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Les noces paradoxales du wokisme et de l’islamisme
  • par Céline Pina, pour la Revue des Deux Mondes - septembre 2024
Le wokisme et l'islamisme, bien que fondamentalement opposés, convergent par leur opposition à la société occidentale. Cette alliance paradoxale s'appuie sur la désignation d'un ennemi commun, facilitant l'infiltration de l'islamisme dans les luttes woke.
 
Faire le lien entre wokisme et islamisme apparaît comme une contradiction dans les termes. Le premier évoque les luttes sociales et sociétales. Le woke est celui qui a ouvert les yeux sur l’injustice et essaie de réveiller les consciences paresseuses de ses contemporains. Par extension, le wokisme est devenu une attention scrupuleuse portée à toutes les minorités. L’islamisme, en revanche, est une idéologie politique qui relève du totalitarisme. Ce n’est pas pour rien si les Frères musulmans, une de ses branches, ont été les alliés d’Hitler. Aujourd’hui, les régimes théocratiques que cette idéologie a engendrés ou les mouvements qu’elle a enfantés sont des laboratoires du pire : État islamique, Iran, Hezbollah, Hamas.
Or le totalitarisme est un concept imperméable à la notion de protection des minorités : il fantasme une société où l’individu n’a pas d’existence propre mais où il est le membre d’un tout. La minorité est une déviance et la déviance n’est pas tolérée au nom de l’unité du principe divin.
 
On a donc du mal à comprendre cette convergence des luttes. D’autant plus qu’au terme de ce processus, des luttes antagonistes ne pourront que s’affronter. Or toutes ne disposent pas des mêmes atouts, des mêmes financements, ne sont pas adossées aux mêmes intérêts. Un des arguments les plus avancés pour contester la progression de l’emprise islamiste dans la société est d’ailleurs de dénier l’appartenance islamiste à certains militants au prétexte qu’ils ne pourraient soutenir des causes étrangères à leur vision du monde : la cause homosexuelle, celle des femmes… L’autre point mis en avant est la stupidité confondante qu’il faudrait prêter à des militants, incapables de remarquer qu’ils ont installé à leurs côtés leurs propres prédateurs. C’est oublier que l’on ne voit que ce que l’on regarde et que l’on confond souvent «partager le même ennemi» et «avoir des intérêts communs».
 
«Tous ces mouvements, motivés par le désir de faire le bien, d’être le bien, finissent en défilés hargneux et oublient leur objet principal pour s’emparer de toutes les causes leur permettant de hurler leurs frustrations»
 
Rassembler le loup et l’agneau se traduit rarement par l’adoption d’un régime végétarien par le loup. On parvient surtout à agrandir l’espace vital du loup par inclusion de l’agneau à ses fonctions digestives. Les noces de l’islamisme et du wokisme au nom de la convergence des luttes ne peuvent finir autrement. Elles sont d’ailleurs parfaitement symbolisées par un sarcasme qui tourne sur les réseaux sociaux : une illustration met en parallèle des militants trans et homosexuels défilant avec des pancartes pro-Hamas sous la bannière «Queer for Palestine», avec une image, conçue par une intelligence artificielle, de poulets manifestant sous le drapeau «Chicken for KFC». Cette blague fonctionne au premier degré. Les islamistes, considérant cette pratique sexuelle comme abominable, ont tendance à tester l’aérodynamisme des homosexuels en les jetant du haut des immeubles !*
 
la même question se pose en ce qui concerne les néoféministes. Alors que l’essence du combat féministe repose sur l’égalité des droits et sur l’accès des femmes à la sphère publique et à la citoyenneté, ces associations soutiennent le port d’un signe sexiste qui marque l’infériorisation de la femme, le voile. Elles sont également incapables de soutenir les Israéliennes victimes de viols lors du pogrom du 7 octobre 2023. Ce constat se décline pour les luttes dites «antiracistes», où la quête d’égalité a été abandonnée au profit d’une mise en accusation des Blancs et d’une revendication d’inversion de la domination. La justice est remplacée par la vengeance et la punition. On pourrait parler aussi des luttes écologistes où, dans la logique d’une Greta Thunberg, il paraît plus important de faire le procès des générations précédentes que de proposer des solutions. Tous ces mouvements, motivés par le désir de faire le bien, d’être le bien, finissent en défilés hargneux et oublient leur objet principal pour s’emparer de toutes les causes leur permettant de hurler leurs frustrations. Celui de Greta Thunberg s’est ainsi mobilisé pour… la Palestine, dans le droit fil des mouvements queer et néoféministes. Ceux-ci n’avaient bien sûr pas jugé utile de se mobiliser contre l’attaque du 7 octobre.
 
