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 Le désordre qui vient : radiographie de la France fracturée, par Jérôme Fourquet

  • propos recueillis par Carl Meeus, pour Le Figaro Magazine - juillet 2024 Republié par Jal Rossi
ENTRETIEN - Les élections législatives ont confirmé la partition du pays en trois blocs politiques qui recouvrent les trois blocs sociologiques du pays, estime le directeur Opinion de l’Ifop.
 
Le Figaro. - Vous analysez depuis des années ce que vous avez appelé la montée des eaux bleu marine, en référence à la progression du Rassemblement national aux scrutins nationaux. Cette montée s’est-elle arrêtée dimanche dernier, au second tour des élections législatives?
Jérôme Fourquet. - Nous avons assisté dimanche dernier à un résultat paradoxal, conséquence de deux mécanismes très puissants. D’une part, la poursuite de la montée des eaux bleu marine. Elle s’est matérialisée aux dernières élections européennes avec un score de plus de 31 %, puis au premier tour des élections législatives avec un résultat de plus de 33 %, si on ajoute les alliés d’Éric Ciotti. Ces chiffres sont à comparer aux 19 % du Rassemblement national aux législatives de 2022. Dès le premier tour, le 30 juin, le RN, grâce aux 10,5 millions d’électeurs qui l’ont choisi, a fait tomber dans son escarcelle, 39 députés.
Face à cela, une seconde mécanique, encore plus forte, s’est mise en place, en réaction à cette montée des eaux bleu marine: le front républicain. On a cru qu’il était disloqué de toutes parts. Mais, face à la perspective avérée d’une victoire par majorité absolue du RN, il a été subitement réactivé dans une ampleur historique en deux étapes successives. D’abord, la stratégie de retrait de plusieurs centaines de candidats pour faire barrage au RN et transformer de très nombreuses triangulaires en autant de duels. La seconde dimension, est que les électeurs, une fois que les états-majors ont pris leurs responsabilités, ont massivement joué le jeu du front républicain.
De très nombreux électeurs de gauche ont ainsi voté sans coup férir pour des candidats macronistes. Par exemple, à Tourcoing, des électeurs de gauche ont voté pour Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron peu apprécié à gauche, pour faire barrage au RN. Et inversement des électeurs macronistes ont massivement soutenu des candidats de gauche, voire insoumis pour faire barrage au RN. On peut prendre deux exemples: dans la Somme, ils ont voté pour François Ruffin, un ennemi juré d’Emmanuel Macron. Et dans la Sarthe, le ticket macroniste, qui était constitué d’une cheffe d’entreprise et du maire de Sablé, l’ancien fief de François Fillon, s’est retiré au profit d’une candidate insoumise pour faire barrage à la sœur de Marine Le Pen.
Cette stratégie a conduit dans les très nombreux duels, dessinés artificiellement, à un écrasement ou à un coup d’arrêt très net donné à la montée des eaux bleu marine. Finalement, nous nous sommes retrouvés dans le même scénario qu’aux régionales de 2015. Dans les Hauts-de-France et en Paca, Marine Le Pen et Marion Maréchal Le Pen avaient viré très largement en tête au premier tour avec plus de 40 % des voix. Au second tour, un front républicain s’était constitué et elles avaient été battues à 45 %.
 
