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André Vallini : « Pour une nouvelle fédération de la gauche »
Victor Hugo célébrait l'universalisme républicain, je ne me reconnais pas dans le communautarisme qui fracture la République. Jean Jaurès enseignait d'aller à l'idéal en tenant compte du réel, je refuse la radicalité du discours qui masque l'impuissance de l'action. Pierre Mendès-France s'imposait de dire la vérité, je récuse l'électoralisme qui permet d'éphémères victoires débouchant sur de durables défaites.
Robert Badinter m'a enseigné la rigueur intellectuelle, je réprouve la démagogie qui dit au peuple ce qui peut lui plaire plutôt qu'au pays ce qui peut le sauver.
C'est pourquoi je ne reconnais plus la formation politique à laquelle j'ai adhéré lorsque le Premier secrétaire s'appelait Lionel Jospin qui reste pour moi l'incarnation de la rectitude intellectuelle, morale et politique à laquelle devraient s'astreindre tous ceux qui prétendent incarner l'idéal socialiste.
Aujourd'hui, en continuant d'être soumise à la France Insoumise, la direction socialiste fait fausse route. Certes, il ne faut pas ignorer l'aspiration populaire au rassemblement des forces de gauche. Mais cette aspiration, qui n'est pas nouvelle, ne saurait nous conduire à répudier nos valeurs démocratiques, à renier notre culture gouvernementale, à abjurer notre foi européenne.
Déstabilisée par la mondialisation économique et le dérèglement climatique, bousculée par les revendications identitaires et par les aspirations sécuritaires, abandonnée par les classes populaires et boudée par les classes moyennes, les socialistes doivent mettre à jour leur corpus idéologique, car si le PS est affaibli, l'idée socialiste, elle, demeure plus vivante que jamais.
Que voyons-nous en effet, périodiquement dans le monde, sinon des peuples en colère qui exigent moins d'inégalités et plus de libertés ? Et en France même, ne retrouve-t-on pas dans les accès de fièvre hexagonale cette double exigence d'une démocratie plus vivante et d'inégalités moins criantes ?
En s'adressant à l'intelligence des citoyens plutôt qu'à leurs instincts, à leur raison plutôt qu'à leurs pulsions, l'honneur du socialisme est toujours d'élever les peuples au-dessus d'eux-mêmes pour leur éviter de céder aux populismes stériles ou à la xénophobie dangereuse. C'est toujours possible à condition de connecter le socialisme au monde d'aujourd'hui en intégrant la nécessité d'une croissance respectueuse de la nature, celle d'une nouvelle décentralisation et d'un État stratège allégé d'une bureaucratie dispendieuse, celle d'un nouveau droit du travail protecteur des salariés précarisés par l'ubérisation, celle d'une politique sécuritaire assumée face à la délinquance ou encore celle d'une maîtrise renforcée de l'immigration face aux difficultés de l'intégration.
Et dans une société atomisée où l'individualisme est exacerbé par des représentations exaltant la compétition sauvage et la loi du plus fort, c'est aux socialistes d'expliquer qu'il existe toujours un bien commun que seules des logiques collectives permettent de satisfaire dans l'intérêt du plus grand nombre et notamment de l'électorat populaire.
Un électorat qui a abandonné le Parti socialiste puisque celui-ci l'avait délaissé en se préoccupant des questions sociétales plutôt que de la question sociale. Certes, les nouvelles générations urbaines comme les minorités se retrouvent dans ces nouveaux combats, au demeurant nécessaires. Mais le peuple lui, dans ses profondeurs, en reste bien éloigné, préoccupé qu'il est d'abord par son pouvoir d'achat, ses conditions de travail, son accès au logement, la réussite scolaire de ses enfants, ou son âge de départ à la retraite.
La gauche du réel doit parler à ces électeurs désorientés par les outrances insoumises. Mais elle doit avant se rassembler pour peser. La première étape sera celle que François Hollande a raison de demander : une nouvelle direction du PS.
Un PS qui devra ensuite initier, sans hégémonisme, mais fort de sa régénération, le rassemblement des forces aujourd'hui dispersées : la Convention de Bernard Cazeneuve, Place Publique de Raphaël Glucksmann, les initiatives qu'ont prises Carole Delga et Karim Bouamrane, ou encore les macronistes de gauche que sont restés Sacha Houlié ou Pascal Canfin.
Cette fédération de gauche pourra alors, dans sa diversité, devenir l'instrument politique de l'émancipation individuelle contre les déterminismes, de la promotion sociale contre les assignations collectives, de l'écologie responsable contre le productivisme prédateur, de la construction européenne contre le repli xénophobe. En ayant le courage de se confronter au réel sans oublier son idéal, plutôt que de poursuivre un idéal sans tenir compte du réel.
Cette gauche qui choisit d'assumer l'exercice difficile des responsabilités plutôt que d'adopter la posture facile des incantations, doit demain se rassembler pour retrouver la confiance du peuple et le chemin du pouvoir.