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Rendez-nous la gauche !
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par Étienne Gernelle, pour Le Point - avril 2024
La gauche «originelle» semble n’être plus qu’une «vacance», écrit Jean-François Kahn. Ceux qui la font vivre encore
Cela fait peine à voir : à lire les sondages, la gauche française pèse, toute mouillée, le tiers de l'électorat français. Tragique, quand on connaît la fonction hygiénique que remplit en démocratie le pendule de l'alternance.
Nous avons assisté, médusés, à une sorte d'autokidnapping. Une partie importante de la gauche s'est enlevée – toute seule – et s'est placée entre les mains de geôliers qui ne partagent rien de son histoire. Ces ravisseurs (lesquels n'en demandaient pas tant) se rangent dans deux catégories qui, étrangement, se marient parfois :d'un côté, les islamistes ; de l'autre, les mouvances dites «intersectionnelles» et autres résidents de cette nébuleuse mal définie mais très déterminée que l'on appelle parfois «wokisme».
Quand on pense que c'est principalement à la gauche, de Voltaire à Clemenceau, que nous devons, entre autres, la laïcité et la liberté d'expression – bref, les fondamentaux de notre démocratie libérale –, on ne peut qu'être saisi d'épouvante à la voir courber ainsi l'échine devant ces cliques d'intégristes, de sectaires, de censeurs et de fossoyeurs des libertés en général… Que s'est-il passé ?
Verve audiardesque et culture pantagruélique
Le mieux pour comprendre tout cela est de lire le nouveau livre de Jean-François Kahn, Ne m'appelez plus jamais gauche, sorti le 1er mai aux Éditions de l'Observatoire. «La gauche républicaine, démocratique et laïque – c'est-à-dire la gauche originelle – n'est plus qu'une vacance, comme si elle s'était accordé un congé non payé», écrit-il.
Alliant comme toujours une verve audiardesque et une culture pantagruélique, Kahn nous raconte par exemple les Girondins, qui ont si bien incarné la gauche avant le coup d'État d'extrême gauche réalisé par les Montagnards, la bêtise de Blanqui, idiot utile de «la réaction», mais aussi le génie d'Hugo.
Kahn se penche en particulier sur ce mystère de la séduction exercée par l'islamisme sur une partie de la gauche. Il fait remonter le tout à la guerre d'Afghanistan, où les combattants de la liberté contre l'envahisseur soviétique furent débordés par des soldats de l'intégrisme, sous perfusion, entre autres, de l'Arabie saoudite. L'Algérie fut la cible suivante, et la vague ne s'arrêta plus. Kahn analyse ce moment où «notre gauche, en particulier notre gauche médiatique et intellectuelle, à quelques exceptions près […], soutint sans broncher la contre-révolution la plus rétrograde que notre monde ait connue depuis longtemps».
Le frémissement Glucksmann
Cette dérive prend aujourd'hui le visage de Jean-Luc Mélenchon, dont la complaisance envers le Hamas – grand ami du progressisme et des libertés, comme chacun sait – fait frémir. Il ne faut évidemment pas désespérer. La gauche qui se respecte est toujours là : citons, parmi d'autres, Carole Delga, Michaël Delafosse, Stéphane Le Foll, Lamia El Aaraje, François Hollande, Bernard Cazeneuve ou encore Jérôme Guedj. Le frémissement de l'opinion en faveur de la liste de Raphaël Glucksmann montre d'ailleurs qu'elle bouge encore, cette gauche démocratique.
Ce dernier devra toutefois mettre au plus vite à distance l'affligeant Olivier Faure, qui avait, en 2022, organisé avec zèle la soumission du PS à LFI, et donc servi de passe-plat pour les délires de celle-ci. Il est temps d'arrêter la contagion idéologique. Pour la gauche, mais pas seulement. Selon ce mot attribué à Mark Twain, «les gens de gauche inventent des idées, et quand ils les ont usées, les gens de droite les adoptent»… De droite, de gauche ou du centre, lisez Jean-François Kahn !