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Les témoignages insoutenables des esclaves sexuelles de Daech

  • par Kamel Daoud, pour Le Point - avril 2024 Republié par Jal Rossi
Plongée dans l’enfer du harem d’Abou Bakr al-Baghdadi, calife de l'État islamique. Les victimes survivantes témoignent.
 
Loi 1 : «Aucune femme n'est licite pour l'homme si elle n'est pas son épouse ou sa propriété, sa servante.» Loi 2 : «La servante ou l'esclave le deviennent par la guerre.» Loi 3 : «Un homme, s'il a combattu durant le djihad, obtient la captive par don de son gouverneur ou en l’achetant.» Ces textes moyenâgeux, datant des conquêtes guerrières d'il y a dix siècles, peuvent être encore plus explicites sur le bon usage des esclaves sexuelles prises lors des victoires armées. Par exemple, on ne peut en «user» qu'après un cycle menstruel, ou bien seulement après accouchement, si l'esclave a été capturée enceinte. C'est par ces «avis religieux» de la littérature de l'empire d'autrefois, aujourd'hui monstrueux, que Daech a justifié le recours au kidnapping, au rapt et à la soumission des esclaves sexuelles, souvent yézidies, durant le règne de l'État islamique en Irak et en Syrie (2014-2019). Dans des entretiens inédits, la chaîne internationale saoudienne Al Arabiya (concurrente d'Al Jazeera, de tendance «Frères musulmans»), Asma, la première épouse d'Abou Bakr al-Baghdadi (1971-2019), le calife de Daech, avait évoqué les mœurs du harem du calife en adoucissant, par calcul ou par peur, le récit de la traite sexuelle. Le «on savait si peu» prévalait quelquefois sur la responsabilité directe, notamment celle de la première épouse d'Al-Baghdadi en 1999, mariée à cet homme bien avant la proclamation du califat dans la mosquée de Mossoul en juin 2014. Pour reconstituer les faits, il manquait la voix des victimes, celles qui avaient été rachetées par leurs proches, celles qui avaient réussi à fuir et à survivre aux bombardements, à la traite humaine et à leurs propres souvenirs du cauchemar.
 
Le scoop d'Al Arabiya, diffusé il y a quelques semaines, n'est pas resté sans suite. Quelques semaines après, deux émissions de 52 minutes chacune proposent des entretiens bouleversants de quelques Yézidies survivantes utilisées comme «sabayas» – traduire : esclaves sexuelles. Ce mot «sabaya», inconnu en Occident, signifie en même temps butin, propriété, objet, esclave, servante. C'est un sort qui a frappé des milliers de jeunes filles yézidies lors de la prise de Sinjar, une ville située dans le nord-ouest de l'Irak, proche de la frontière syrienne, dans la province de Ninawa, foyer historique de la religion yézidie. Les deux émissions, parfois insoutenables, laissent entrevoir l'enfer vécu par ces femmes survivantes de la «traite».
 
Esclaves sexuelles de Daech : le «mode d'emploi»
 
Commençons par le début : comment devient-on esclave de Daech ? Quel est le mode d'emploi des captives ? Le marché aux esclaves de Daech est une réalité. Une réalité vécue par les victimes, assassinées ou survivantes, mais également vue et certifiée par les médias et souvent mise en avant par les services de propagande de Daech lui-même, pour augmenter l'attractivité du djihad. Lors de ces deux émissions, l'une des rescapées, Sarab Naif Issa, raconte qu'un jour elle a réussi à fouiller le téléphone mobile de l'un de ses maîtres, le dernier en date dans la chaîne de ses «propriétaires». Il l'avait oublié dans la maison. «J'ai découvert un groupe WhatsApp intitulé Souk Ennissa [marché des femmes] avec des photos de femmes accompagnées de leur prix.» Après la sélection et l'offre d'achat, précisera-t-elle, le «client» venait voir la marchandise dans une ferme en Syrie, où l'on regroupait souvent les captives. Ce marché avait connu même des «excès» d'usage, selon les archives retrouvées après l'effondrement de «l'État». On y lit que les muftis avaient dû intervenir pour encadrer le marché et rappeler les lois après des abus de «maîtres». Lesquels ? Ne pas respecter, par exemple, le délai cité plus haut de «purification» de l'esclave par un cycle menstruel entier, ou le fait qu'un même homme jouisse d'une femme et de sa fille. Le marché avait connu son apogée à la prise de Sinjar à la mi-août 2014. Toutes les captives racontent, presque à l'identique, les détails de la chute de cette «capitale» et la route vers leur sort.
 
