2495 - Livre choc de Iannis Roder sur le séparatisme à l’école 1 post

Les extraits du livre choc de Iannis Roder sur le séparatisme à l’école

  • par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro - août 2022 Republié par JALR
EXCLUSIF - Toute une partie de la jeunesse - attirée par l’islamisme ou par le multiculturalisme importé des États-Unis - est désormais en rupture avec notre modèle laïque et républicain. Pour l’école, le défi est d’autant plus immense que le corps enseignant apparaît mal formé pour y répondre et miné de l’intérieur par une minorité agissante militante et idéologue, explique le professeur.
Iannis Roder est agrégé d’histoire et professeur en réseau d’éducation prioritaire (REP, ex-ZEP) depuis vingt-deux ans. Directeur de l’Observatoire de l’éducation de la Fondation Jean Jaurès (think-tank), il a participé en 2002 à l’ouvrage collectif «Les Territoires perdus de la République», qui dénonçait, déjà, la libération d’une parole haineuse et antisémite, véhiculée par l’islamisme, dans des collèges et lycées de certaines banlieues.
Une lente sécession
Le 16 octobre 2020, vers 17 h 30, la France fut saisie d’effroi. Un professeur d’histoire, Samuel Paty, se vit sauvagement assassiné. À travers le professeur, c’est l’école de la République qui, pour la première fois, était frappée, et tout professeur qui fait son métier avec engagement aurait pu être la cible du terroriste islamiste. La portée symbolique du geste n’a en conséquence échappé à personne tant cette école et ses professeurs sont intrinsèquement liés à ce que nous sommes. Avec l’assassinat de mon collègue professeur d’histoire, c’est bien notre système politique et son corollaire, la démocratie, qui ont été attaqués au nom de la religion, au nom même de ce contre quoi l’école de la République a été pensée, c’est-à-dire l’enfermement dans la croyance, ici la plus absolue…
Depuis l’avènement de la République, jamais l’école n’a connu la crise que nous vivons aujourd’hui. (…) Ces difficultés, il y a quarante ans, étaient déjà considérables. Toutefois, à l’époque, s’il était question de «climat fortement dégradé», il n’y avait rien qui concernât une remise en cause des fondements de la République ni des enseignements que dispense l’école. Or, c’est le fait nouveau de notre temps. Une part de la jeunesse française semble prendre ses distances avec la République, sa philosophie et ses institutions. 41 % des 18-24 ans se sont abstenus lors du premier tour de l’élection présidentielle d’avril 2022 et 69 % au premier tour des législatives de juin. Ce qui, à première vue, ressemble à un désintérêt pour la vie publique se double d’une attirance certaine pour le mode de vie anglo-saxon diffusé par le soft power américain qui, après le cinéma et la télévision, a envahi les plateformes de streaming.
Une part importante de la jeunesse ne semble plus se reconnaître dans le modèle républicain tel qu’il a été pensé. Cette jeunesse n’est pas univoque et si une partie est séduite par le modèle anglo-saxon, une autre est très attachée à la question religieuse et pense davantage en termes communautaires qu’en termes d’intérêt général. Mais les deux se rejoignent, le modèle anglo-saxon de la citoyenneté étant bien plus favorable à l’expression religieuse et communautaire que le modèle français. L’affirmation de l’individualisme, voire de l’hyper-individualisme, semble rendre caduc notre modèle républicain à leurs yeux et ils n’en comprennent plus ni l’utilité, ni l’intérêt, ni le fonctionnement. Visiblement, quelque chose ne fonctionne plus car l’école ne semble pas en mesure de faire comprendre la République. Il ne s’agit pas ici de faire un état des lieux de l’école, de ce qu’elle fait de bien et de moins bien. Évidemment, nombre de jeunes s’en sortent grâce à l’école. Mais la question n’est pas là et il serait temps d’accepter le réel tel qu’il est au lieu de refuser de voir ce que tout le monde constate: une partie de la jeunesse fait doucement, mais sûrement, sécession…
Vingt ans de retard
Les premières informations quant aux problèmes d’enseignement et aux prises de position tapageuses problématiques d’élèves ne datent pas d’hier. C’est au début des années 2000 que sont publiés les premiers articles sur la question. Mais c’est la parution d’un livre, qui devait faire date, qui marque l’arrivée du sujet sur la place publique: Les Territoires perdus de la République. Toutefois, à sa sortie, bien que L’Express en eût publié les bonnes feuilles, la grande presse marquée à gauche ignora le livre ou bien, si elle en parla, ce fut pour le critiquer vertement et relativiser, quand ce n’était pas nier, la réalité de ce qui était décrit.

