« Dis, comment on fait les bébés ? » Voilà une question que des générations de parents ont redoutée, contournée, zappée, avalée ou affrontée enfin, avec du courage et des petits dessins. Mais nos bambins d’aujourd’hui s’adresseraient-ils à leurs géniteurs pour en savoir davantage sur le mystère de la vie, alors qu’en deux coups de pouce, leur portable élucidera tous ces secrets ? Oui, mais cela peut aller de la réponse prudente et bien propre du Chat, l’intelligence artificielle de Mistral (rapport sexuel, fécondation, développement de l’embryon, accouchement, autres méthodes), jusqu’aux tréfonds les plus glauques de la pornographie. Et au beau milieu, les minauderies des influenceuses…

Dès 2012, le philosophe Michel Serres présentait dans son essai « La petite Poucette », ce qu’il pressentait comme une révolution anthropologique. Le monde est désormais au bout des doigts de nos enfants. Il en imaginait le meilleur parti, voulant faire confiance à cette « petite Poucette » imaginaire, héroïne d’un conte moderne où elle doit trouver son chemin dans un monde numérique et virtuel, à la manière de son lointain ancêtre, le Petit Poucet.

La réalité est plus compliquée. Si les élèves des collèges n’utilisaient leur mobile que pour améliorer leurs connaissances ou parfaire leur culture, il ne serait venu à l’idée de personne d’interdire cet outil à l’école. Mais c’est hélas la face noire de la toile qui attire, les réseaux sociaux, les moqueries, les vidéos X, le harcèlement, la violence… Et c’est ainsi qu’un océan numérique s’est ouvert, entre d’une part parents et enseignants, d’autre part, nos enfants. Ils y ont certes gagné un phénoménal espace de liberté et d’exploration. Mais sont en même temps tombés dans une jungle impitoyable, dont les codes sont ceux des adultes. Or, précisément, les plus jeunes n’ont pas encore acquis les armes pour aborder de tels mondes : savoir prendre de la distance, du recul, face à des déferlements de haine ou de sexe, intercalés entre deux chiens mignons et un tutoriel minceur. Tout ce gloubi-boulga du meilleur et du pire incite à la confusion, au relativisme, dans une abolition des valeurs les plus élémentaires.

Dans ces conditions, bien sûr que la bonne méthode, c’est de limiter l’usage de cet instrument, à l’école comme à la maison. Et d’accompagner la maîtrise d’un outil indispensable dans leur future vie quotidienne : car les écrans feront partie intégrante de leur existence.

Ces appareils engendrent une autre perversion. Les enfants qui grandissent dans des familles paisibles et équilibrées sauront mieux faire la part des choses face aux excès du web. Alors que les gosses mal dans leur peau s’y nourriront du pire, « sur l’écran noir de leurs nuits blanches ».