3682-Les jeunes ont raison d’en vouloir aux baby-boomers !1 post

Article de Propos recueillis par François Miguet
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« Les jeunes ont raison d’en vouloir aux baby-boomers ! »© Alamy Stock Photo/Abaca

C'était il y a dix ans déjà. Les économistes Jean-Hervé Lorenzi, fondateur du Cercle des économistes, des Rencontres économiques d'Aix-en-Provence et de la revue Risques, et Mickaël Berrebi, directeur du conseil en investissements du courtier Diot-Siaci, brossaient l'inquiétant tableau d'Un monde de violences. Et maintenant ? Selon ce tandem bien informé, la situation est, hélas, loin de s'être améliorée. Voilà pourquoi ils ont décidé d'écrire une suite Un monde de violences, et après ? (Eyrolles, 304 pages). Explications.

 

Le Point : Dix ans après votre premier ouvrage, vous publiez cette suite. Quelles évolutions majeures avez-vous constatées depuis 2014 ?

Jean-Hervé Lorenzi et Mickaël Berrebi : Certaines des ruptures macroéconomiques qui étaient naissantes il y a dix ans, comme les tensions géostratégiques ou les conflits entre les générations, se sont accélérées. Aujourd'hui, nous vivons une période historique telle qu'on n'en a pas connu depuis de nombreuses décennies. C'est un monde plus dangereux, plus violent. Parmi les ruptures majeures, il y a le retour de la guerre en Europe, évidemment. En 2014, nous avions prédit la réapparition de la guerre. Eh bien, malheureusement, nous y sommes !

Deuxième rupture considérable : la hausse des taux d'intérêt. Il n'y a pas si longtemps, les partisans de la « nouvelle théorie monétaire » nous expliquaient encore que l'on vivrait pour toujours dans un monde de taux bas, et que l'on pourrait dès lors financer à crédit les principales transitions, climatique et démographique.

Or, cette théorie, qui se basait notamment sur le déséquilibre fort entre l'investissement et l'épargne, a explosé en vol. Dans le même temps, les besoins de financement pour le vieillissement de la population, l'innovation et l'adaptation au changement climatique sont toujours extrêmement forts.

Panne des gains de productivité, vieillissement, inégalités, désindustrialisation, financiarisation, rareté de l'épargne? Dans le panorama des menaces que vous décrivez, lesquelles vous paraissent les plus aiguës et dangereuses ?

Le risque de violence sociale de type « Gilets jaunes » nous paraît considérable ; il s'est accentué en raison du creusement des inégalités entre les séniors et les jeunes. Ensuite, le risque de guerre commerciale a gagné en importance depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. Et puis, il y a bien sûr le risque financier. La finance est devenue une sorte d'industrie totalement séparée de l'économie réelle, indifférente au bien commun.

Il faut arrêter de mettre les cadres de plus de 60 ans à l'écart du travail.

Enfin, il y a évidemment le problème démographique. Le grand historien Fernand Braudel disait que l'histoire du monde s'écrit à partir de la démographie. Il avait raison. Or, aujourd'hui, le monde vieillit de manière extrêmement brutale ! 

Depuis 2016, il y a plus d'habitants dans les villes que dans les campagnes. Ce sont des bouleversements majeurs.

 

Vous rappelez à juste titre que le vieillissement de la population peut se transformer en « malédiction économique ». De ce point de vue, que vous inspire l'interminable débat sur les retraites en France ?

Qu'on en soit encore à débattre de la réforme des retraites est absurde ! La France en est à sa cinquième réforme sur le sujet depuis Balladur, en 1993. D'accord, il y a un ralentissement de la croissance et donc un pouvoir d'achat des retraités qui va diminuer dans le temps. Mais une fois qu'on a dit cela, il est clair qu'il va falloir travailler plus longtemps et qu'il va être nécessaire d'augmenter le taux d'activité des plus de 60 ans.

Chez nous, le taux d'activité des personnes de 60 à 65 ans est de vingt à trente points de pourcentage plus faible que dans les pays comparables. La vision de la CGT et de FO, consistant à penser qu'il ne faut ni accroître le temps de travail ni repousser l'âge de départ à la retraite, n'est pas la bonne. Et celle des patrons qui mettent les plus de 60 ans à l'écart non plus. Il faut arrêter une fois pour toutes de mettre les cadres de plus de 60 ans à l'écart du travail en France.

Comment procéder pour équilibrer le système ?