«Il serait temps d’accepter le réel tel qu’il est au lieu de refuser de voir ce que tout le monde constate : une partie de la jeunesse fait doucement, mais sûrement, sécession.»

Si, dès 2003, le gouvernement évoqua le problème à plusieurs reprises et le président Jacques Chirac prêta l’oreille à la situation, la réalité du terrain ne varia guère et l’institution, notamment les corps intermédiaires qu’ils fussent de direction ou d’inspection, eurent bien du mal à regarder cette réalité en face, à l’image de ma principale de collège qui, en 2002, me reprocha de parler de questions qui, selon elle, n’existaient pas ou comme cet inspecteur qui ne porta que peu d’importance à ce que je lui remontais alors. Nous étions en 2001 et la seconde Intifada débutée en 2000 ainsi que les attentats du 11 Septembre avaient libéré une parole haineuse dans les classes. L’antisémitisme débridé le disputait à l’homophobie et au sexisme dans un silence quasi général, notamment des organisations syndicales qui ignorèrent totalement le sujet, ou politiques qui ne s’en emparèrent pas, tout comme les organisations antiracistes ne bougèrent pas ou presque. Jusque dans les salles des professeurs pesait la négation de ce qui dérangeait.
Je me souviens ainsi, lors d’une réunion de ma section syndicale, d’une professeur qui, alors que j’avais soulevé la question de l’antisémitisme de certains élèves, me répondit immédiatement: «Quel antisémitisme? Nos élèves ne sont pas antisémites!» Fin de la discussion et silence gêné de mes autres collègues. L’une d’elles, aujourd’hui à la retraite, vingt ans plus tard, le lendemain de l’assassinat de Samuel Paty, m’envoya un SMS qui disait: «Quel drame affreux, un collègue si courageux. Je t’ai écouté ce matin (j’étais invité sur France Inter). Tu avais raison depuis si longtemps. Vont-ils enfin entendre?». Il fallut cela, en effet, et d’autres drames avant celui-ci, pour qu’«ils» entendent que ce dont nous parlions n’était que les manifestations, dans les banlieues, d’une propagation de la haine véhiculée par l’islamisme. Cet islamisme qui place au cœur de sa vision du monde la haine antisémite. Mais il était trop difficile d’accepter que ceux que l’on voyait comme des victimes sociales et héritières des souffrances de la société coloniale puissent être les vecteurs des pires horreurs et d’une haine primaire. Cela ne rentrait pas dans le logiciel. Notons que certains n’ont toujours pas, aujourd’hui, fait de mises à jour et continuent de penser que tout cela n’est que résiduel ou le résultat de nos politiques d’exclusion.
«"Je vais te faire une Samuel Paty" est devenue une expression dans la bouche de quelques-uns.»
Face à l’absence de solution proposée, mais aussi face au sentiment d’abandon, les Français juifs de Seine-Saint-Denis migrèrent en masse, et principalement vers des territoires d’Île-de-France plus cléments à leurs yeux, ce que Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach ont appelé «l’alya intérieure». L’autre alya, celle pour Israël, connut durant les années 2010 des pics inégalés. Les Français juifs, premières cibles et premières victimes de l’islamisme qui se diffusait dans l’atmosphère, fuyaient les menaces et la violence. Il faut dire qu’ils se sentaient bien seuls, ces Français juifs, et bien lointain leur semblait le temps où des centaines de milliers de personnes défilaient, en 1990, dans les rues de Paris pour protester contre la profanation du cimetière juif de Carpentras.
Après les horribles assassinats de Merah, elles étaient quelques milliers dans les rues, tout au plus. Or, on avait tué, à bout portant, entre autres, trois jeunes enfants… Les incidents qui ponctuèrent l’hommage aux victimes de Montauban et Toulouse en mars 2012 furent tus mais le flux déborda au moment de l’hommage rendu à Charlie Hebdo en janvier 2015. Il n’était alors plus possible d’ignorer que non seulement l’islamisme gagnait des esprits dans les banlieues mais que l’explosion des actes antisémites dans les années 2000 n’était que les signes d’une haine de l’Occident en général.
Une terrible épée de Damoclès
C’est après un cours qui prenait en exemple la critique des religions pour parler de liberté d’expression que Samuel Paty a été assassiné. Aucun enseignant ne peut oublier cela et tous l’ont intégré comme un possible. C’est en ayant connaissance de cette réalité, la plus crue et la plus violente qui soit, que les professeurs font aujourd’hui cours, non pas en y pensant tous les jours, mais ils savent que parce que c’est arrivé, cela pourra arriver encore. «Je vais te faire une Samuel Paty» est ainsi devenue une expression dans la bouche de quelques-uns.

