Le monde selon LFI

par Laurent Joffrin | publié le 31/07/2025

Derrière les déclarations ridicules d’une députée LFI, on perçoit une vision identitaire de la politique qui a pour résultat de nier les valeurs démocratiques au profit d’un anti-occidentalisme primaire.

portrait de Laurent JOFFRIN le 23 juillet 2020 (Photo Philippe-Matsas)7

 

Gabrielle Cathala, obscure députée LFI, a attiré quelques projecteurs en participant à l’équipée d’un bateau vers Gaza, deuxième du nom après celui où avait pris place Rima Hassan. Passons sur le ridicule de son récit, qu’elle assimile à une sorte de martyre parce qu’elle a attendu vingt heures l’avion qui l’a rapatriée en France et qu’elle a dû observer une grève de la faim d’une journée pour ne pas consommer de la nourriture israélienne (le sionisme, apparemment se transmets par la digestion).

Ces démonstrations n’ont aucune utilité pour les Gazaouis et a pour unique objectif de servir la propagande de LFI au sein du mouvement propalestinien, même si cette dernière séquence médiatique s’est soldée par un bide retentissant lors de la manifestation de soutien convoquée à Paris. Ce qui n’enlève rien au comportement scandaleux de l’armée israélienne à Gaza, où se situe la véritable tragédie et qui fait la Une des médias du monde entier sans le concours de LFI.

 

C’est plutôt sur les déclarations de la députée en marge de son intrépide croisière qu’on doit s’arrêter. « Le Nicaragua, Cuba ou l’Algérie, a-t-elle déclaré, sont des pays qui portent la voix des Droits de l’homme ». L’extrême-droite a isolé cette phrase à des fins polémiques, mais le plus intéressant réside dans l’explication fournie par la députée. Selon elle, ces pays sont les seuls à avoir dénoncé clairement « le génocide » en cours à Gaza. Étrange sélection : des dizaines de pays, en fait, ont condamné Israël sur ce sujet et la France, par exemple, a annoncé qu’elle reconnaîtrait l’état palestinien en septembre, ce qui a plus de poids que les dénonciations verbales de beaucoup de pays.

 

Alors pourquoi ces trois-là ? Parce qu’ils font partie du « sud global » opposé à l’Occident « génocidaire », explique la députée. Ils portent donc « la voix des Droits de l’Homme ». Peu importe que leur régime soit en fait des dictatures plus ou moins répressives où les droits de l’Homme en question sont violés en permanence. Mais comme ils sont du bon côté anti-occidental, ils sont ipso facto pardonnés et adoubés.

Derrière des déclarations qui révèlent une ignorance abyssale des réalités politiques, il y a une vision du monde, inspirée de cette idéologie « décoloniale » qui s’est répandue comme traînée de poudre au sein de la jeunesse radicale. Un seul critère compte désormais pour juger d’un régime : est-il du côté des décolonisés ou bien dans le camp diabolique des anciennes puissances blanches et colonisatrices ? Dans premier cas, il défend par construction les droits de l’Homme, quoi qu’il fasse ou dise ; dans le second, il les foule aux pieds, serait-il le régime le plus démocratique du monde.

 

Ainsi raisonnaient dans les années cinquante les soutiens du régime stalinien qui fermaient les yeux sur le goulag ou, dans les années 1960, l’extrême-gauche anti-impérialisme, qui passaient sous silence les pratiques dictatoriales de la Chine ou de Cuba par anti-américanisme et anti-occidentalisme dogmatique. Les décoloniaux d’aujourd’hui sont les dignes héritiers de cette longue tradition, qui déprécie systématiquement les libertés et l’état de droit au nom de la lutte contre l’impérialisme occidental, favorisant ainsi l’enfermement des peuples concernés dans la nuit totalitaire.

 

On se souvient de Judith Butler, papesse du courant intersectionnel et décolonial, estimant que l’attaque du 7 octobre n’était pas un massacre terroriste mais un « acte de résistance ». Ou encore de Jean-Luc Mélenchon qui soutient le régime vénézuélien en dépit des multiples atteintes aux libertés dont celui-ci se rend coupable. Dans la même logique, Gabrielle Cathala estime que les Palestiniens « ont bien le droit de choisir le Hamas », oubliant apparemment qu’ils l’ont déjà fait lors des dernières élections et que ledit Hamas a instauré à Gaza un régime de terreur islamiste totalement contraire à toutes les valeurs démocratiques (les Allemands, au fond, avaient le droit de choisir Hitler…). Mais là encore, peu importe : comme Cuba, le Nicaragua ou l’Algérie, le Hamas est dans le camp anti-occidental. Il est donc un défenseur des droits de l’Homme.

Laurent Joffrin