Au lieu de se focaliser sur l'âge légal, il faut raisonner en annuités, avec un passage à 43 ans en 2027, puis 44 ans en 2035, et un système de cotes et décotes plus favorable, qui prendrait notamment en compte les carrières hachées des femmes.

Nombre des « ruptures » que vous proposez nécessitent d'investir des milliards d'euros. Or, la dette publique est hors de contrôle et les gouvernements semblent incapables de faire baisser la dépense publique. Comment s'y prendre alors ?

À l'échelle mondiale, l'ensemble des dettes publiques et privées a bondi de plus de 90 % depuis 2008. Donc le monde entier est surendetté, et le monde entier a besoin d'investir massivement. Ce sujet n'est pas uniquement français. Cela dit, il est clair que la France va être obligée de fournir un effort particulier sur ce sujet. Dans un contexte de raréfaction de l'épargne et de taux d'intérêt durablement élevés, il est nécessaire de dompter l'endettement.

On peut actionner des leviers techniques. Jouer sur les maturités, par exemple. Revoir les modalités d'émission afin de contraindre l'État à ne lever de la dette que pour les investissements productifs et non pour financer les transferts sociaux. Ou encore mutualiser certaines dettes au niveau européen pour financer en commun les deux grands chantiers que sont le réarmement et la lutte contre le réchauffement climatique.


Ne faut-il pas surtout tailler dans les dépenses publiques, qui sont, en France, nettement plus élevées que chez nos voisins ?

La France doit revoir son modèle social. Chez nous, les retraites pèsent 4 à 5 points de PIB de plus que dans les pays comparables. Ce doit donc être le chantier prioritaire. L'excès de dépenses sociales en France a deux conséquences désastreuses : des salaires trop bas, et un budget national qui s'affaisse.

Nos gouvernants n'ont toujours pas compris que la période actuelle n'a plus rien à voir avec celle qu'ils avaient connue jusqu'à présent, notamment du fait des bouleversements démographiques, financiers et géopolitiques. D'ici 2030, les dépenses de dépendance vont passer de 30 à 50 milliards d'euros par an. Ce sera infinançable si on ne travaille pas davantage. Et pourtant personne n'en parle !


Les jeunes ont-ils raison de penser que les baby-boomers ont vidé la caisse ?

Oui, les jeunes ont raison d'en vouloir aux baby-boomers. C'est un sujet très sérieux, car le choc démographique est le plus dangereux de tous ceux que nous allons devoir affronter. C'est d'ailleurs aux retraités de payer pour la dépendance et non aux jeunes. Il faut absolument que nos dirigeants recentrent la focale sur la jeunesse.

Trump est obsédé par la réindustrialisation de son pays.

Nous préconisons plusieurs mesures. Une première idée serait que toute décision publique nouvelle doive être soumise au préalable à une étude d'impact de ses effets sur la jeune génération. Une autre serait d'augmenter la taxation des droits de succession, sauf pour ceux qui s'engageraient à réinvestir une partie de leur patrimoine vers des investissements de long terme, par exemple des actions d'entreprises risquées. Il faut arrêter de mettre tout l'argent dans la pierre.

Votre livre a été achevé avant la réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche. Comment répondre à la violence de sa politique commerciale ?

Trump est un personnage hors norme, mais il ne fait que reprendre la tendance de fond, qui existait déjà sous Obama, de se détourner de l'Europe pour se focaliser sur la Chine. Il est obsédé par la réindustrialisation de son pays, de manière certes irréaliste, mais continue. Pour parvenir à cette fin, la guerre commerciale n'est qu'un moyen. Alors, que devons-nous faire ?

D'abord, il faut faire le deuil de la relation privilégiée entre l'Europe et les États-Unis. Ensuite, il faut rendre aux Américains la monnaie de leur pièce en réindustrialisant, nous aussi, de manière agressive. Notamment en aidant davantage nos industries automobiles et de défense pour avoir enfin les technologies duales, c'est-à-dire à usage à la fois civil et militaire, qui vont nous permettre de régler notre panne de productivité.

Selon l'Insee, la productivité du travail en France a reculé d'environ 3,5 % entre 2019 et 2023, à comparer avec une chute d'un point de pourcentage au niveau européen. Le décrochage avec les États-Unis est net. Il s'explique en partie par le manque d'innovation et des prix de l'énergie plus élevés. Par conséquent, il faut se remettre au travail !



31/03/2025
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