En 2015, il y avait eu un autre élément. Le reflux venait aussi de l’abstention des électeurs du RN entre les deux tours. A-t-on assisté au même phénomène cette fois-ci?
Non, le RN s’est maintenu à un haut niveau au second tour. Mais ce qui s’est matérialisé, c’est le fait que, si le RN est en dynamique, qu’il est le principal parti de France en nombre d’électeurs et en nombre de sièges à l’Assemblée nationale, il demeure une force solitaire. La situation actuelle rappelle le système des apparentements de la IVe République. À cette époque, ce qu’on appelait la «troisième force», composée de radicaux socialistes, de socialistes et de démocrates chrétiens du MRP, faisait face à deux blocs puissants, les communistes, d’un côté, et les gaullistes de l’autre.
Le mode de scrutin des législatives était une proportionnelle par département. Face à la perspective d’une victoire des gaullistes ou des communistes, ces forces du bloc central avaient fait voter une loi, dite des apparentements: les listes déclarées apparentées récupéraient tous les sièges d’une circonscription si elles obtenaient la majorité des suffrages. Les gaullistes et les communistes, isolés, avaient été pénalisés par cette loi. Toutes choses étant égales par ailleurs, le front républicain cantonne aujourd’hui le RN aux marges du pouvoir comme le système des apparentements l’avait fait pour les gaullistes et le PC.
Ce scrutin montre une France avec trois blocs, géographiquement et sociologiquement très différents.
Tout à fait. Sociologiquement, le RN, recrute d’abord dans les catégories populaires (47 % parmi les ouvriers et employés au premier tour) et confirme géographiquement son assise dans les territoires où il est implanté depuis très longtemps. Le Nord-Est bien sûr, mais si vous regardez la carte électorale, de Perpignan à Nice, à part quelques enclaves urbaines, sur tout le littoral méditerranéen sans discontinuer, toutes les circonscriptions sont RN.
La deuxième force, c’est la gauche, reconstituée autour du concept de Nouveau Front populaire. Le choix de ce nom ne doit rien au hasard et fait appel à l’histoire. Comme en février 1934, après la mobilisation des ligues, la gauche a fait bloc sous pression de sa base qui scandait «Unité, unité!» face au péril de l’extrême droite. Sociologiquement, ce Nouveau Front populaire recrute un électorat de classe moyenne et supérieure (38 % parmi les professions intermédiaires, 33 % chez les cadres et professions intellectuelles), auquel s’adjoint l’électorat des quartiers qui vote massivement pour la France insoumise. Traduction géographique de cette sociologie: les bastions du NFP se situent à la fois dans les grandes villes et leurs banlieues, auxquelles il faut ajouter les points d’appui historiques de la gauche, notamment dans le Sud-Ouest avec les Landes, l’Ariège ou la Haute-Garonne.
 

«Ces gens qui ont fait des études supérieures, mais qui, comme disait Bourdieu, ont un capital culturel mais pas économique. On les retrouve dans les métiers de la santé, du social, de la culture et de l’éducation.»

 

Le troisième bloc, c’est le camp présidentiel, disposant d’un électorat CSP +, lui aussi urbain. Ensemble remporte ainsi 9 des 12 circonscriptions des Yvelines et 7 des 13 des Hauts-de-Seine. Comme jadis les meilleures circonscriptions de la banlieue rouge étaient réservées aux dirigeants du PC, les figures de proue du macronisme ont été facilement élues dans ces circonscriptions cossues de l’ouest francilien: Yaël Braun-Pivet et Aurore Bergé dans les Yvelines ; Gabriel Attal, Stéphane Séjourné, Prisca Thevenot et Maud Bregeon dans les Hauts-de-Seine. Les Français expatriés ont également apporté un soutien de poids (avec 10 circonscriptions sur les 11 des Français de l’étranger), tout comme les régions d’implantation historique du courant de la droite libérale française modérée ou catholique: l’Alsace, le Grand Ouest, l’Aveyron et les Savoie.
Dans son essai, La tête, la main et le cœur, David Goodhart (essayiste britannique, auteur de la distinction entre les nowhere et somewhere, ndlr) décrivait les trois principaux groupes sociaux composant les sociétés occidentales contemporaines. La tête, ce sont les gens qui ont fait des études et qui dirigent: les cadres, professions libérales et les chefs d’entreprise. La main regroupe ceux qui ont fait moins d’études, la classe laborieuse, qui travaillent dans des métiers manuels. Et puis il y a le cœur. Ces gens qui ont fait des études supérieures, mais qui, comme disait Bourdieu, ont un capital culturel mais pas économique. On les retrouve dans les métiers de la santé, du social, de la culture et de l’éducation. Cette répartition se retrouve dans nos trois blocs électoraux et leurs représentants.
 
De quelle manière?
J’ai fait le décompte des professions des candidats des différentes forces politiques. Chez Ensemble, 59 % des candidats sont chefs d’entreprise, professions libérales, cadres ou ingénieurs. C’est le cas de seulement un tiers des candidats du RN et du Nouveau Front populaire. Le NFP est celui qui compte la plus grosse composante des métiers du cœur: professeurs, profession des arts et spectacles, professions intermédiaires de la santé et du social: 28 % de leurs candidats contre à peine 10 % chez les autres. Et c’est au Rassemblement national, même si ce n’est pas majoritaire, que la proportion de professions intermédiaires, du privé ou du public, des employés et des ouvriers est la plus forte: 24 %, contre 9 % seulement chez Ensemble et 14 % au Nouveau Front populaire.
C’est également au RN que le pourcentage de porteurs de prénoms anglo-américains est plus important: 6 % de Jordan, Kevin ou Tiffany, etc. contre à peine 2 % dans les autres familles politiques. En somme, cette Chambre ingouvernable divisée en trois blocs n’est que la projection politique de ces nouveaux groupes sociaux, très typés. La France est passée d’un mode binaire, opposant la France d’en haut et celle d’en bas, à cette tripartition qui a sa traduction aujourd’hui politique. Le mode de scrutin et les institutions étaient adaptés à une opposition sociale et idéologique binaire. Les alternances se faisaient au sein de ce système. Avec cette équation ternaire, c’est beaucoup plus compliqué d’imaginer une alternance. Tout dysfonctionne.
 
