2715 -« Ne pas répéter l’Histoire » Cécile Vaissié 2 posts

POINT DE VUE. « Ne pas répéter l’Histoire »

Pourquoi faut-il relire le dernier texte de l’écrivain autrichien Stéfan Zweig, « Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen » ? Parce que, nous explique l’historienne et spécialiste de la Russie Cécile Vaissié, Zweig y relate les illusions dont se sont bercés les Européens dans l’entre-deux-guerres, impuissants à mesurer les menaces qui grandissaient autour d’eux.

Stefan Zweig, auteur de « Le Monde d’hier. Souvenir d’un Européen. »
Stefan Zweig, auteur de « Le Monde d’hier. Souvenir d’un Européen. » | ARCHIVES OUEST-FRANCE.

Il faut lire, ou relire, l’ultime livre de Stefan Zweig, « Le Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen ». Il le faut, parce que ce livre, écrit entre 1934 et 1942 par un Européen convaincu, est étonnamment actuel aujourd’hui, alors que la Russie poutinienne mène depuis deux ans une guerre meurtrière et absurde contre l’Ukraine, et que certains pays de l’Union européenne, dont la France, semblent plus divisés que jamais.

 

Zweig, né dans l’empire austro-hongrois en 1881, montre à quelle vitesse des sociétés qui semblaient solides s’effondrent dans le chaos et la violence ou y sont précipitées. L’Autriche d’avant 1914 était pour lui « l’âge d’or de la sécurité », « le monde de la liberté individuelle » – et sans doute l’Europe occidentale l’a-t-elle été depuis 1945. « On ne croyait pas plus à des retours de barbarie, tels que des guerres entre les peuples d’Europe, qu’on ne croyait aux spectres ou aux sorciers […] ». Même si la guerre en Yougoslavie a été un avertissement, qui pensait voir, au XXIe siècle, des villes européennes – ukrainiennes – être rasées par des bombardements ?

Relire le Journal d’un Européen

Zweig dresse la chronique des effondrements dont il a été le témoin. D’abord, la guerre de 14-18 a, non seulement fait disparaître des empires, mais aussi anéanti la stabilité, sociale et économique, engendrée par plus de quarante ans de paix. Dans les décennies d’après-guerre, il a vu les valeurs de son enfance être radicalement remises en question, puis Hitler, « ce sauvage agitateur buté dans son germanisme au sens le plus étroit et le plus brutal du terme », accéder au pouvoir et réduire aussitôt les droits et libertés en Allemagne, « un État où le droit [avant 1933] était fortement ancré […] et où chaque citoyen de l’État croyait assurées par la constitution […] sa liberté et l’égalité des droits ». Et, là, qui a suivi l’évolution de la Russie poutinienne – un pays sans tradition du droit bien ancrée – ne peut pas ne pas retrouver certaines évolutions. Là aussi, beaucoup, comme les contemporains de Zweig, ne croyaient pas possible « un centième, un millième » de ce qu’ils constateraient « quelques semaines plus tard », puis ils ont tenté de se consoler en se disant que cela ne pouvait pas « durer longtemps ».

 

Comment, aussi, ne pas être frappé par la volonté des Européens de l’Ouest, aujourd’hui comme à l’époque de Zweig, de s’illusionner et de minimiser les dangers encourus suite aux violations des règles et de la décence par un pays voisin ? Il ne s’agit pas de comparer Poutine au Hitler d’avant février 1942, à cet homme qui avait « réussi, dans une constante aggravation de ses forfaits, à émousser toute notion du droit », mais, si des différences sont notables, des points communs existent bien, à commencer par cet irrespect pour le droit international. Par ailleurs, la France semble déchirée par ses conflits internes, et l’Union européenne fragilisée par des dissensions. Jamais il n’a été autant question de guerre dans cet espace qui, n’en déplaise aux europhobes, a permis plus de quatre-vingts ans de paix et une prospérité qui suscite chez tant de pays l’envie de rejoindre cette Union.

 

Zweig a quitté son pays en 1934 et a envoyé à son éditeur le manuscrit du Monde d’hier en février 1942. Le lendemain, il s’est suicidé avec sa femme, désespéré d’avoir été « le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité ». Une brutalité en partie semblable à celle déchaînée par la Russie contre l’Ukraine.

Cécile Vaissié, professeur en études russes et soviétiques à Rennes II | DR ARCHIVES

(*) Politologue, historienne, professeur en étude russe à l’Université de Rennes-II. Dernier ouvrage : « Sartre et l’URSS – Le joueur et les survivants », éd. PUR, collection Histoire.



13/02/2024
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