Ashwak Haji Hamid est l'une des rescapées de l'organisation Daech. Visage rond, beaux traits, cheveux de jais, regard endurci et un halo de féminité fière, une énergie volontaire. Elle fut aux mains du califat pendant près de trois mois. Avant sa fuite, elle a longuement recherché sa sœur et sa cousine, toutes deux kidnappées en même temps qu'elle durant la nuit fatidique des massacres de Sinjar en août 2014. En vain. Les deux fillettes disparues s'appelaient Riham et Raha. Après la prise de la province et de la capitale du territoire kurde irakien, «nous étions beaucoup de filles et de fillettes captives. Ils nous ont séparées les unes des autres. Ma sœur et ma cousine avaient été placées ailleurs». Ashwak ne les verra plus et n'entendra plus jamais mentionner leurs prénoms.
 
Jusqu'au jour de la diffusion du témoignage de l'épouse d'Al-Baghdadi sur la chaîne Al Arabiya il y a quelques semaines ! «Ce jour-là, raconte la rescapée, tout le monde nous a appelés pour nous répéter que l'épouse du calife avait confirmé la présence de deux fillettes dans le harem d'Al-Baghdadi.» En effet, à la question de la présence d'un harem sous son autorité, Asma, l'épouse favorite, nie mollement : «Certaines ne sont restées que quelques jours ; celle qui est restée le plus longtemps s'appelait Riham. Les autres Yézidies, j'ignore ce qu'Al-Baghdadi en faisait, et comment il en disposait.» Pour les proches de Riham, avant le mois de février 2024, date de la diffusion de l'entretien, ce prénom désignait surtout une disparue. «Nous ignorions qu'elles avaient été captives auprès d'Al-Baghdadi jusqu'au jour où sa femme est apparue à la télévision il y a quelques semaines», répète Ashwak. Depuis ce jour, donc, l'espoir resurgit et avec lui la douleur, la souffrance et la peur d'espérer, justement. La colère d'Aswhak, la survivante, apparaît immense : elle n'arrive pas à admettre que l'épouse du Calife ait pu jouer l'ignorante, celle qui ne savait pas.
 
«Al-Baghdadi violait chaque fille, chaque jeune fille avant qu’elle soit revendue à un autre plus offrant.» Ashwak Haji Hamid, rescapée
 
«Quel âge avaient les deux fillettes capturées ?» interroge l'intervieweur. «Riham avait 9 ans. Raha ? 12 ans», souffle Ashwak, avant de s'emporter : «Bien sûr, l'épouse d'Al-Baghdadi n'a pas raconté que nous étions traitées comme des servantes et qu'on nous battait […]. Elle parle avec assurance, comme si elle n'avait rien fait, comme si elle était innocente du sort des femmes yézidies. Comment le peut-elle ? Al-Baghdadi violait chaque fille, chaque jeune fille avant qu'elle soit revendue à un autre plus offrant. Aucune n'a pu quitter sa maison avant que celui-ci ne la viole. Si, comme elle l'affirme, elle aimait les Yézidies, pourquoi n'a-t-elle jamais rien fait pour les délivrer ? Elle ne nous a jamais demandé : “Où sont vos familles ?” Elle n'a jamais dit à aucune d'entre nous : “Donne-moi le numéro de téléphone de vos proches” pour les avertir. Elle n'a pas rapporté qu'elle battait les filles yézidies tout le temps. Qu'elle a séparé des enfants de leurs parents. Ce que nous voulons du gouvernement irakien, c'est qu'on oblige les femmes comme elle à reconnaître leurs crimes. Qu'elles disent : “Nous l'avons fait.”»
 