Malgré ces incohérences, comment et pourquoi ces luttes réussissent-elles à converger ? Souvenez-vous de la fameuse note du think tank Terra Nova élaborée en 2011 (1), celle qui proposait au candidat du Parti socialiste François Hollande d’abandonner les luttes sociales et la défense du travail, soit l’électorat des ouvriers et des employés, pour se tourner vers un nouvel électorat : les femmes, l’immigration arabo-musulmane, les jeunes des quartiers populaires, les minorités sexuelles... Ce changement de cible avait pour but d’assurer la victoire de la gauche. Cela a marché. Mais le problème de la convergence des luttes clientélistes est que ces minorités sont loin de partager les mêmes buts, leurs objectifs peuvent aussi être opposés. Les intérêts des femmes ne sont pas compatibles avec une culture islamique les réduisant à la sphère privée et ne leur accordant pas l’égalité en droit, voire qui considère la présence de leur corps et de leurs cheveux dans l’espace public comme un problème.
 
De cette incompatibilité des luttes naît un doute sur la réalité de l’entrisme islamiste comme sur le caractère unificateur de ce surplomb. Or l’islamisme est le seul point commun des luttes woke : il a fait du musulman la victime ultime de l’Occident et de son colonialisme. Ce projet théocratique se présente comme un projet de libération des peuples et de l’homme, sauf qu’il n’a aucune dimension émancipatrice. Il faut faire tomber la figure de l’oppresseur, et non définir ce que serait la société idéale à créer. Comme si de l’éradication du bouc émissaire naissait automatiquement la concorde du peuple. Comme si constituer une nation ne demandait aucun travail d’élévation, d’éducation, aucun projet collectif. On est là sur une vision magique : ôter le mal du monde apporte l’harmonie. Pour réunir les luttes, mieux vaut rendre fascinant et terrorisant le visage de l’ennemi. Le projet de société des islamistes est un repoussoir absolu qui sonne le glas des revendications de leurs alliés, et parfois de leurs existences. L’islamisme n’a jamais hésité à passer des alliances avec des partenaires dont il ne partageait aucun des fondamentaux. L’Iran est un exemple éclairant: Khomeini s’est allié avec les communistes pour prendre le pouvoir en 1979 et renverser le shah. Une fois le travail réalisé, il a éradiqué ses alliés en masse : ceux qui ont servi n’ont plus d’utilité, le régime iranien s’en est débarrassé.
 
Comment se sont créées et continuent de se créer ces alliances contre nature? D’abord parce que l’histoire n’est pas la meilleure enseignante du monde. Ses leçons peuvent être amères: le sort des communistes en Iran, le Parti ouvrier d’unification marxiste face au Parti communiste, les mencheviks et les bolcheviks. L’histoire est trop contrariante et exigeante. Or la politique, c’est essentiellement du désir et de la projection. Un homme intelligent achètera plus facilement un mensonge qui le rassure et le confirme dans ses attentes qu’une vérité demandant le sacrifice des faux-semblants confortables. Quand sa survie est en jeu, il accepte d’arrêter de se coudre les paupières. Et encore.
 
Pour comprendre ces dynamiques, il ne faut pas regarder la nature du combat ni la cause défendue; il faut regarder l’ennemi à faire tomber. Jacques Vergès, avocat très célèbre, défendait avec virulence des causes extrêmement diverses, toujours de façon très politique. Ses procès étaient systématiquement des tribunes. Pour autant, difficile de se faire une idée de l’idéologie qui le motivait si on partait des causes défendues. En revanche, tout devenait limpide quand on s’intéressait à sa cible, à ce qu’il attaquait inlassablement, quelle que soit la cause invoquée: l’État, la République et la démocratie, concepts dénoncés comme des leurres. La rage de détruire la France en tant que nation était le fil conducteur de son travail d’avocat. C’est pareil avec le wokisme. Les prises de conscience auxquelles sont appelés les militants n’ont finalement qu’un objet : désigner un bouc émissaire. Le wokisme n’accouche jamais d’un projet partagé, il se borne souvent à désigner l’ennemi commun et à créer une internationale de la haine. C’est justement ce qui attire l’entrisme islamiste. Les woke mettent en accusation leur propre société sans se soucier de la moindre crédibilité mais avec une virulence extrême. Ils sont d’autant plus déstabilisants que, persuadés d’agir pour le bien, ils ne s’imposent aucune limite. Leur violence est légitime à leurs yeux : elle est déployée pour une bonne cause et contre des personnes au préalable déshumanisées. Elle vise à dénoncer les manipulations des États, vus comme des entités intrinsèquement mensongères.
 
