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«Le procureur de la CPI a délibérément attendu de pouvoir mettre en cause Israël pour incriminer le Hamas»

  • par Géraldine Woessner, pour Le Point - mai 2024 Republié par Jal Rossi
La démarche de Karim Khan, qui renvoie dos à dos les dirigeants israéliens et ceux du Hamas, est-elle conforme au droit, et aux faits ? L’avocat François Zimeray en doute.
 
Cinq incriminations, et une foule de questions. En renvoyant dos à dos le président israélien Netanyahou et les dirigeants du Hamas, contre lesquels des mandats d'arrêt pour crime de guerre et crime contre l'humanité ont été requis, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a sidéré les principales démocraties. «Une honte», a tonné le secrétaire d'État américain Antony Blinken, rappelant que le procureur Karim Khan devait prochainement rencontrer la justice israélienne, en vue d'établir une coopération pour instruire les accusations visant le président de l'État hébreu.
À la place, «le procureur est passé sur une chaîne du câble pour lancer ses accusations». Des circonstances qui s'écartent de manière inédite des canons du droit international, et qui mettent en question, pour le département d'État américain, «la légitimité et la crédibilité de cette enquête». Pourquoi le procureur a-t-il annulé in extremis sa rencontre avec les autorités judiciaires israéliennes ? Pourquoi a-t-il attendu sept mois avant de réclamer un mandat d'arrêt contre les instigateurs des massacres du 7 octobre, malgré les nombreuses preuves filmées par les auteurs eux-mêmes ?
L'ancien ambassadeur de France pour les droits de l'Homme, François Zimeray, s'interroge sur le calendrier et le mode de communication choisis par le procureur de la CPI. Spécialiste du droit international, l'avocat représente également neuf familles de victimes des massacres du 7 octobre, qui attendent depuis des mois que leur plainte contre le Hamas soit instruite. Entretien.
 
Le Point : Avez-vous été surpris des réquisitions du procureur de la Cour pénale internationale, qui étaient en réalité évoquées depuis plusieurs semaines ?
François Zimeray : Je me trouvais début novembre dans le bureau du procureur de la Cour pénale internationale avec des victimes israéliennes du 7 octobre. Je lui ai demandé de délivrer un mandat d'arrêt international contre les dirigeants du Hamas, sachant qu'il avait en mains tous les éléments pour le faire, puisque l'organisation terroriste avait conservé les preuves de ses exploits génocidaires. Depuis ce mois de novembre, avec les victimes, nous attendions la délivrance de ce mandat d'arrêt. Nous ne pouvions imaginer que le procureur attendait d'être en mesure de renvoyer les parties dos à dos.
 
Avez-vous le sentiment que Karim Kahn a choisi d'attendre, le temps d'avoir assez d'éléments pour inculper en même temps Israël ?
Israël n'est pas au-dessus des lois, c'est un État de droit où la séparation des pouvoirs est effective. Netanyahou, qui a vainement tenté de limiter les pouvoirs de la Cour suprême, en sait quelque chose. Le procureur de la CPI a attendu d'être en mesure de mettre en cause les dirigeants israéliens pour demander ce mandat d'arrêt contre ceux du Hamas.
Que les Israéliens, comme toute partie à un conflit, puissent avoir à rendre des comptes n'est pas choquant. En revanche, l'annonce synchronisée des demandes dirigées vers les deux parties crée plus qu'un malaise, car dans cette affaire, il y a quand même un agresseur et un agressé, une organisation criminelle et une démocratie qui tente de se défendre contre un ennemi qui méprise la vie humaine. C'est comme si, à Nuremberg, on avait placé dans le même box des accusés les nazis et les Alliés poursuivis pour les civils tués dans les bombardements. Il y a quelque chose qui ne va pas dans cette méthode.
 