Ces trois blocs sont-ils irréconciliables?
La question est de savoir comment faire retravailler ensemble ces trois entités, qui aujourd’hui vivent dans des univers de plus en plus séparés (44 % des téléspectateurs du JT de TF1 ont voté Bardella aux européennes contre 16 % à gauche et inversement 42 % de ceux du JT de France2 ont voté à gauche contre seulement 15 % pour Bardella), ont développé des visions du monde assez antithétiques. Le modèle est d’autant plus complexe que des proximités peuvent exister ponctuellement entre deux d’entre elles, mais pas toujours entre les deux mêmes entités.
 

«Le RN, premier parti de France, n’a pas droit de cité dans un vaste espace central où se concentrent tous les lieux de pouvoir. Et les décideurs ne côtoient jamais au quotidien ces électeurs.»

 

Sur l’immigration ou les lois sociétales, il peut y avoir un accord entre la tête et le cœur. Sur la hausse du pouvoir d’achat et l’abrogation de la réforme des retraites, il peut y avoir un accord entre la main et le cœur. Mais sur le sécuritaire, on va voir un accord se faire entre la tête et la main. Tout cela traduit un corps social dysfonctionnel, comme si les différents organes n’étaient plus réglés pour travailler ensemble.
 
Si cette tripartition débouche sur une assemblée ingouvernable, cela en fait-il un pays invivable?
Pas forcément. On a connu dans notre histoire des affrontements idéologiques au moins aussi poussés, voire véhéments et pour autant la société française a continué de fonctionner. Quand vous vous promenez dans la rue, vous voyez que le pays continue de tourner. Les entreprises fonctionnent, les gens partent en vacances. La situation politique est tendue, mais il n’y a pas de guerre civile pour autant.
 
Vous évoquiez la force solitaire du RN. Ce handicap ne lui ferme-t-il pas les portes du pouvoir?
Dans les années 1960, le politiste Georges Lavau avait forgé le concept de fonction tribunicienne exercée par le Parti communiste. Il avait utilisé la métaphore romaine pour expliquer que le PCF, donnait la parole, comme le tribun du peuple, aux catégories plébéiennes, qu’il définissait comme les catégories sociales «exclues ou se sentant exclues des processus de participation au système politique, comme d’ailleurs du bénéfice du système économique et culturel». Le PCF défendait ces groupes sociaux, leur donnait un sentiment de fierté, mais restait aux marges du pouvoir.
Je pense qu’on peut réutiliser cette grille d’analyse pour le Rassemblement national. Mais l’isolement du RN est encore aujourd’hui plus prononcé qu’il ne l’était pour le Parti communiste dans les années 1950, 1960 voire 1970. Le PCF avait, jusqu’à la fin des années 1970, des députés dans Paris intra-muros, dans les 11, 18, 19, 20, vieux arrondissements communards, mais aussi dans le 13. Là, si vous regardez la carte électorale, le premier candidat RN élu, est à Pontoise. C’est à 35 km de Paris!
Le RN, premier parti de France, n’a pas droit de cité dans un vaste espace central où se concentrent tous les lieux de pouvoir. Et les décideurs ne côtoient jamais au quotidien ces électeurs. Autre relégation, la relégation culturelle. On a vu avec la réactivation de ce front républicain, un peu moins qu’à certaines époques, mais quand même de manière assez nette, fleurir de très nombreuses tribunes ou de prises de position de footballeurs, d’artistes, de chanteurs, d’universitaires, de gens de la culture ou de grands leaders économiques.
Le RN lui, bien qu’ayant fait 10,5 millions de voix, n’a eu aucun rappeur, aucun footballeur, aucun rugbyman, aucun chanteur avec lui. À la grande époque du PC, il a Sartre et compte de nombreux compagnons de route dans le monde de la culture: Yves Montand, Aragon, Dali, etc. Cette population modeste qui vote pour le Parti communiste se sent représentée par une partie de l’élite. Elle éprouve un sentiment de fierté et, quelque part, elle est intégrée dans le jeu. Cette représentation valorisante n’existe pas pour le RN, dont les électeurs sont dépeints comme des «beaufs» et dont le président a vu ses piètres résultats scolaires dévoilés dans la presse.
 
