Lot. Qui était Jean Fourastié, le sage de Douelle, auteur il y a 40 ans d'un livre qui apparaît prophétique...

Économiste et philosophe, Jean Fourastié, a écrit "Les Trente Glorieuses", il y a 40 ans, évoquant "de multiples crises du temps présent" et annonçant "la fin des temps faciles".

'Jean Fourastié a fait figure de prophète économique.
Jean Fourastié a fait figure de prophète économique. ©Wikimedia commons
 

Économiste, sociologue, universitaire, Jean Fourastié (1907-1990) publie en 1979, «  Les Trente Glorieuses  » qui vont donner le nom à la période d’expansion économique de l’Occident de 1944 à 1973. Choisissant Douelle, son berceau de famille pour représenter la France, son ouvrage anticipe la fin du XXe siècle par de surprenantes intuitions

« Ne doit-on pas dire glorieuses, les trente années qui ont fait passer et Douelle et la France de la pauvreté millénaire, de la vie végétative traditionnelle, au niveau de vie et aux genres de vie contemporains ? » écrit l’ancien Commissaire au Plan qui vient prendre sa retraite dans la demeure familiale.

 Jean Fourastié, auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont le plus célèbre reste  » Les Trente Glorieuses « , rédigés à partir de l’évolution de son village de 1946 à 1979.

Douelle est aujourd’hui, un paisible village de 800 habitants, au bord du Lot, blotti dans une boucle du fleuve qui serpente dans la vallée.

Nous sommes en plein Quercy, à dix kilomètres à l’ouest de Cahors, sans vestiges médiévaux certes, mais avec une base fluviale qui attire chaque été des amateurs américains, australiens et russes.

 

Une petite dynamique locale au milieu de cette bourgade dont la population est en grande partie composée de retraités.

Et une figure plus que locale, Jean Fourastié, auteur d’une quarantaine d’ouvrages dont le plus célèbre reste « Les Trente Glorieuses », rédigé à partir de l’évolution de son village de 1946 à 1979.

1946 : Douelle est sous développé, engoncé dans un monde agricole traditionnel ; tous les actifs sont agriculteurs sans exception et tout le monde est baptisé.


 

1975 : l’économie est tertiaire et industrielle. Toutes les exploitations agricoles ont quasiment disparu et l’église n’est fréquentée que les jours de fête.

Le texte du livre fait de Douelle un village de référence dans l’observation des changements édifiés durant cette période, celle de la production intensive, de la mécanisation de l’agriculture, de la consommation et de nouveaux comportements synonymes de modernité.

Douelle, son port d’attache

Son père étant fonctionnaire, Jean Fourastié naît en 1907 dans un village de la Nièvre. Mais il est issu d’une famille de modestes paysans du Lot où son grand-père « cultivait des terres ». De ses origines rurales, il en restera imprégné toute sa vie : « Mon cerveau s’est formé dans le monde des hommes qui pensaient peu, ne lisaient guère et n’écrivaient pas ».

« Dans les plus pauvres maisons, entre la chèvre et les canards, les plus pauvres enfants trouvaient l’atmosphère du nid » Jean Fourastié

C’est à Douelle qu’il vient durant les vacances, dans sa « maison quercynoise », à laquelle il demeurera très attaché. Ici, comme partout en France, « peu à peu, après la Seconde Guerre mondiale, le temps de l’abondance succède au monde des pénuries du début du XXe siècle ».

Très sensible au pays de ses ancêtres, au calme de la vie rurale, à ses croyances et ses traditions, il y décrit la qualité de vie qui y régnait, « la chaleur du logis familial, la solidarité de la petite communauté paroissiale » ajoutant plus loin : « dans les plus pauvres maisons, entre la chèvre et les canards, les plus pauvres enfants trouvaient l’atmosphère du nid ».

En s’appliquant toujours, la devise de rigueur de sa famille : « Tout par devoir, rien par plaisir, mais tout devoir avec plaisir ».

Durant l’été 1990, Jean Fourastié partira dans la lumière de ce Quercy qu’il aimait tant, franchissant pour la dernière fois le seuil de sa maison pour reposer désormais au cimetière du village.

Une croyance chrétienne motivée à un « surréel »

De formation catholique, élevé chez les Oratoriens du collège de Juilly (en Seine-et-Marne), il ne reniera jamais son héritage religieux même si dans sa jeunesse, il en prit quelques distances.

L’originalité de Jean Fourastié est de n’avoir pas hésité à poursuivre sa méditation, au point d’aborder des questions philosophiques. Il ne peut concevoir le monde sans Dieu. Sa croyance, largement motivée à un « surréel », lui a permis « de justifier son optimisme permettant d’éviter les désillusions et d’être soumis à un désenchantement systématique ».

Notre temps est aussi, selon lui, un désastre spirituel dont l’homme moyen commence à durement ressentir la réalité.

Dans son ouvrage « Ce que je crois », le Dieu Créateur l’occupe davantage que le Dieu Rédempteur.

À la suite du bouleversement de la société, les valeurs traditionnelles et morales se sont effondrées sans être remplacées. Notre temps est aussi, selon lui, un désastre spirituel dont l’homme moyen commence à durement ressentir la réalité.

« L’humanité changeant de nature, désormais nous sommes passés du grand espoir du XXe siècle à la grande interrogation du XXIe siècle… Comme ce n’est pas encore de nature biologique, c’est de nature culturelle ». Jean Fourastié

Mariant prudence et audace, esprit scientifique et enthousiasme, Jean Fourastié voit la cause majeure de ces maux dans le divorce de la science et de la foi, divorce dont il montre non seulement la nocivité, mais la folie. « L’humanité changeant de nature, désormais nous sommes passés du grand espoir du XXe siècle à la grande interrogation du XXIe siècle… Comme ce n’est pas encore de nature biologique, c’est de nature culturelle ».

Reste à préparer la religion pour le troisième millénaire. Jean Fourastié pense que la religion chrétienne, comme toutes les autres, doit continuer à évoluer pour « s’adapter au monde moderne », mais pas en allant dans toutes les directions. S’il doit y avoir des innovations, elles doivent rester lentes et mesurées.

Un humaniste visionnaire sur les pas de Pascal

Le professeur de Sciences Po Paris était un visionnaire. Le fait que le titre de son principal ouvrage soit passé dans le langage commun atteste de la clairvoyance du Lotois de cœur.

Il avait prédit, dès 1945, l’augmentation du niveau de vie. Mais il avait prédit que la croissance ne pouvait continuer indéfiniment à un rythme proche de 7 %, ce qui aurait signifié un doublement de la richesse nationale par décennie.

Fourastié fait figure de prophète s’alarmant « des multiples crises du temps présent » et annonçant « la fin des temps faciles ». Le rattrapage de l’après-guerre avait dopé l’économie, mais le dynamisme économique change en fonction du niveau de développement. Une fois l’équipement des ménages effectué, on entre dans une phase de renouvellement qui se traduit naturellement par un ralentissement de la consommation. D’où le chômage de masse qui va en découler dû à la saturation des marchés de consommation. Il entrevoyait déjà la nécessité à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés, d’adapter nos modes de production à l’écologie.

Beaucoup plus qu’économiste, Jean Fourastié a été un humaniste et un philosophe. Tout en lui est du savant et de l’honnête homme. Par bien des points, le cheminement de Jean Fourastié est sur celui de Blaise Pascal.