Un woke va faire un procès à la société dans laquelle il vit, par exemple, parce que celle-ci ne réalise pas l’égalité parfaite et absolue entre hommes et femmes. Pour lui, la mise en avant de l’égalité en Occident est un mensonge : il suffit de voir les inégalités salariales ou de carrière qui subsistent entre les sexes. Il en arrive par glissement à nier une évidence : la condition féminine est très différente selon qu’un pays fasse de l’égalité la base de sa Constitution ou qu’il la refuse à raison du sexe ou de la race. Parce que l’idéal n’est pas atteint chez nous, les différences entre la condition des femmes en Europe et celle des femmes au Maghreb ou en Iran sont niées. Le but du jeu: en dénonçant comme factices les libertés et les droits occidentaux, on empêche toute possibilité d’adhésion aux valeurs et aux idéaux d’un pays puisque ce serait, par naïveté, adhérer à une tromperie. Il s’agit à la fois de faire des origines la seule identité possible et de faire de l’assimilation ou de l’intégration à la société une trahison et un leurre. Il faut, pour être «éveillé», construire le rapport à la citoyenneté, à la sphère publique, à l’action de l’État dans le soupçon et l’opposition systématiques.
 
Le wokisme intéresse les islamistes par sa puissance de destruction et de déstabilisation. Il n’a rien d’une lutte sociale, même s’il les phagocyte. Une lutte sociale est en général une lutte pour l’égalité et la justice. C’est un mouvement transcendant qui implique de se dépasser soi-même pour atteindre l’intérêt général. Cette lutte passe par une reconnaissance mutuelle, l’égalité, et par la détermination d’objectifs, la quête de justice. Elle permet le rassemblement de personnes très différentes grâce à l’élaboration d’un projet partagé.
 
Le wokisme, lui, fait de chaque militant un petit Fouquier-Tinville, un commissaire politique qui, au nom de sa morale, pratique le rappel à l’ordre permanent. Le militantisme woke parle d’un monde impossible à partager, où chacun voudrait avoir son moi pour roi et pour loi. Un monde d’ego illimité où l’existence même de l’autre est vue comme une offense et une frustration. Un monde où l’environnement, le monde extérieur, doit s’adapter au ressenti individuel et non l’inverse. Or un tel monde ne peut aboutir qu’à l’affrontement de tous contre tous: il évacue la notion de commun. C’est cela que l’islamisme exploite pour détruire les sociétés. Cette atomisation étant insupportable, à terme, elle impose dans les faits la tyrannie du groupe : l’individu atomisé, isolé, exposé ne peut survivre que s’il fait allégeance à plus fort que lui. Là, l’islamisme propose une voie et une solution, l’appartenance à la oumma, et même une manière de verbaliser son appartenance, la référence au Coran et à la charia.
 
Et ce au grand soulagement de la société : chacun de ces petits «moi» tyranniques développe ses propres obsessions et sa propre inquisition, sous couvert de protection des minorités. Résultat, la violence raciale, sexiste, politique et religieuse ne cesse de grandir sous leur règne. Le wokisme contient les germes de la violence qu’il prétend combattre et celle de la réaction islamiste qu’il ignore charrier. Après avoir surfé sur la vague du nihilisme individualiste et de la protection des minorités, il finit en engrais du totalitarisme et en berger du communautarisme.�
  1. «Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ?», Terra Nova, 10 mai 2011.
  • Illustration : Céline Pina est journaliste et essayiste. Elle a participé, sous la direction de Florence Bergeaud- Blackler et Pascal Hubert, à l’ouvrage «Cachez cet islamisme. Voile et laïcité à l’épreuve de la cancel culture» (La Boîte à Pandore, 2021). © DR
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02/10/2024
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