«Cette intransigeance sous-entend également que pour une partie des jeunes, comme pour les milieux dans lesquels ils évoluent, la loi de Dieu passe avant celle de la République.»

Personne ne peut écarter cela de son esprit car certains élèves sont incapables d’entendre - simplement entendre - un discours autre que celui auquel ils croient et dans lequel ils ont probablement grandi. Ce refus d’autres représentations en dit long sur l’impossibilité de ces élèves de transiger pour partager un monde commun. Le monde ne peut être que le leur et pas autre chose. Cette intransigeance pose également une autre question car elle sous-entend que pour une partie des jeunes, comme pour les milieux dans lesquels ils évoluent, la loi de Dieu passe avant celle de la République, ce qui signifie qu’une partie de la population s’arroge la possibilité d’obéir à d’autres lois qu’à celles de la République.
Quand des professeurs défendent le port du voile
La question du port de signes religieux ostentatoires s’invite désormais à nouveau dans certains établissements. Quand des professeurs luttent au quotidien pour rappeler à certaines jeunes filles que la loi ne les autorise pas à avoir la tête couverte, d’autres ne réagissent guère… Une professeur d’un collège de Seine-Saint-Denis prit ainsi contact avec le Conseil des sages de la laïcité en janvier 2022 pour signaler la multiplication du port du voile dans son établissement, notamment parce que les conseillers principaux d’éducation mais aussi des enseignants n’intervenaient pas pour le faire ôter. Le principal exigeait bien le retrait à l’entrée, mais les jeunes filles, sachant que personne ou presque ne leur ferait enlever, le remettaient aussitôt arrivées dans la cour. Une enseignante d’un autre collège, toujours situé en Seine-Saint-Denis, fit la même démarche en février 2022.
De fait, et c’est un constat inquiétant, les affaires concernant des professeurs s’opposant à la loi de 2004 (interdisant le port ostensible de signes religieux à l’école publique, NDLR) ne semblent plus être exceptionnelles et il est évident qu’une minorité agissante de fonctionnaires, non pour des raisons religieuses, mais pour des considérations politiques et idéologiques, cherche à faire de la lutte contre la loi de 2004 un cheval de bataille contre le «racisme systémique» que véhiculerait la République française. Le collectif des professeurs du lycée Berthelot, baptisé «Lycée Berthelot en lutte», publie ainsi des textes sur Facebook dans lesquels les critiques contre la loi de 2004 sont claires…
Ces professeurs reconnaissent à demi-mot ne pas faire appliquer la loi, par conviction: «Nous faisons appliquer les lois, bien sûr, mais quand des lois et règlements semblent mal s’articuler, il est possible que certaines dispositions soient appliquées avec un zèle modéré.» Nous comprenons donc qu’ils ne font pas enlever les signes religieux ostentatoires, ce qu’ils expliquent ensuite en affirmant que «sauf à penser que tout ce tsoin-tsoin sur le voile des jeunes filles n’a rien à voir avec la laïcité et tout à voir avec l’islamophobie, (ils ne comprennent) plus la vision de la laïcité du gouvernement» C’est donc bien au nom de ce qu’ils pensent être de l’antiracisme qu’ils agissent, en venant à défendre le port d’un signe de soumission et semblant oublier, au passage, que cette loi n’a pas été votée par le gouvernement au pouvoir en novembre 2021.
Résister aux pressions de certains collègues
Ce positionnement fut confirmé par un stage de formation proposé en janvier 2022 par le syndicat SUD-Éducation 93 qui invitait, entre autres, à assister à un atelier intitulé: «Loi de 2004: une loi raciste et sexiste». Il est donc légitime de se demander quel genre de consignes ces représentants syndicaux font passer à leurs militants et adhérents et si cela aboutit à ce que ceux-ci s’opposent à l’application de la loi républicaine. Les citoyens sont libres de penser, croire et exprimer ce qu’ils veulent dans les cadres fixés par la loi, mais ce qui relève, non pas de prises de position syndicales mais bien d’activisme politique mené par des fonctionnaires de la République dans le cadre de leurs activités professionnelles pose évidemment un problème grave, d’autant plus que «certains syndicats demandent à leurs nouveaux adhérents de se regrouper dans des établissements précis pour monter des pools d’action politique» (Clément Pétreault). Se regrouper pour être ainsi plus efficaces et avoir la mainmise sur un établissement.