Pourquoi est-ce choquant ?
D'abord, le procureur a négligé l'extrême complexité de la situation à laquelle Israël était confronté après le 7 octobre. Comment se défendre sérieusement contre un ennemi dont l'objectif est de multiplier les victimes civiles, palestiniennes comme israéliennes ? On a rarement rencontré une situation aussi complexe et, même si Israël a pu commettre des fautes, il reste l'agressé qui se défend – peut-être mal – contre un agresseur cruel et inhumain.
Il y a aussi autre chose dans ce renvoi dos à dos, une posture de surplomb moral bouffie de bonne conscience. Pour moi, la bonne conscience est le contraire de la conscience. Enfin, et c'est peut-être le plus grave, Karim Khan a délibérément attendu de pouvoir mettre en cause Israël pour incriminer le Hamas, car il a considéré qu'il aurait été politiquement invendable de ne poursuivre que le Hamas, au regard de la diabolisation généralisée d'Israël dans le monde depuis le 7 octobre. Cette diabolisation sur les campus, dans le discours des ONG, dans les accusations calomnieuses de l'Afrique du Sud finit par produire des effets juridiques concrets.
 
Ces faits sont-ils établis concernant l'éventuelle culpabilité d'Israël de crimes contre l'humanité ?
Ils sont loin d'être établis. Le procureur reproche à Israël des ciblages délibérés de civils. Il soutient également que les Israéliens auraient voulu affamer et assoiffer les Palestiniens. Il faut accueillir ces accusations avec la plus extrême prudence. Qu'il y ait eu une politique délibérée d'extermination me paraît simplement absurde, mais il est clair qu'Israël devra répondre point par point à ces accusations gravissimes.
Surtout, la démarche du procureur interroge la loyauté de l'enquête. La Cour pénale internationale repose sur une règle fondamentale, que l'on appelle le principe de complémentarité. Cela veut dire qu'elle n'est compétente que si l'État en question, en l'espèce Israël, n'a ni la capacité ni la volonté de conduire lui-même les enquêtes. Or les juridictions israéliennes sont déjà saisies et, le jour même où Karim Khan annonçait demander ces mandats d'arrêt, ses équipes avaient rendez-vous avec la justice israélienne. Elles ont annulé au dernier moment, pour tenir leur conférence de presse. Est-ce parce que si les agents du parquet s'étaient effectivement rendus à Tel-Aviv, ils auraient constaté que l'enquête avait commencé, et qu'ils n'auraient donc pas pu aller plus loin, privant ainsi le procureur du coup double qu'il avait patiemment mis en scène ?
 
La France a jugé opportun d'apporter son soutien à la Cour pénale internationale, dans un communiqué publié par le quai d'Orsay. Était-ce pertinent ?
Défendre la Cour pénale internationale, ce n'est pas défendre des méthodes déloyales du parquet qui affaiblissent la Cour. Ce n'est pas traiter sur le même plan une organisation criminelle qui agresse et une démocratie qui se défend, même si elle peut commettre de graves fautes en le faisant. La Cour aurait dû mettre en cause le Hamas dès que les preuves étaient réunies, c'est-à-dire très vite après le 7 octobre. Je suis bien placé pour savoir que le parquet a toutes les preuves en main depuis plusieurs mois, puisque nous les lui avons fournies.
Quant à la justice israélienne, elle aurait dû être interrogée sur les enquêtes en cours. Cela n'a pas été fait. Encore une fois, personne n'est au-dessus des lois, pas plus Israël que quiconque, mais orchestrer les poursuites pour présenter un tableau de chasse avec, sur le même plan, le Premier ministre d'Israël et les chefs d'une organisation terroriste est une faute morale autant que la violation des principes essentiels de neutralité et de loyauté. La justice internationale, qui reste un grand projet, et, dans une large mesure une idée française, méritait mieux que cela.�
  • Illustration : Vidéo. - Le procureur de la CPI réclame un mandat d’arrêt contre Benyamin Netanyahou - Durée 01:19 - La Cour pénale internationale (CPI) pourrait délivrer un mandat d'arrêt contre Benyamin Netanyahou. Une nouvelle reçue avec beaucoup de colère par les autorités israéliennes. Le procureur général, Karim Khan, a demandé lundi des mandats d'arrêt pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans la bande de Gaza. Elle ajoute qu'Israël entend «lutter contre cette décision qui vise avant tout à lier les mains de l'État d'Israël et à lui refuser le droit de se défendre». Trois dirigeants du Hamas sont également dans le viseur de la CPI.
 


23/05/2024
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