Qu’est-ce que cela peut produire chez cet électorat comme déception?
Il y a eu une espérance forte chez ses électeurs, surtout dans les endroits où il a fait plus de 40 %, et en même temps, cette prise de conscience implacable que le RN ne peut pas arriver au pouvoir dans des circonstances normales. Beaucoup ont ressenti cette puissante dynamique à laquelle ils ont participé, mais ils se vivent aujourd’hui dans une impasse politique, compte tenu d’une autre réalité française: une majorité absolue d’électeurs ne veulent pas manifestement que le RN accède au pouvoir. Les choses ont bien changé depuis, mais il faut se souvenir de ce qui s’est passé après 2002.
 

«Ce qui compte d’abord pour eux, c’est que dans le tableau que les leaders du RN dressent du pays, ces catégories soient bien présentes, que leurs difficultés quotidiennes et leurs inquiétudes soient bien prises en compte.»

 

Jean-Marie Le Pen, qualifié pour le second tour, avait là aussi, suscité un formidable espoir dans l’électorat FN. Mais la défaite écrasante du second tour face à Jacques Chirac (82 % des voix) a entraîné une énorme gueule de bois dans cet électorat à l’époque. Cette déception vis-à-vis de Jean-Marie Le Pen a rendu une partie de cet électorat disponible à la candidature d’un certain Nicolas Sarkozy, qui a surgi à ce moment-là. En se démarquant de Chirac, il a expliqué aux électeurs FN qu’il allait troquer un peu de radicalité du programme du FN contre de l’efficacité électorale. Il a récupéré nombre d’électeurs de Jean-Marie Le Pen en 2007.
 
Cela veut-il dire qu’il y a un chemin pour les LR? Une carte à jouer similaire à celle de Nicolas Sarkozy en 2007?
Le potentiel en termes de déception est là au RN. Mais la différence c’est qu’à l’époque, le FN était à 18 % et la droite à 25 %. Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Le RN est à plus de 30 %. Et la droite à 7 ou 8 %. Ce n’est généralement pas le partenaire junior qui prend les clés du camion! Cette réalité électorale change quand même la nature des choses.
Les résultats de dimanche dernier montrent aussi que contrairement à ce que disait l’italien Gramsci, on peut gagner la bataille culturelle, mais perdre la bataille politique. La bataille culturelle était plutôt gagnée par la droite sur l’immigration, sur la sécurité. Mais la bataille politique a été remportée par la gauche…
… Grâce aux désistements! Si le cours électoral s’était déroulé comme notre mode de scrutin l’envisage, nous n’aurions sans doute pas eu le même résultat final. Ces désistements et ce front républicain ont introduit un élément de perturbation énorme dans la résolution de l’équation…
 
Et aussi chez les sondeurs!
Bien sûr, aussi. À l’Ifop, nous avons dit dès le début qu’il n’y aurait pas de majorité absolue pour le RN du fait de la réactivation du front républicain. Mais toute la question était de savoir quelle allait être la force de ce front républicain. En 2017, sur 99 duels entre En Marche et le RN, ce dernier en avait gagné seulement 7. En 2022, sur 108 confrontations, le RN en gagne 54, car le front républicain ne fonctionne plus. Dimanche dernier, il n’a remporté que 24 des 135 duels face à des candidats macronistes, qui ont bénéficié de reports massifs de la gauche.
La perspective avérée d’une victoire du RN a réactivé quasiment à son plus haut niveau le front républicain. Mais plusieurs éléments ont encore accentué ce phénomène. On a vu que le parti n’était absolument pas prêt à prendre les rênes du pouvoir. Avant le premier tour, des cadres importants du parti avaient oublié que certaines mesures n’étaient plus au programme ; au niveau local, une flopée de candidats peu recommandables a été investie. Le RN évoquait un «plan Matignon», un shadow cabinet et des textes de lois déjà rédigés.
À la veille de la guerre de 1870, le ministre de la guerre avait dit qu’il ne manquait pas un bouton de guêtre à son armée. Il manquait toute une partie de l’habillement et de l’équipement de l’armée bleue Marine! Enfin, dernier élément, un personnage a quasiment disparu des écrans pendant une semaine: Emmanuel Macron. Cela a sans doute permis à des électeurs de gauche de se reporter plus facilement sur les candidats macronistes.
 
Le recul du RN sur la réforme des retraites a-t-il pu dissuader des électeurs de voter pour ses candidats?
Je ne pense pas que cela ait pu jouer sur le socle des électeurs RN. Ce qui compte d’abord pour eux, c’est que dans le tableau que les leaders du RN dressent du pays, ces catégories soient bien présentes, que leurs difficultés quotidiennes et leurs inquiétudes soient bien prises en compte. À partir du moment où ils ont le sentiment que le RN «les calcule», comme diraient les jeunes, ces électeurs sont solidement ancrés à ce parti.
 

