3882-Pourquoi Mitterrand n'a jamais voulu nommer Mélenchon ministre ? 1 post

����� Pourquoi Mitterrand n’a jamais voulu nommer Mélenchon ministre
  • par Christine Clerc, pour Le Point - juin 2025
Entre admiration affichée et tempérament jugé ingérable, les raisons du désamour entre le jeune Mélenchon et le sphinx de l’Élysée.
 
«Marchez votre chemin, Monsieur !» Et si ce mot célèbre, lancé à Jean-Luc Mélenchon par François Mitterrand peu de temps après son entrée à l'Élysée, avait été non pas un encouragement, mais un avertissement : «Vous ne compterez jamais parmi les miens» ! Car en quatorze ans de présidence, Mitterrand n'interviendra jamais auprès de ses Premiers ministres pour qu'ils fassent entrer au gouvernement le trotskiste devenu son admirateur. Celui-ci ne deviendra ministre (délégué à l'Enseignement professionnel) que dans le gouvernement de cohabitation mené par Lionel Jospin, sous la présidence de Jacques Chirac.
À l'Élysée, un admirateur envahissant ?
Dans la décennie 1980, pourtant, alors qu'il vient de quitter l'Organisation communiste internationaliste pour entrer au Parti socialiste et être bientôt élu au conseil municipal de Massy-Palaiseau (Essonne) en 1983, puis au conseil général de l'Essonne et bientôt au Sénat en 1986, Mélenchon, le jeune barbu, a su se faire remarquer à la fois par son talent oratoire, son souci d'élégance et son habitude, déjà, de se faire conduire en voiture par des camarades dévoués, au prétexte qu'il n'a pas son permis… Cela suscite des interrogations, voire une certaine méfiance. Ainsi, le maire de Massy, Claude Germon, expliquera-t-il pourquoi il a donné à Mélenchon un poste à la Fédération socialiste plutôt que les commandes de la ville : «L'administration concrète n'est pas son genre.»
On cite aussi ses gestes théâtraux, comme son refus, seul parmi les 348 sénateurs réunis dans l'amphithéâtre du Palais du Luxembourg, de se lever pour saluer, en 1989, la énième réélection du président Alain Poher. Mais personne ne raconte encore les colères du jeune ambitieux. Fin psychologue, Mitterrand a-t-il perçu d'emblée, parmi les tout premiers, le tempérament de Mélenchon – cette violence qu'il sera de moins en moins capable de surmonter ? C'est une évidence, même si le jeune ambitieux se montre alors quasiment amoureux du président socialiste ! Il parle avec émotion de son intelligence et de sa «grande délicatesse» et confesse pour lui «un amour filial».
Il est fier, particulièrement durant les trois années où Michel Rocard est Premier ministre (mai 1988 – mai 1991), d'être convié discrètement à l'Élysée, comme son camarade Julien Dray, cofondateur du mouvement de la Gauche socialiste, pour critiquer librement le discours et l'action du locataire de Matignon. Comme si le président socialiste n'avait nommé Rocard que pour apporter la démonstration de son incapacité à gouverner. En tout cas, Mitterrand s'amuse des commentaires féroces des deux jeunes gens. «Ah, vous croyez ?» sourit-il.
Deux jeunes amoureux
Mais enfin, finira par se demander douloureusement, rageusement, Mélenchon, pourquoi, en deux septennats, le président socialiste n'aura-t-il jamais appelé au gouvernement celui qui le désigna si affectueusement sous le nom de «Tonton» et qui lui fut si fidèle ? On évoque souvent son âge : il n'a que 30 ans lorsque Mitterrand devient, à 64 ans, président. Trop jeune ! Mais trois ans plus tard, lorsque Laurent Fabius sera nommé, à 37 ans, «plus jeune Premier ministre de la France», pourquoi n'entrera-t-il pas au gouvernement ? Et douze ans plus tard, lorsqu'il aura dépassé la quarantaine ?
