifs des démocrates révoltés du Sud-Est asiatique qui, avec une folle inventivité, défient la Chine uniformisatrice pour imposer leur singularité et leur liberté […]. Soyons à la hauteur des sacrifices tout autour du monde, de ceux qui meurent pour respirer l’oxygène indispensable de la liberté.»�
 
Illustration :
  • Abnousse Shalmani. © JF Paga
  • . - Laïcité : le discours flamboyant et courageux d’Abnousse Shalmani - - Le 8 novembre, pour la remise du Prix de la laïcité 2023, la présidente du jury, Abnousse Shalmani, Française d’origine iranienne, a livré un discours courageux et flamboyant , qui a marqué les esprits et fait se lever la salle. Avec l’aimable autorisation du Comité Laïcité République, Le Point vous propose de revivre ce moment marquant.
 
 
 


10/12/2023
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