«Certes, ils n’ont pas gagné dans ces circonscriptions, mais partout, c’étaient des duels avec le RN. La France de l’ouest était historiquement à l’écart des trafics de drogue. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et elle se retrouve désormais confrontée aux rixes entre bandes rivales dans la moindre ville moyenne.»

 

En revanche, les atermoiements, les volte-face ont pu dissuader certains électeurs moins arrimés à ce bloc. Enfin, cela a surtout décuplé l’inquiétude de tous les gens de gauche et du centre, qui se sont encore davantage persuadés qu’économiquement ce programme n’était pas sérieux. Et que derrière la «stratégie de la cravate» à l’Assemblée, c’était en fait le «retour des fachos».
 
Quel regard portez-vous sur le choix d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée?
Le président de la République, avait dit au moment de ses vœux qu’avec la commémoration du 6 juin, les Jeux olympiques, la fin du chantier de Notre-Dame et l’anniversaire de Villers-Cotterêts, 2024 serait un millésime français… Avec la dissolution, 2024 sera de facto un millésime français, car le monde entier et surtout l’Europe ont regardé la France. J’ai été très marqué par la cérémonie d’arrivée de la flamme olympique à Marseille le 8 mai dernier. Il y a eu un effet de cécité de la part du sommet du pouvoir.
Ils se sont illusionnés sur une espèce de magnifique village Potemkine. Les JO permettaient de raconter une belle histoire d’une France unie, rayonnante. C’était très valorisant pour le Président de montrer la France dans un écrin. Mais cela ne correspondait pas à la réalité des problèmes de pouvoir d’achat des Français, de leurs inquiétudes quant à l’insécurité ou l’immigration. Ils ont voulu gommer les fractures françaises, le temps des JO, mais le décor Potemkine s’est déchiré le 7 juillet.
 
La question de l’insécurité a-t-elle moins joué sur ce scrutin?
Il ne faut pas oublier les scores du RN! Il passe en deux ans de 89 à 145 députés! Plus de 10 millions de voix au premier tour. La question de l’insécurité a été un puissant carburant à la dynamique frontiste. Dans la Drôme, à Crépol où le jeune Thomas est mort à la sortie d’un bal, la liste Bardella a atteint 46 % aux européennes et doublé son score par rapport à 2019. Au second tour des législatives, le RN est à 30 % en Mayenne ou dans le Morbihan.
Certes, ils n’ont pas gagné dans ces circonscriptions, mais partout, c’étaient des duels avec le RN. La France de l’ouest était historiquement à l’écart des trafics de drogue. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et elle se retrouve désormais confrontée aux rixes entre bandes rivales dans la moindre ville moyenne. Last but not least, la question de l’insécurité a aussi pesé sur un autre phénomène majeur. Historiquement les hommes votaient plus RN que les femmes.
Le rééquilibrage s’est opéré aux européennes et poursuivi aux législatives, la progression dans la gent féminine expliquant à elle seule une part significative de la progression générale. La question du pouvoir d’achat a joué - les femmes sont moins payées que les hommes, elles sont surreprésentées dans les familles monoparentales, - mais l’insécurité aussi. Beaucoup de ces femmes entre 30 et 50 ans se définissent d’abord comme des mamans. Elles sont inquiètes pour leurs enfants et se sentent davantage exposées aux incivilités et aux agressions.
 
Si le pays est bloqué, Emmanuel Macron ne sera-t-il pas contraint à démissionner avant l’échéance de 2027?
Le président de la République avait souhaité une clarification avec la dissolution, il en est ressorti une plus grande confusion. Il est plus minoritaire qu’avant à l’Assemblée nationale. Si on devait rester dans cette situation de blocage et de confusion, la possibilité d’une démission d’Emmanuel Macron pourrait être demandée par une partie de l’opposition. Une élection présidentielle anticipée pourrait alors contribuer à cette fameuse clarification.�
Illustration :
  • Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion de l’Ifop. Auteur du «Tableau politique. La France d’après» (Seuil, 2023). @ Eric Garault pour Le Figaro Magazine
  • Vidéo. - Jérôme Fourquet : «Cette France divisée en 3 blocs est ingouvernable» - Durée 08:29 - Pour le directeur du département Opinion de l'IFOP, la nouvelle assemblée nationale révèle une France tripolaire,
   
 
 


27/07/2024
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