la lettre de marcbaldy: la lettre de Philippe Torreton à Jean FERRAT
Envoyée mercredi 25 avril 2012 à 00:00:00
Lettre de Philippe Torreton à Jean Ferrat
J'aimerais te laisser tranquille, au repos dans cette terre choisie.
J'aurais aimé que ta voix chaude ne serve maintenant qu'à faire éclore
les jeunes pousses plus tôt au printemps, la preuve, j'étais à
Entraigues il n'y a pas si longtemps et je n'ai pas souhaité faire le
pèlerinage. Le repos c'est sacré !
Pardon te t'emmerder, mais l'heure est grave, Jean. Je ne sais pas si
là où tu es tu ne reçois que le Figaro comme dans les hôtels qui ne
connaissent pas le débat d'idées , je ne sais pas si tu vois tout, de là
haut, ou si tu n'as que les titres d'une presse vendue aux argentiers
proche du pouvoir pour te tenir au parfum, mais l'heure est grave!
Jean, écoute-moi, écoute-nous, écoute cette France que tu as si bien
chantée, écoute-la craquer, écoute la gémir, cette France qui travaille
dur et rentre crevée le soir, celle qui paye et répare sans cesse les
erreurs des puissants par son sang et ses petites économies, celle qui
meurt au travail, qui s'abîme les poumons, celle qui se blesse, qui
subit les méthodes de management, celle qui s'immole devant ses
collègues de bureau, celle qui se shoote aux psychotropes, celle à qui
on demande sans cesse de faire des efforts alors que ses nerfs sont déjà
élimés comme une maigre ficelle, celle qui se fait virer à coups de
charters, celle que l'on traque comme d'autres en d'autres temps que tu
as chantés, celle qu'on fait circuler à coups de circulaires, celle de
ces étudiants affamés ou prostitués, celle de ceux-là qui savent déjà
que le meilleur n'est pas pour eux, celle à qui on demande plusieurs
fois par jour ses papiers, celle de ces vieux pauvres alors que leurs
corps témoignent encore du labeur, celles de ces réfugiés dans leurs
propre pays qui vivent dehors et à qui l'on demande par grand froid de
ne pas sortir de chez eux, de cette France qui a mal aux dents, qui se
réinvente le scorbut et la rougeole, cette France de bigleux trop
pauvres pour changer de lunettes, cette France qui pleure quand le
ticket de métro augmente, celle qui par manque de superflu arrête
l'essentiel...
Jean, rechante quelque chose je t'en prie, toi, qui en voulais à
D'Ormesson de déclarer, déjà dans le Figaro, qu'un air de liberté
flottait sur Saigon, entends-tu dans cette campagne mugir ce sinistre
Guéant qui ose déclarer que toutes les civilisations ne se valent pas?
Qui pourrait le chanter maintenant ? Pas le rock français qui s'est
vendu à la Première dame de France.Ecris nous quelque chose à la gloire
de Serge Letchimy qui a osé dire devant le peuple français à quelle
famille de pensée appartenait Guéant et tout ceux qui le soutiennent !
Jean, l'huma ne se vend plus aux bouches des métro, c'est Bolloré qui a
remporté le marché avec ses gratuits. Maintenant, pour avoir l'info
juste, on fait comme les poilus de 14/18 qui ne croyaient plus la
propagande, il faut remonter aux sources soi-même, il nous faut fouiller
dans les blogs... Tu l'aurais chanté même chez Drucker cette presse
insipide, ces journalistes fantoches qui se font mandater par l'Elysée
pour avoir l'honneur de poser des questions préparées au Président, tu
leurs aurais trouvé des rimes sévères et grivoises avec vendu...
Jean, l'argent est sale, toujours, tu le sais, il est taché entre autre
du sang de ces ingénieurs français. La justice avance péniblement grâce
au courage de quelques uns, et l'on ose donner des leçons de
civilisation au monde...
Jean, l'Allemagne n'est plus qu'à un euro de l'heure du STO, et le
chômeur est visé, insulté, soupçonné. La Hongrie retourne en arrière ses
voiles noires gonflées par l'haleine fétide des renvois populistes de
cette droite "décomplexée".
Jean, les montagnes saignent, son or blanc dégouline en torrents de
boue, l'homme meurt de sa fiente carbonée et irradiée, le poulet n'est
plus aux hormones mais aux antibiotiques et nourri au maïs transgénique.
Et les écologistes n’en finissent tellement pas de ne pas savoir faire
de la politique. Le paysan est mort et ce n’est pas les numéros de
cirque du Salon de l’Agriculture qui vont nous prouver le contraire.
Les cowboys aussi faisaient tourner les derniers indiens dans les
cirques. Le paysan est un employé de maison chargé de refaire les
jardins de l'industrie agroalimentaire. On lui dit de couper il coupe,
on lui dit de tuer son cheptel il le tue, on lui dit de s'endetter il
s'endette, on lui dit de pulvériser il pulvérise, on lui dit de voter à
droite il vote à droite... Finies les jacqueries!
Jean, la Commune n'en finit pas de se faire massacrer chaque jour qui
passe. Quand chanterons-nous "le Temps des Cerises" ? Elle voulait le
peuple instruit, ici et maintenant on le veut soumis, corvéable,
vilipendé quand il perd son emploi, bafoué quand il veut prendre sa
retraite, carencé quand il tombe malade... Ici on massacre l'Ecole
laïque, on lui préfère le curé, on cherche l'excellence comme on
chercherait des pépites de hasards, on traque la délinquance dès la
petite enfance mais on se moque du savoir et de la culture partagés...
Jean, je te quitte, pardon de t'avoir dérangé, mais mon pays se perd et
comme toi j'aime cette France, je l'aime ruisselante de rage et de
fatigue, j'aime sa voix rauque de trop de luttes, je l'aime
intransigeante, exigeante, je l'aime quand elle prend la rue ou les
armes, quand elle se rend compte de son exploitation, quand elle sent la
vérité comme on sent la sueur, quand elle passe les Pyrénées pour
soutenir son frère ibérique, quand elle donne d'elle même pour le plus
pauvre qu'elle, quand elle s'appelle en 54 par temps d'hiver, ou en 40 à
l'approche de l'été. Je l'aime quand elle devient universelle, quand
elle bouge avant tout le monde sans savoir si les autres suivront, quand
elle ne se compare qu'à elle même et puise sa morale et ses valeurs
dans le sacrifice de ses morts...
Jean, je voudrais tellement t'annoncer de bonnes nouvelles au mois de mai...
Je t'embrasse.
Philippe Torreton
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