«La République a besoin d’enseignants convaincus qu’ils œuvrent à l’émancipation des élèves, et non de fonctionnaires qui confondent leur engagement personnel et leur vie professionnelle.»

En général, ces enseignants, motivés par leur idéologie politique, et convaincus de détenir la vérité, sont difficiles à contrecarrer dans les salles des professeurs qu’ils peuvent aussi impressionner voire terroriser par leur faconde, leur engagement et leurs méthodes intimidantes. Mais s’ils ne sont pas aisés à contrer par leurs collègues, ils le sont aisément par la recherche, laquelle vient totalement contredire leurs discours sur la loi du 15 mars 2004. Éric Maurin, directeur d’études à l’Ehess et professeur à l’École d’économie de Paris, a ainsi démontré dans un ouvrage concis et efficace, que depuis la circulaire Bayrou de 1994 et la loi du 15 mars 2004, les jeunes filles d’origine ou de culture musulmane ont profité de la possibilité d’émancipation que leur offraient ces dispositions pour élever leur niveau scolaire et leur niveau d’études: «Elles sont mieux diplômées mais également beaucoup plus souvent mariées à des personnes du groupe non musulman» nous dit-il.
Cette démonstration d’un économiste reconnu nous permet donc de voir que non seulement l’accusation de racisme est fantasmatique mais également que les libertés obtenues grâce à une scolarité plus poussée mettent à mal l’idée même que cette loi serait «liberticide». Ou quand l’antiracisme devenu fou contribue à enfermer les gens - en l’occurrence les femmes - au nom du bien. La République a besoin d’enseignants convaincus qu’ils œuvrent à l’émancipation des élèves, et non de fonctionnaires qui confondent leur engagement personnel et leur vie professionnelle, ni d’idéologues qui, quand la réalité contredit l’idéologie, considèrent que c’est la réalité qui a tort. Être enseignant, c’est s’engager dans une mission d’intérêt général, c’est s’engager à faire en sorte que nos élèves, quels qu’ils soient, puissent accéder au meilleur et, quand cela est nécessaire, sortir de leurs conditions.◾
  • Illustration : Iannis Roder et son livre «La Jeunesse française, l’École et la République», éditions de l’Observatoire, 222 pages, 19 €.
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31/08/2023
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