«On ignorait où l'on nous emmenait»
 
L'enfer d'Ashwak a commencé le 3 août 2014. Elle se trouvait dans la maison familiale, dans la région de Snouni, à Sinjar. «La famille de Raha [sa très jeune cousine] était avec nous, avec les miens, précise-t-elle. Nous étions six ou sept familles abritées au même endroit.» Daech, première puissance armée dans cette région livrée au chaos entre la chute de Saddam et les «printemps arabes», avait conquis les alentours, exterminé des milliers de personnes, et les assiégés ne pouvaient plus fuir. Les maisons sont ensuite bombardées, fouillées, et les occupants rassemblés dans des écoles afin de faire un tri par sexe et par âge. Ashwak, malgré sa concentration, semble avoir enfoui au plus profond d'elle-même ce «moment». Selon d'autres rescapées interrogées pendant les deux émissions, les filles et les fillettes sont placées au premier étage des écoles ou des édifices publics, tandis que les hommes sont logés ailleurs. Plus tard arrive l'heure des cris, des pleurs et des supplications des mères à qui l'on arrache leurs enfants. Les filles et les fillettes, d'à peine 10 ans, sont embarquées dans des bus et emmenées en Syrie, «pour une semaine», précise Ashwak qui fait partie du lot. «Je ne me souviens pas trop bien», ajoute-t-elle chaque fois qu'elle perd le fil du récit. Mais elle se rappelle que, durant ce périple, Riham et Raha étaient encore avec elle. Le convoi transitera ensuite par Mossoul, pour trois jours. C'est là que les fillettes sont séparées d’Ashwak.
 
«On nous battait pour le nettoyage, la lessive, la cuisine.» Ashwak Haji Hamid, rescapée
 
«On ignorait où l'on nous emmenait. On pleurait et pleurait des heures et des heures.» Pour elle, on ne peut pas oublier ce moment des séparations, quand «ils» ont arraché les enfants à leurs mères. À elle seule, la grande famille d'Ashwak compte une vingtaine de sœurs et de cousines, et les captives sont acheminées à Baaj, dans la région de Nainawa. C'est ici que les premiers «clients» viendront faire leur choix. Ici qu'elle connaîtra son premier «propriétaire», un certain Abou Houmam. Elle se remémore la scène : les esclaves sont assises sur un canapé qui fait face à celui des chefs ou des dignitaires de Daech (les premiers servis), dans une maison banale, près du village de Ramboussi. «Nous étions cinq jeunes filles dans la maison d'un Yézidi.» Une vie dure s'ensuivra : «Je suis resté trois mois avec cet homme. Dans ma tête, il s'agit de dix ans, c'est la moitié de ma vie. Nous étions des fillettes et nos jouets étaient encore dans nos mains», précise Ashwak, en pleurs. «On nous battait pour le nettoyage, la lessive, la cuisine. Quoi que nous puissions raconter encore aujourd'hui, il faut avoir été une captive libérée pour le comprendre. Je n'aurais jamais imaginé pouvoir fuir et leur échapper.» Au bout d'un moment, elle comprend que si Abou Houmam meurt, elle sera revendue à un autre. Elle décide de fuir, à n'importe quel prix. «Même si je risquais la mort en fuyant, pour moi la mort était une délivrance.»
Sa fuite est rocambolesque. Elle feint d'être malade et est autorisée à consulter un médecin, dans un hôpital, avec six autres captives. Sur place, elle se fait prescrire et délivrer des médicaments qu'elle «cuisinera» au dîner pour les «maîtres». L'effet des somnifères lui ouvre les portes à minuit passé. Dans la nuit noire, sans guide, sans information, sans direction, le petit groupe des évadées se dirige vers une petite lumière rouge qui brille parfois au sommet d'une montagne. «On l'a vue. Nous nous sommes dirigées vers cette lumière.» Ce qui l'interroge encore au fond d'elle-même, c'est cette sensation d'irréalité du vécu qui déborde encore sur sa vie d’aujourd'hui.
 
«Je ne me suis jamais soumise, je n’ai jamais montré ma faiblesse. Je n’ai jamais eu peur que de Dieu.» Ashwak Haji Hamid, rescapée
 
Son premier «propriétaire», elle le croisera un jour dans la rue, des années après la chute de Daech. Un moment vertigineux. «Que lui as-tu dit ? questionne le journaliste d'Al Arabiya. – Je ne m'imaginais pas pouvoir l'affronter un jour. Je lui ai dit : “Imagine-toi à ma place. Tu nous battais. Que ressens-tu ?”» La scène, elle n'en raconte pas la fin. Et, comme pour réparer quelque peu le passé humiliant, elle répète «Je ne me suis jamais soumise, je n'ai jamais montré ma faiblesse. Je n'ai jamais eu peur que de Dieu.»
 
