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Pascal Perrineau : «On va peut-être s’orienter vers une cohabitation d’un autre type»
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propos recueillis par John Timsit, pour Le Figaro - août 2024
ENTRETIEN - S’il considère que «la conjoncture n’est pas suffisamment dégradée» pour qu’Emmanuel Macron envisage une démission, le politologue veut croire que «l’atmosphère des Jeux peut déteindre sur l’atmosphère politique».
Le Figaro. - Avec une majorité introuvable, le futur gouvernement pourra-t-il avancer à la rentrée ?
Pascal Perrineau.
- Une situation de majorité relative extrêmement faible, ce n'est pas tout à fait nouveau. De 2022 à 2024, c'est bien comme ça qu'a vécu l'Assemblée nationale. Certes, les choses se sont encore dégradées avec les dernières législatives et l'accouchement de majorités en faveur de propositions ou de projets de loi va être de plus en plus difficile. Il y a plusieurs solutions à cela. Gouverner tout d'abord par la voie du décret et s'efforcer de faire évoluer certains dossiers en se basant avant tout sur le pouvoir réglementaire.
Deuxièmement, essayer de dégager des majorités d'idées avec les députés du camp présidentiel (EPR, Horizons, MoDem), Les Républicains, éventuellement une partie de Liot, et peut-être quelques éléments de la gauche socialiste. On peut imaginer des bricolages ad hoc en fonction des sujets retenus. Lors du projet de loi immigration fin 2023, ou sur d'autres dossiers, la droite avait pu aider la majorité en place. À l'avenir, tout dépendra du gouvernement, de la personnalité du premier ministre et des ministres qui construiront ces majorités. Il y a la nécessité de trouver un premier ministre qui soit porteur d'une culture du compromis, alors que ce n'est pas la principale qualité de la culture politique française.
Troisième moyen, les armes du parlementarisme rationalisé (article 49-3, ordonnances...). Élisabeth Borne et son successeur ont utilisé les dispositifs que le général de Gaulle avait fait introduire dans la Constitution de 1958 afin de gouverner, même dans des situations difficiles, de défaut de majorité stable. C'est cela qui fait la résilience de la Constitution, qui peut être lue de manière présidentielle mais également parlementaire. Là, on va peut-être s'orienter vers une cohabitation d'un autre type : non dite et non déclarée, où le premier ministre ne viendrait pas du camp présidentiel. Mais qui serait capable de faire avec le camp présidentiel.
Adoption du budget 2025, possible abrogation de la réforme des retraites... La rentrée ne va-t-elle pas cristalliser un peu plus les tensions ?
Certainement. Il ne faut toutefois pas négliger un effet post-Jeux olympiques, qui a mis au premier plan des valeurs qui sont celles de la concorde, du compromis, du rassemblement. Le bilan, considéré comme positif, a un petit peu changé le climat d'une société française fortement polarisée et clivée. On ne va pas pouvoir ressortir de but en blanc de cette période et retourner à des combats qui vont apparaître comme obscurs ou déplacés par rapport à l'ambiance festive. L'atmosphère des Jeux peut déteindre sur l'atmosphère politique.
Mais cela n'empêchera pas la situation difficile du budget ou du dossier des retraites, textes sur lesquels il y a la capacité de mettre en œuvre l'article 49-3. Si le gouvernement n'arrive pas à construire des majorités positives, il faut au moins empêcher que des majorités négatives se forment dans une motion de censure, portée par une coalition entre la gauche et le Rassemblement national, qui le renverserait. Une hypothèse pour l'instant peu probable, eu égard au refus du Nouveau Front populaire (NFP) de mélanger ses voix au camp nationaliste.
Un mois après les législatives, l'hypothèse d'une nouvelle dissolution en 2025 est dans toutes les têtes. Ce scénario tient-il la corde ?
C'est envisageable parce que, constitutionnellement, le président retrouvera d'ici un an son droit de dissoudre. Cependant, l'utilisation politique de la dissolution est devenue de plus en plus difficile. Et ce n'est pas si nouveau que cela. Il y a eu six dissolutions sous la Ve République. Les trois premières étaient des opérations relativement simples. En 1962 et 1968, la droite voulait renforcer sa majorité - cela a été le cas ; en 1981, la gauche voulait avoir les moyens de gouverner - cela a été le cas. La dissolution servait bien à renforcer le camp majoritaire en prenant l'opinion à témoin. Depuis 1988, cela fonctionne de moins en moins bien. François Mitterrand réélu, la gauche veut faire de même : elle y arrive tout juste, n'ayant qu'une assise relative.
«Depuis 1988, la dissolution fonctionne de moins en moins bien (...) Le risque de désaveu du président est de plus en plus important.» Pascal Perrineau, politologue
En 1997, cela ne marche pas : Jacques Chirac voulait renforcer la majorité, c'est la gauche qui l'emporte. Idem pour Emmanuel Macron en 2024, qui n'y parvient pas non plus. Le risque de désaveu du président est de plus en plus important. Pourquoi ? Le paysage politique se fragmente depuis de longues années, les alternances de plus en plus proches se répètent, tout devient de plus en plus volatile, difficile à prévoir. Cela rend l'usage de la dissolution complexe et incertain. Si Emmanuel Macron utilise à nouveau l'article 12 de la Constitution, la situation peut ne pas être beaucoup plus claire qu'aujourd'hui. Le paysage politique semble être durablement éclaté et la capacité du Président à reconstruire une dynamique majoritaire fortement entamée. Comme dit le proverbe : chat échaudé craint l'eau froide.
Sujet de rumeurs récurrentes, la démission du président de la République est-il envisageable en cas de blocages ?
Cela pourrait être un moyen, en cas de grave crise, de prendre à témoin l'opinion publique, même si le Président ne semble pas y songer aujourd'hui. Il estime probablement que nous ne sommes pas dans une crise de régime, une situation de blocage total, puisque les institutions continuent à fonctionner. Un gouvernement va probablement être nommé dans une dizaine de jours, les ministres pourront gouverner. Il va falloir simplement changer le mode de fonctionnement au Parlement et trouver les hommes et les femmes qui sauront construire les majorités d'idées.
Faire vivre cette Ve République un peu autrement. Nous ne sommes pas en 1969, où le général de Gaulle avait démissionné à la suite d'un référendum négatif dans lequel il avait engagé sa responsabilité. Bien que le chef de l'État ait une popularité faible et fasse l'objet d'un rejet dans l'opinion, les Français n'ont pas dit «non» à un référendum macronien. Aux législatives, la majorité sortante a d'ailleurs fait de la résistance. La conjoncture n'est pas suffisamment dégradée pour qu'Emmanuel Macron, indépendamment de son tempérament impétueux, puisse envisager une démission.
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Illustration : Politologue et professeur des Universités à Sciences Po, Pascal Perrineau a dirigé le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) entre 1992 et 2013. @ Sciences Po Alumni