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Nicolas Bouzou: «La France souffre du syndrome de “l’à-peu-près”»
  • par Marie Visot, pour Le Figaro - février 2023 Repris par JALR
ENTRETIEN - L’économiste appelle nos concitoyens à sortir de la passion égalitariste et à viser l’excellence collective, seule voie d’avenir.
 
Essayiste spécialisé dans l’économie, Nicolas Bouzou a fondé le cabinet Astrès. Il a créé en 2018 les Rencontres de l’Avenir à Saint-Raphaël, un moment de débat où se retrouvent chaque année pendant trois jours intellectuels, chefs d’entreprises, économistes ou encore politiques. Dans son dernier ouvrage La France de l’à-peu-près (Éditions de l’Observatoire), paru le 22 février, il estime qu’il est temps de refaire vivre le génie français, «en encourageant l’intelligence, la lucidité, la précision et le courage - des qualités qui ne sont plus guère plébiscitées dans notre pays - et en investissant massivement dans un système éducatif exigeant».
 
Le Figaro. - Dans votre dernier ouvrage, vous regrettez que notre société soit nivelée par le bas, bien que les Français soient de plus en plus exigeants. Expliquez-nous.
Nicolas Bouzou. - Selon moi, le malaise français prend ses racines dans le syndrome de «l’à-peu-près». La France n’est pas un pays qui chute, ni un pays en faillite. C’est en revanche un pays où la passion égalitariste et le nivellement par le bas ont entraîné depuis vingt à trente ans une épidémie d’à-peu-près, et donc de dégradation cumulative de nos performances économiques et de la qualité de nos services publics. Par exemple, la relative faiblesse des salaires est liée au fait que nous ne travaillons pas assez collectivement, que les entreprises n’investissent pas suffisamment et que notre formation initiale comme professionnelle n’est pas assez performante. Le problème, c’est que nous n’assumons pas collectivement ce déclin. Nous voulons des salaires plus élevés, un hôpital qui fonctionne, des transports à l’heure. C’est légitime mais c’est absolument incompatible avec ce syndrome de l’à-peu-près.
 
L’à-peu-près en économie, l’à-peu-près en écologie, l’à-peu-près en santé… Quelles sont les conséquences?
La conséquence, c’est qu’à force de politiques publiques dans la demi-mesure, mal exécutées et dont le suivi n’est pas assuré avec rigueur, il y a des morts évitables aux urgences hospitalières, des enseignants qui font des fautes d’orthographe, une immigration irrégulière qui scandalise les Français, des munitions insuffisantes pour nos armées, une productivité en baisse. Prenons un exemple d’actualité: les pertes financières d’EDF en 2022. 18 milliards d’euros! C’est une honte nationale. Dans un contexte de pénurie énergétique et de nécessité de décarboner l’électricité, EDF devrait faire scandale grâce à ses super profits et la balance commerciale énergétique de la France devrait être excédentaire! La politique économique qui a été menée depuis six ans illustre bien mon propos. Elle va globalement dans la bonne direction, mais pas suffisamment loin pour donner des résultats. C’est très bien d’avoir réformé l’ISF, d’avoir instauré le prélèvement forfaitaire unique et d’avoir commencé à alléger les impôts de production. Mais ces mesures, sans projet global et précis sur la réforme de l’État, l’éducation ou l’innovation ne peuvent opérer un redressement perceptible du pays.
«Le spectacle donné récemment par les Insoumis au Parlement est le pire de ce que notre pays peut produire : vulgarité, outrances, parfois violence et souvent inintelligence.» Nicolas Bouzou
La faute à une démission collective?
Oui. Se limiter à la critique du politique laisse de côté l’essentiel du sujet. La faute à un laisser-aller collectif lié notamment à la démagogie égalitariste et à la critique de la méritocratie. Il y a tout un courant sociologique qui explique que la réussite ne tient qu’aux héritages familiaux et à la chance. On recycle à bas prix les thèses bourdieusiennes les plus éculées selon lesquelles respecter l’orthographe relève d’une volonté de domination de classe. Le résultat de tout cela, c’est que l’on perd le sens de l’excellence et même du travail bien fait. À l’extrême, cela pourrait nous emmener vers une «zadisation» de la France. Le problème, c’est que cette tendance à la zadisation est incompatible avec l’idée que les Français se font de leur pays et qui est très haute. C’est la raison pour laquelle j’explique que retrouver le chemin de l’excellence est la seule manière de renouer avec le génie français, qui doit être le destin de notre pays.
 
Pourtant, vous dites que la France n’est pas un pays qui sombre…
Nous ne sombrons pas, nous glissons. Quand on voyage aux États-Unis ou en Angleterre, on voit bien que la France ne fonctionne pas si mal. Mais nous perdons peu à peu des parts de marché à l’exportation, nous avons des start-up mais pas de grandes entreprises du numérique, notre système de santé n’est plus du tout le meilleur au monde, nous ne produisons pas assez d’électricité, nos universités sont d’un niveau moyen. Mais à force de glisser, on se retrouve vers le bas de la pente.
 
Dès lors comment rebondir?
Je vois deux leviers principaux. Le premier est de diffuser un discours de revalorisation de l’excellence et du génie français. Nous devons ériger en exemple des personnalités qui ont consacré leur vie pour donner le meilleur, pour eux, pour leur discipline et par voie de conséquence pour leur pays: Flaubert et Pasteur hier ; Hélène Grimaud, Hedi Slimane ou Bernard Arnault aujourd’hui. Vive la réussite, les grands champions, les grands scientifiques, vive les entrepreneurs milliardaires! Le deuxième levier est évidemment celui de l’éducation nationale. Le système de recrutement des enseignants et des chefs d’établissement doit être revu d’urgence: des salaires plus élevés, de vraies évaluations, des primes. Par ailleurs, il faut remettre de l’autorité dans le système éducatif au sens de sa racine latine augere: élever, emmener plus haut. Mais au lieu de parler d’éducation, nous nous écharpons sur une réforme des retraites somme toute bénigne et qui aurait dû être acceptée en deux temps trois mouvements.
 
Vous parlez de retrouver la voie de l’excellence. Comment?
En combattant pied à pied le discours complaisant avec la décroissance, la paresse et la médiocrité et en expliquant que l’excellence collective est la seule voie d’avenir pour la France. Notre pays ne peut rester un pays «moyen» car c’est une situation intrinsèquement instable pour lui. L’histoire de France oscille entre le pire et le meilleur: Pétain et de Gaulle. La France n’est pas un pays tiède. Le spectacle donné récemment par les Insoumis au Parlement est le pire de ce que notre pays peut produire: vulgarité, outrances, parfois violence et souvent inintelligence. Mais ce pire a le mérite de nous montrer ce que pourrait devenir la France si elle choisissait cette voie de la médiocrité populiste. À l’inverse, en choisissant l’excellence, notre pays serait un paradis sur terre et redeviendrait une grande puissance.�
  • Illustration : Nicolas Bouzou. Sébastien SORIANO/Le Figaro
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03/03/2023
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