Quant à Riham, sa petite sœur, elle croit l'avoir perdue à tout jamais. Jusqu'au moment où elle apprend, comme toute sa famille, qu'elle était l'esclave sexuelle d'Abou Bakr al-Baghdadi, à 12 ans. «On continuera à chercher, nous ne désespérons pas.» Pour elle, «il faut continuer à interroger sans arrêt cette criminelle». Elle désigne la première épouse d'Al-Baghdadi. «C'est l'épouse d'Al-Baghdadi qui a cité les prénoms de mes deux sœurs : Riham [sa sœur] et Raha [sa cousine]. Nous ne savions pas ce qu'il était advenu d'elles depuis qu'elles avaient été enlevées par Daech. C'étaient des fillettes au moment de leur rapt.» Ashwak montre deux photos. Sur l'une d'elles, une fille de 10 ans aux cheveux clairs. Sur l'autre, une fillette en robe sage, deux tresses de cheveux sur les épaules, assise dans un petit salon, comme lorsqu'on pose pour les photos de famille les jours fériés. Comme le répète Ashwak, on imagine mal le traumatisme du kidnapping pour ces deux fillettes.
 
Conversion forcée à l'islam
 
Souad Darwich Hamid est la sœur de Raha. Visage déformé et traits ravagés, comme si elle avait survécu à une brûlure de la peau. Après le premier tri à Sinjar, elle a pu rester avec sa sœur et sa cousine deux semaines, avant d'être achetée. «C'est un certain Abou Mohammed qui les a prises, précise-t-elle. J'ai essayé de m'interposer, par tous les moyens. On nous battait.» Elle aura une seule fois des nouvelles (douteuses) de sa sœur, des années plus tard, par un appel téléphonique. «Elle m'a dit qu'elle était mariée et qu'elle avait des enfants. Elle m'a demandé de l'aider à fuir. Son époux la battait. J'ai tout tenté, mais je n'ai pas pu», s'effondre Souad. L'appel est venu après une longue série de prises de contact par des intermédiaires sur un réseau social, car aujourd'hui, les terroristes cherchent souvent à revendre leur «butin» aux familles.
 
«Il m’a vendue à Abou Aymam al-Iraki, pour deux ans. Celui-ci m’a ensuite vendue à un autre, un certain Abou Hajir.» Souad Darwich Hamid, rescapée
 
Souad est restée prisonnière pendant… cinq ans. Alors, elle en revient aux visages qui lui restent en mémoire, au souvenir des duretés subies. Elle a appartenu à Abou Houmam pour deux mois. «Il m'a vendue à Abou Aymam al-Iraki, pour deux ans. Celui-ci m'a ensuite vendue à un autre, un certain Abou Hajir.» Les pseudonymes de Daech défilent, comme un abîme emboîté dans un autre. C'est Souad qui révèle l'autre face de l'enfer : les femmes de Daech, les «maîtresses» qui traitaient encore plus impitoyablement les esclaves yézidies. «Ces femmes prétendent aujourd'hui être innocentes, mais elles mentent. Elles aussi revendaient. Elles surenchérissaient sur les prix. On travaillait pour elles, on était leurs servantes. Quand Al-Iraki est mort, ce sont ses femmes, une Syrienne et une Irakienne, qui m'ont revendue.»
 
Souad raconte un autre épisode d'horreur muette : quand son premier «propriétaire» est tué dans un bombardement, elle découvre chez le second, Abou Aymam, son petit frère âgé de 4 ans. «J'ai pleuré, j'ai répété “c'est mon frère”, mais on a refusé de le reconnaître. On a démenti, mon frère a hésité mais ne m'a pas reconnue.» Plus tard, une fois Daech disparu, l'enfant lui racontera que, après avoir été battu, il avait refusé de l'identifier. Par peur, mais également pour la protéger, lui confessera-t-il. Souad tentera trois fois de fuir, mais sera chaque fois rattrapée. À la fin, sa famille la rachètera 40.000 dollars. De ses années d'esclave sexuelle, elle garde des images : la violence, la torture, l'interdiction de parler en kurde, les leçons de conversion forcée à l'islam et, aujourd'hui, son frère en larmes. «Chaque soir, il vient se blottir contre moi et me demande si l'on reverra un jour nos parents.» À propos de sa sœur, captive, elle jure : «Je lui ai fait la promesse de la délivrer. Un jour…»�
  • Illustration : Abou Bakr al-Baghdadi, chef de l’État islamique, ordonna les persécutions, les enlèvements, les séquestrations, les viols et les meurtres. @ SOPA Images / SIPA
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18/04/2024
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