2490 - quand les surfeurs arrivent en vagues 1 post

Tensions dans les Landes : quand les surfeurs arrivent en vagues

  • par Jean-Luc Clouard, pour Le Point - août 2023
L’ENQUÊTE. Dans le village landais de Moliets-et-Maa, des frictions chroniques opposent écoles de surf, surfcamps et riverains.La mairie a décidé de gendarmer.
 
 
Dans les vagues, les planches en mousse colorée et les Néoprène noirs pourvus de Lycra usagé dessinent, de juin à septembre, des guirlandes quasi continues de quelques centaines de mètres. Mammifères terrestres peu habiles dans l'eau, des dizaines et des dizaines de corps montent et descendent, glissent ou pataugent dans la mousse, tentant des équilibres difficiles à tenir. «Des troupeaux d'otaries», n'hésite pas à se moquer Camille Reine, prof de surf enseignant sur la plage des Chênes-Lièges et qui ne retient pas ses sarcasmes.
À Moliets-et-Maa, cité balnéaire landaise de 1.500 habitants, qui accueille entre 20.000 et 25.000 touristes durant les semaines chaudes de la saison, la surfréquentation des spots de surf est devenue une source de tensions chroniques qui s'aggravent d'année en année. Frictions permanentes, coups de sang, vitres de voitures «mal» stationnées brisées, altercations à n'en plus finir sur les limites des territoires de chacun…
 
«Le RER B un jour de grève»
«Il y a maintenant beaucoup trop de surfeurs dans l'eau au même moment», déplore «Pilule», gueule de baroudeur, figure locale, ancien maître-nageur-sauveteur et prof de surf depuis plus de trente ans. «Lorsque j'ai commencé, mon père essayait de me dissuader d'en faire mon métier, en disant que le surf, c'était de la poésie. Aujourd'hui, mes alexandrins ont pris sacrément de la valeur et tout le monde veut croquer dans le gâteau.» Le goût du surf a fait tache d'huile.
 
Dans les Landes, sur la côte basque, en Gironde, en Bretagne… les communes littorales doivent faire face à la même situation. Au total : 174 spots de surf répertoriés en France par la Fédération française de surf, 121 écoles labellisées, et sans doute de quatre à cinq fois plus en réalité. À raison de trois ou quatre moniteurs par école, trois ou quatre sessions par jour et huit élèves par moniteur pendant les cent jours que dure la pleine saison touristique, entre 3 et 4 millions de sorties de surf sont faites dans l'été, au bas mot. Une densité qui évoque «le RER B un jour de grève», déplorent des Parisiens en vacances.
«Venir sur la côte sans prendre de cours de surf, c'est un peu comme aller à Venise sans voir le pont des Soupirs», ironise Éric Gatti, qui exploite Soon Line, un magasin spécialisé en skate et surf place de la Balise et qui, lui aussi, propose des cours. Cet enthousiasme a généré un business énorme : cours, hébergement, restauration, vente et location de boards et de Néoprène. Une manne qui permet de gagner sa vie en faisant ce que l'on aime, en travaillant quatre à six mois par an. Et, au moins pour les écoles, en n'étant pas toujours impeccablement en règle avec l'Inspection du travail, l'Ursaff ou les impôts.
 
Glisse et fête au camping
Seulement voilà, pour que le surf garde son image d'activité cool, il faut de l'espace sur les vagues pour apprendre en sécurité et pour ressentir les bonnes sensations. Pendant l'été, ce n'est plus le cas. Sont montrés du doigt comme étant les principaux responsables de l'afflux massif d'apprentis riders à Moliets : les surfcamps. En particulier ceux installés au camping des Cigales et gérés par le tour-opérateur allemand Pure Surf qui, chaque année depuis vingt ans, commercialise des milliers de séjours «glisse», plutôt entrée de gamme, auprès d'une jeune clientèle principalement allemande.
Pendant l'été, plus d'une dizaine de camps sous toile sont installés sur le camping pour accueillir de jeunes adultes qui viennent apprendre à surfer autant que faire la fête. Esprit roots garanti sous les pins landais, options végan ou yoga pour certains.
 
Combien sont-ils chaque semaine dans les campings ? Si l'on ajoute les séjours pour les ados organisés par l'UCPA et ceux des voyagistes espagnols ? 500, peut-être. Difficile à vérifier. Même Aline Marchand, la maire (sans étiquette) de Moliets, n'ose certifier que le montant des taxes de séjour qu'elle perçoit – 500.000 euros au total, tous hébergements confondus – correspond au nombre réel de nuitées. Et ce n'est sûrement pas Arnaud Haritschelhar, le gérant des Cigales, qui révélera les chiffres exacts. Mieux vaut rester vague, il y a trop d'enjeux commerciaux associés : nourriture, alcool, transport par bus… Le gérant est d'autant moins ouvert à s'exprimer qu'il ne détient que 25 % des parts du camping (Cap Fun, le «spécialiste du camping 4 étoiles en France» en détient 50 %), et est considéré comme le fauteur de troubles.
 
Des «locaux» affirment même tout à fait ouvertement qu'il y a trop d'étrangers, notamment trop d'Allemands… et que les moniteurs des camps sont bien moins formés que les leurs. Ce qui ne les empêche pas d'employer, eux aussi, des diplômés de l'International Surfing Association (ISA). Cette certification est moins exigeante, plus rapide et facile à obtenir, donc donne lieu à des salaires moins élevés que les brevets d'État estampillés Fédération française de surf, indiscutablement de bien meilleur niveau.
 