En fait, il le sait bien, il ne s'agit pas d'âge. Pas même d'orientation politique ou de classe sociale : le fils de modestes Franco-Marocains né à Tanger et devenu prof de philo à Lons-le-Saunier, la ville natale de Victor Hugo, ne peut-il se vanter d'être reçu par de grands bourgeois lettrés, voire par un «aristo» ? Certes, il ne sera convié ni à Latche, le refuge dans les Landes où ses amis font de grandes promenades à pied sous les pins avec un Mitterrand armé de sa canne, ni aux dîners dans de bons bistrots parisiens tels La Cagouille, organisés par des proches de Mitterrand comme le PDG de Saint Laurent, Pierre Bergé (mort le 8 septembre 2017).
Mais je me souviens d'avoir vu le futur chef révolutionnaire attendre, vêtu de cachemire et cravaté, dans une antichambre du Figaro, l'une de ses premières rencontres avec le directeur Jean d'Ormesson. Le souvenir de Jean d'O serait sobre, un brin amusé : «Un homme intelligent, cultivé. Un orateur magnifique.» Mais le récit que fait Mélenchon de ses échanges avec l'auteur de Au plaisir de Dieu est sidérant. «Nous parlions comme de jeunes amoureux de littérature et d'histoire de France.»
Mélenchon sait-il que l'académicien de droite est souvent convié à déjeuner en tête à tête à l'Élysée ? Saura-t-il que, pour son dernier jour de président, le 17 mai 1995, François Mitterrand choisira de recevoir au petit déjeuner, avant la passation de pouvoir à Jacques Chirac, un seul invité : Jean d'Ormesson ? L'écrivain évoquant «l'affaire Bousquet» – du nom du célèbre collaborateur des nazis, assassiné deux ans plus tôt –, le président lui confiera alors ce que Jean d'O révélera plus tard dans un livre de souvenirs (Le Rapport Gabriel, Gallimard, 1999) : «Vous constaterez là l'influence puissante et nocive du lobby juif.»
Du programme commun à «la meute»
À l'époque, Mélenchon ne tient pas – du moins en public – ce langage. S'il défend Mitterrand, c'est d'abord, clame-t-il, pour l'audace de son «programme commun» avec les communistes, dont il rappelle les grands titres de 1981 : impôt sur la fortune, retraite à 60 ans, nationalisations.
Parmi ceux qui l'apprécient à gauche, on compte alors plusieurs membres éminents de la communauté juive, à commencer par Jean-Pierre Guedj, le père du député socialiste Jérôme Guedj, qui a désormais rompu avec lui.
Car en quinze ans, que de dérapages ! Dans un livre passionnant, La Meute (Flammarion, 2025), les journalistes Charlotte Belaïch et Olivier Pérou en retracent la progression. En 2020, Mélenchon accuse Pierre Moscovici, le président de la Cour des comptes, de «ne pas penser français, mais finances internationales». Quelques mois plus tard, il soupçonne ouvertement la Première ministre Élisabeth Borne d'avoir, comme fille de rescapé de la Shoah, «le point de vue d'un étranger sur la situation à Gaza». En octobre 2023, il se moque de la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, en visite au Proche-Orient : «Elle campe à Tel-Aviv». En décembre, il désigne pour cible la journaliste Ruth Elkrief : «Une fanatique, qui s'indigne si on n'injurie pas les musulmans.» Etc., etc.
Mitterrand avait vu juste : cet homme si doué pour la parole était un complexé. De plus en plus incapable, avec l'âge et les échecs, de dominer les colères et les jalousies qui marquent désormais, pour toujours, son visage et sa voix.�
  • Illustration : Jean-Luc Mélenchon, portant l’écharpe rouge de François Mitterrand, lors de l’hommage à Danielle Mitterrand sur le pont des Arts, à Paris, le 24 novembre 2011. © NIVIERE / SIPA
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16/06/2025
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