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Matignon, l’hypothèse Kristalina Georgieva…
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par Étienne Gernelle, pour Le Point - juillet 2024 Republié par Jal Rossi
Face aux aberrations économiques du NFP, Olivier Blanchard explique qu’il suffirait d’un ajustement de 120 milliards d’euros sur cinq à dix ans pour rendre la dette soutenable.
C'est sûr, on ne parle pas beaucoup d'elle dans nos conciliabules postélectoraux… La Bulgare Kristalina Georgieva, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), est bien loin de notre théâtre politique, que l'on pourrait classer, selon l'humeur du moment, à mi-chemin entre le vaudeville et la tragédie grecque. Pourtant le FMI, si l'on en juge par la teneur des discussions entre partis, pourrait bien pointer le bout de son nez, avec ses habituels comparses de la troïka, la Commission européenne et la Banque centrale européenne, comme autrefois en Grèce, en Irlande ou au Portugal.
C'est à croire que notre monde politique a abusé de substances hallucinogènes : il s'agirait donc de faire des compromis avec le programme du NFP adopté à la va-vite dans la foulée de la dissolution, et qui porte visiblement l'empreinte de LFI. Que cela signifie-t-il ? Trouver un juste milieu entre un traitement médicamenteux et un élixir de sorcier ? «Il venait de se passer tant de choses bizarres qu'elle en arrivait à penser que fort peu de choses étaient vraiment impossibles»,
écrivait Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles.
Ne pas tuer la croissance
Certes, le second tour a écarté nettement l'hypothèse d'un gouvernement RN, et avec elle la perspective de donner des ailes à Vladimir Poutine – ce qui aurait été peu flatteur pour notre pays, et désastreux pour l'Ukraine – mais aussi de conduire, par incompétence et démagogie, le pays à la ruine. Il n'y aura néanmoins pas de répit. Car il faut désormais regarder de l'autre côté. En position de force, les partis du NFP font monter les enchères.
Le pire, c'est que c'est l'exact l'inverse de ce qu'ils exigent qu'il faudrait mettre en œuvre. Olivier Blanchard, professeur au MIT et à l'École d'économie de Paris, ancien économiste en chef du FMI, livre cette semaine au Point son diagnostic sur la dette. Il nous explique, avec un calme olympien et un sens de la pédagogie magistral, comment rendre notre dette soutenable à long terme. En clair, il faudrait un ajustement de l'ordre de 120 milliards d'euros par rapport à la situation actuelle. Cet objectif, qui pourrait être réalisé en cinq à dix ans pour ne pas tuer la croissance, inclut une marge de manœuvre pour pouvoir répondre aux grosses crises comme le Covid ou la guerre en Ukraine et la nécessité d'investir plus, tant dans la transition écologique que la défense. Lumineux Blanchard, dont il faut préciser qu'il n'a rien du faucon ultralibéral. Il serait plutôt à ranger du côté des sociaux-démocrates.
Sa tribune est destinée, dit-il, à «mettre en évidence les contraintes qu'un gouvernement devra respecter, quelle que soit son orientation politique». Quel diplomate ! Certains programmes proposés lors des législatives auraient des implications budgétaires du même ordre de grandeur que le plan qu'il envisage… mais dans le sens opposé ! C'est officiel, on marche sur la tête.
«Goût français pour le carnaval»
Comment tout cela peut-il se terminer ? Kristalina Georgieva à Paris, vraiment ? Le pire n'est jamais certain, même si la composition de la nouvelle Assemblée nationale, enserrée entre RN et LFI, a de quoi susciter quelques frayeurs. Après tout, en Italie, que l'on présente souvent comme notre laboratoire politique, le salutaire gouvernement dirigé par Mario Draghi entre février 2021 et octobre 2022 fut constitué sous la même législature qui avait porté au pouvoir l'alliance des farfelus réunissant la Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement 5 étoiles de Beppe Grillo. Tout est donc possible. Sauf que, si l'on se réfère à ce précédent italien, cela signifie qu'il faudrait d'abord en passer par une expérience digne d'un parc d'attractions…
On peut, bien sûr, se réjouir du taux de participation, de la vitalité de la démocratie française, du retour du politique et même de la perspective de retrouver ce qui est la marque de la plupart des démocraties adultes, le compromis. Mais si le «goût français pour le carnaval» dont parle si bien Peter Sloterdijk pouvait ne pas s'appliquer à l'économie, cela rassurerait tout le monde.
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Étienne Gernelle, directeur de la rédaction. @ DR
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Kristalina Ivanova est une économiste, fonctionnaire internationale et femme politique bulgare. Elle est directrice générale du Fonds monétaire international depuis le 1ᵉʳ octobre 2019. © Kenzo Tribouillard / AFP