Une charte de bonne conduite
En octobre 2022, un vent de fronde s'est répandu dans la ville lorsque 2.500 pétitionnaires, conduits par un groupe de riverains, ont exprimé leur ras-le-bol. Car, évidemment, la surfréquentation ne se limite pas aux vagues. Les résidents installés près de la plage située à l'embouchure du courant de Huchet – réserve naturelle riche en espèces protégées – se disent exaspérés trois mois sur douze par «des nuisances incessantes et des incivilités permanentes».
 
Difficulté de circuler sur l'unique voie d'accès à leurs résidences, feux sur la plage, tapages diurnes et nocturnes, consommation d'alcool, jets de canettes et de détritus… «Un véritable squat de la plage et des vagues, transformé en zone de non-droit», explique Robin Jouanicou, porte-parole de la quarantaine de riverains en colère. Qui ne savent pas auprès de qui agir pour faire cesser ces insupportables débordements qui, par ailleurs, rendent leurs maisons plus difficiles à louer pendant la saison.
 
En janvier dernier, en présence du sous-préfet venu de Dax, la mairie a proposé aux écoles de surf de participer à l'élaboration d'une «charte de bonne conduite» visant à limiter volontairement le nombre de surfeurs présents dans les vagues. Ces règles seront «faciles à appliquer», car «faisant appel au bon sens et au civisme de chacun», mentionnait le texte municipal spécifiant clairement que «certaines structures» devront «repenser leur modèle économique». D'abord réticents, la plupart des intéressés ont fini par en accepter le principe. Même «Pilule» a reconnu «la bonne volonté de la mairie».
Ole Schmidt, le représentant en France de Pure Surf, assure – sans convaincre – avoir diminué de 40 % le nombre de séjours commercialisés cette saison. «Nous sommes les boucs émissaires, dit-il. Nous avons contribué au développement économique de la ville et nous avons aussi besoin d'une offre surf qualitative pour satisfaire nos jeunes clients.» Ce n'est pas pour rien que le tour-opérateur bénéficie des partenariats de Quiksilver et du site de vente en ligne Blue Tomato, que l'un de ses représentants siège au board de l'Eurosima (l'association européenne des industriels du surf, installée à Hossegor) et que plusieurs écoles locales travaillent avec lui.
 
Les gendarmes de Villeneuve-d'Ascq à la rescousse
Pour mettre de la visibilité dans ces eaux troubles, et comme cela se fait déjà ailleurs, la mairie a attribué des Lycra spécifiques à chaque école. Soit une couleur pour un moniteur et huit élèves simultanément dans l'eau. Pas un de plus. Visibles de loin. Plus faciles à contrôler. Pour l'heure, cela a plutôt l'air de fonctionner, même si certaines écoles en accusent déjà d'autres d'en «sous-louer»… aux surfcamps !
 
Avec un peu de retard pour cause d'émeutes urbaines, dix hommes de l'escadron de gendarmerie mobile de Villeneuve-d'Ascq ont pris leurs quartiers d'été à Moliets à la mi-juillet. «Aucune intervention depuis, aucun signalement pour tapage nocturne», affirmait, quelques jours après leur arrivée, le lieutenant Gallet – qui avait d'ailleurs lui-même profité d'un jour de congé pour louer un bodyboard. «Pour l'instant, cela s'est amélioré», se félicitait de même, mais avec prudence, la maire de Moliets. Un retournement de situation est toujours possible.
Le 13 juillet, dans la commune voisine de Capbreton, à la suite du recours engagé par une école mécontente de voir son activité limitée par une demande d'autorisation préalable, la mairie a été déboutée par le tribunal administratif. Et, début août, les riverains de Moliets regrettaient toujours que les jeunes fêtards n'aient rien changé à leurs habitudes…
 
«En tant que futur éducateur sportif, quel regard portez-vous sur l'accroissement important du nombre d'écoles de surf ces dernières années ? Est-ce, selon vous, une bonne chose pour le développement de la pratique ou faut-il réguler pour mieux partager la plage et ses différents usages ?» Tel est le sujet de la dissertation sur laquelle les candidats ont dû plancher pour être admis, en début d'année, à la formation au Brevet professionnel (BPJEPS), option surf. Ils avaient 1 h 30 pour y répondre… Un nouveau genre de poésie.�
Illustration :
  • Moliets-et-Maa, le 17 juillet 2023. Les nombreuses écoles de surf et les surfcamps du village landais se partagent le territoire exceptionnel du courant de Huchet. © Sebastien ORTOLA / REA / Sebastien ORTOLA / REA POUR «LE POINT»
  • La France compte 121 écoles de surf labellisées, et sans doute trois à quatre fois plus en réalité. © Sebastien ORTOLA / REA / Sebastien ORTOLA / REA POUR «LE POINT»
  • Moliets-et-Maa, le 17 juillet 2023. Des jeunes font la fête dans le surfcamp Surfblend, hébergé par le camping Saint-Martin. © Sebastien ORTOLA / REA / Sebastien ORTOLA / REA POUR «LE POINT»
 
 
 
 


26/08/2023
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion