Carole Delga souhaite incarner une gauche dite "cassoulet", autrement dit rurale, peut-elle avoir une place dans le paysage politique ?

Pour beaucoup de raisons cela est possible. On a vu, lors des élections européennes, que la famille de la gauche socialiste était en tête des forces de gauche de ce scrutin avec Raphaël Glucksmann. Il y a eu une inversion des rapports de force, de ces dernières années, avec la France insoumise. Mais aussi parce que la stratégie de conflictualité adoptée par Jean-Luc Mélenchon lui est de plus en plus néfaste. Un rejet de cette radicalité de LFI est en train de se produire, y compris par une scission au sein de ce mouvement avec d’un côté François Ruffin et le groupe Raquel Garrido-Alexis Corbière. Ce phénomène-là doit questionner les socialistes sur leur capacité à proposer autre chose au sein de la gauche. Dans cet "autre chose", on constate que la ligne du premier secrétaire Olivier Faure, avec l’alliance de la Nupes et du NFP, est très contestée par Hélène Geoffroy, Nicolas Mayer-Rossignol, Michaël Delafosse et Carole Delga. Lors de la dernière réunion du PS, quasiment la moitié était hostile à la ligne du premier secrétaire. La présidente de la région Occitanie est aujourd’hui dans une position très favorable car elle incarne cette dimension régionale, voire rurale, de la famille socialiste. Elle a été reçue à l’Élysée (lors des consultations d’Emmanuel Macron pour le choix du Premier ministre : NDLR) comme représentante des Régions, ce qui est très important. De plus, l’Occitanie a une forte identité rurale. Cette idée de la proximité a été l’une des grandes difficultés du quinquennat d’Emmanuel Macron et c’est aujourd’hui un questionnement "phare" des acteurs politiques qui ont souvent été qualifiés de "déconnectés". Carole Delga est un peu à la croisée de tous ces signaux positifs.

Dans l’Aude le Rassemblement national oscille entre 35 et 40 %, comment cette gauche peut-elle changer la vie des gens ?

Le vote du RN est celui d’une protestation. Pour simplifier : contre les élites parisiennes qui donnent la sensation d’avoir oublié le monde rural et la périphérie. L’enjeu d’une politique de gauche dans les territoires c’est de se rapprocher, de donner l’impression d’être à l’écoute et des attentes de ces habitants. Sur le plan social, cela est cohérent pour les socialistes. Mais ce qui serait plus contre-intuitif, ce serait d’essayer de convaincre le monde agricole que l’invasion migratoire n’est pas à leurs portes, ce qui est très largement à l’origine de leur vote, même si le monde rural n’y est pas confronté. Il faut combattre cette vision en essayant de convaincre. L’autre question difficile, c’est la transition écologique. Les territoires ont la sensation que cela fait au détriment des milieux agricoles. Dans les deux champs, cela veut dire qu’il faut assouplir, recentrer le discours de cette gauche pour qu’il soit moins interprété comme un discours immigrationniste et d’écologie punitive. La gauche est associée à ça par de nombreux électeurs.

Cette partie de la gauche incarnée par Raphäel Glucksmann ou Carole Delga n’est-elle pas encore minoritaire avec l’apparition de l’union de la gauche autour du NFP ? N’est-il pas trop tard pour rattraper le RN ?

De la part des électeurs, il y a une demande de quelque chose de différent. C’est très compliqué. Le mythe de l’union de la gauche est très fort, les intérêts électoraux avec LFI, pèsent beaucoup sur les décisions des parlementaires socialistes. Ces derniers sont majoritairement d’accord avec cette union pour des raisons électorales. La difficulté réside pour ceux qui souhaitent écrire un nouveau "type" du Parti socialiste en voulant prendre sa direction. La base militante reste très attachée à l’union qui vient d’une mythologie avec le Front populaire de Blum. Mais il existe une dynamique qui commence à exister. On pense par exemple à la possible nomination de Bernard Cazeneuve à Matignon où il y a eu des différenciations. Le fait aussi qu’une majorité des électeurs de gauche étaient favorables à la nomination de l’ancien Premier ministre, cela montre que l’on est prêt à cette transformation. Cela est encore difficile pour l’instant car le PS est incarné par une ligne qui veut l’union. Et les opposants, d’un côté Carole Delga, d’un autre le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol et hors du parti, comme Bernard Cazeneuve, ne sont pas encore unis. Ils n’ont pas formalisé l’unicité de leur opposition. Peut-être que cela pourrait arriver.

Après l’élection présidentielle de 2022, le PS était-il tombé aussi bas ?

Ils avaient touché un étiage que le PS n’avait jamais connu depuis ses origines. Il est forcément le signal d’un renouveau nécessaire qui passe toujours, pour les socialistes, par ceux qui étaient à sa gauche, avant le Parti communiste, LFI aujourd’hui. Il faut d’abord que le PS impose son leadership à gauche, qu’il arrive à se réunir sur une base programmatique suffisamment solide et dégager une figure présidentiable afin de cimenter cette unité. Il y a eu Léon Blum, Jean Jaurès, François Mitterrand, Lionel Jospin et François Hollande, on se demande qui pourra jouer ce rôle. Dans le système qui est le nôtre, c’est une donnée très importante.