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 Pierre-André Taguieff : «L'antisionisme radical est au cœur de l'imaginaire islamo-gauchiste»

  • par Guillaume Daudé, pour Le Figaro - octobre 2023
ENTRETIEN - Les réactions d’une partie de la gauche face à l’attaque du Hamas mettent en lumière le lien entre l'islamo-gauchisme et l’antisionisme radical, analyse le philosophe*. Selon lui, celui-ci se caractérise par une entreprise de diabolisation de l'État juif, considéré comme un État criminel.
 
Le Figaro. – Depuis le début de l’attaque du Hamas, plusieurs membres de La France insoumise ont refusé de qualifier cette organisation de terroriste. Vous avez forgé le concept d'islamo-gauchisme au début des années 2000. Y est-on ?
 
Pierre-André Taguieff. – On reconnaît un islamo-gauchiste à ce que, dans sa panoplie idéologique et rhétorique, il place au premier plan deux impératifs. Tout d'abord, l'engagement inconditionnel en faveur de la «cause palestinienne», traitée comme une cause sacrée, et donc la lutte, par tous les moyens, contre le «sionisme», diabolisé en tant que «racisme», «colonialisme» et «impérialisme». Ensuite, la «lutte contre l'islamophobie», permettant de diaboliser comme «islamophobes» ceux qui, par exemple, oseraient qualifier de «terroristes», et plus précisément de «terroristes antijuifs», les prétendus «résistants» du Hamas ou du Jihad islamique, mouvements islamistes dont l'objectif déclaré est pourtant de détruire l'État d'Israël, en recourant notamment à des actions terroristes contre les civils israéliens.
 
En France, les partis néo-gauchistes, à commencer par La France insoumise et le NPA, rejoignant le Parti des Indigènes de la République, se sont ralliés à ce propalestinisme islamophile, voire islamismophile, fondé sur la criminalisation du sionisme et d'Israël, et l'érection des tueurs djihadistes en héros ou en martyrs de la «résistance» palestinienne. L'idée de révolution est elle-même islamisée dans les mouvances de la nouvelle extrême gauche issue du tiers-mondisme et de l'altermondialisme : le nouveau prolétariat des néo-révolutionnaires est constitué pour l'essentiel de populations issues d'une immigration de religion musulmane, qui, soumises à la propagande islamo-palestinienne et à un endoctrinement victimaire, s'identifient spontanément aux Palestiniens réduits à des «victimes du sionisme». Dans la configuration islamo-gauchiste, le nouveau combat révolutionnaire est ainsi islamisé tandis que les «sionistes» sont nazifiés et que les Palestiniens-victimes sont donnés pour les «nouveaux Juifs», les persécutés par excellence.
 
«L'antisionisme radical se reconnaît d'abord à son argumentation, dont la finalité est de légitimer la destruction d'Israël, en banalisant l'assimilation polémique d'Israël à un "État raciste" ou d'"apartheid", "colonialiste" et "criminel".» Pierre-André Taguieff
 
L'islamo-gauchisme existe aujourd'hui comme courant d'opinion et comme mouvement idéologico-politique, avec ses militants, ses avocats, ses propagandistes, ses «idiots utiles», ses élus et leurs complices. L'antisionisme radical, pour qui le sionisme est l'incarnation du Mal, est au cœur de l'imaginaire islamo-gauchiste. La nazification de l'ennemi israélien ou «sioniste» fait désormais partie du champ des évidences idéologiques, comme en témoigne, sur France Inter le 29 octobre, la chronique de l'humoriste Guillaume Meurice dans lequel Benjamin Netanyahou est désigné comme «une sorte de nazi, sans prépuce».
 
D'où vient l'antisionisme ?
Il faut s'entendre sur le sens du mot, à forte charge polémique. L'équivocité du terme «antisionisme» vient de ce que ses emplois oscillent en permanence entre deux significations: d'une part, la critique de telle ou telle politique de tel ou tel gouvernement israélien, et, d'autre part, une entreprise de diabolisation de l'État juif, voué à être éliminé comme tel – ce qui relève à la fois de l'antisémitisme (au sens courant du terme) et du racisme, marqué par des appels à la haine et à la violence contre tout ce qui est supposé être «sioniste».
 
L'antisionisme radical se reconnaît d'abord à son argumentation, dont la finalité est de légitimer la destruction d'Israël, en banalisant l'assimilation polémique d'Israël à un «État raciste» ou d'«apartheid», «colonialiste» et «criminel». Cinq traits permettent de définir le discours des antisionistes radicaux :
1° le caractère systématique de la critique d'Israël ;
2° La pratique du «deux poids, deux mesures» face à Israël, c'est-à-dire le recours au «double standard», qui revient à exiger d'Israël un comportement qu'on n'exige d'aucun autre État-nation démocratique ;
3° La diabolisation de l'État juif, impliquant une mise en accusation permanente de la politique israélienne fondée sur trois bases de réduction mythiques : le racisme-nazisme-apartheid, la criminalité centrée sur le meurtre d'enfants palestiniens (ou musulmans) et le complot juif mondial (dit «sioniste»), dont la «tête» se trouverait en Israël ;
4° La délégitimation, par tous les moyens, de l'État juif, impliquant la négation de son droit à l'existence, donc la négation du droit du peuple juif à vivre comme tout peuple dans un État-nation souverain ;
5° L'appel répété à la destruction de l'État juif, impliquant la réalisation d'un programme de «désionisation» radicale, ou plus simplement une guerre d'extermination, où l'Iran nucléarisé jouerait le rôle principal.
 
«Longtemps avant la création de l'État d'Israël et l'invention du "peuple palestinien", le rejet du sionisme par certains dirigeants de ces derniers était motivé et légitimé avant tout par des motifs religieux.» Pierre-André Taguieff
 
C'est cet appel à l'éradication qui forme le cœur du programme de l'antisionisme radical, qui, mode de stigmatisation et de discrimination conduisant à la diabolisation de l'État d'Israël, relève du racisme, et comporte une claire intention génocidaire. On peut y voir la persistance de l'un des plus vieux thèmes d'accusation visant les Juifs: Israël en tant qu'«ennemi du genre humain», qu'il faut donc éliminer. C'est pourquoi, dans nombre de manifestations propalestiniennes récentes qui prennent le visage de manifestations pro-Hamas, le sens du slogan «Palestine vaincra !» ne se distingue pas de celui du tristement célèbre «Mort aux Juifs !».
 
Y a-t-il eu une islamisation de la cause palestinienne? À partir de quand et pourquoi ?
Longtemps avant la création de l'État d'Israël et l'invention du «peuple palestinien», lorsqu'on ne parlait que des «Arabes de Palestine», le rejet du sionisme par certains dirigeants de ces derniers, dont le «Grand Mufti» de Jérusalem Haj Amin al-Husseini, était motivé et légitimé avant tout par des motifs religieux. Les Juifs ne devaient sous aucun prétexte s'installer sur une terre musulmane pour y créer un «foyer juif». Dans cette perspective, la présence juive sur une terre musulmane est intolérable, comme l'énonce l'article 28 de la Charte du Hamas: «Israël, parce qu'il est juif et a une population juive, défie l'Islam et les musulmans
 
D'aucuns ont vu dans le concept d'islamo-gauchisme une insulte davantage qu'un concept théorique et scientifique. Que leur répondez-vous?
C'est la réaction paresseuse de ceux qui sont incapables d'argumenter face aux analyses critiques dont leurs dogmes idéologiques ou leurs comportements font l'objet: ils font mine de s'indigner de prétendues «insultes» les visant ou dénoncent la «panique morale» qui s'exprimerait à travers la dénonciation de leurs positions «radicales» ou de leurs actions irresponsables. Mais il faut bien voir que l'islamo-gauchisme, qui apparaît de plus en plus comme un «islamismo-gauchisme», a subi des métamorphoses, en se combinant avec le décolonialisme et le wokisme. Aujourd'hui, le propalestinisme islamisé des défenseurs des «résistants» du Hamas peut être identifié comme un islamo-décolonialisme ou, chez les intellectuels de la gauche radicale, un «wokislamisme».�
 
 
 
*Pierre-André Taguieff est philosophe et historien des idées, directeur de recherche au CNRS. Il a notamment publié «Liaisons dangereuses : islamo-nazisme, islamo-gauchisme» (Hermann, 2021).
 
Illustration :
  • Pierre-André Taguieff. @ Baltel / Sipa
  • Vidéo. - «Les militants sont très forts pour islamiser la société et la rendre «charia-friendly», comme le slogan «mon voile, c’est mon choix»», explique Florence Bergeaud-Blacker - Durée 01:53 - L’émission Esprits Libres diffusée ce jeudi 29 juin avait pour thème «Décivilisation ou choc des civilisations ?». Pour en débattre, Alexandre Devecchio était entouré de Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue, chargée de recherche au CNRS et spécialiste de l’islamisme et Boualem Sansal, essayiste et romancier.
 
 


15/11/2023
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