2377-La République de Weimar 3 posts

Véronique Dupont

Leçon pour le présent : du danger de galvauder les mots

La République de Weimar, certes imparfaite mais incontestablement préférable à ce qui lui succéda, est morte sous les coups conjugués, sinon parfois concertés, d’une extrême-droite et d’une extrême-gauche qui partageaient une même haine du système. Les diatribes de l’une et de l’autre étaient parfois d’une telle consanguinité que plus personne aujourd’hui, à moins de maîtriser le sujet ou d’effectuer quelques recherches, ne saurait dire de manière certaine qui, d’un nazi ou d’un communiste, a tenu tel ou tel propos. On pourrait réaliser des montages et intervertir certains articles du Völkischer Beobachter (organe de presse officiel des nazis) et du Rote Fahne (organe de presse officiel des communistes) sans que personne ne s’aperçoive de la supercherie…
 
Le tout premier responsable de l'égarement du parti communiste allemand (KPD) est avant tout Staline qui, lors de la 6e Internationale (1928), désigna la social-démocratie (le « social-fascisme ») comme l’ennemi principal, celui contre lequel il fallait concentrer tous les tirs. N’écoutant que la voix de leur maître, les communistes allemands en vinrent vite à voir des fascistes partout : la république était « fasciste », le parlement était « fasciste », les socialistes étaient « fascistes », les communistes dissidents étaient « fascistes », les sociaux-démocrates étaient « fascistes », le centre était « fasciste », les catholiques étaient « fascistes », les républicains étaient « fascistes », les anciens combattants anti-nazis de la Reichbanner étaient « fascistes », les militants de la Confédération Générale Syndicale étaient « fascistes », le Front de fer (mouvement collectif de résistance au nazisme) était une « organisation terroriste du fascisme social », l’épicier était « fasciste », le brasseur était « fasciste », le paysan était « fasciste », l’herbe des prés était « fasciste »...
 
À force d’accuser tout le monde d’être des putains de fascistes, à commencer par ceux qui ne l’étaient pas, inutile de dire que le terme fut vite galvaudé et que les communistes devinrent totalement incapables de reconnaître les authentiques fascistes. Pire encore que d’agonir d’insultes leurs meilleurs alliés potentiels et de refuser toute idée de front unique, les communistes en vinrent même, entre deux combats de rue contre les SA, à mener des actions conjointes avec les nazis dans les années 1931-32 (referendums, motions de censure, grèves) et à souhaiter la victoire de ces derniers, dans lesquels ils ne voyaient que des « arbres [cachant] la forêt social-démocrate » (dixit leur chef, Ernst Thälmann). Ces crétins, aveuglés par leur idéologie et l’absurde romantisme révolutionnaire qui en découlait, avaient fini par se persuader que l’arrivée au pouvoir d’Hitler affaiblirait ceux que, dans leur cécité, ils percevaient comme étant les véritables fascistes et favoriserait l’avènement de la dictature prolétarienne.
Si la responsabilité des sociaux-démocrates dans le basculement de l’Allemagne est loin d’être négligeable, celle de l’extrême-gauche, en revanche, est écrasante (Trotski – qui, contrairement à Staline, avait compris que les sociaux-démocrates, les républicains et l’herbe drue n’étaient certainement pas fascistes – ira jusqu’à parler de « naufrage » du KPD).
Dans les années 1932-1933, mais cela n’avait déjà plus d’importance, les communistes allemands finirent par se réveiller tout à fait et par se rendre compte des conséquences funestes de leur dogmatisme et de leur stupide propension à étiqueter « fasciste » quiconque était un tant soit peu à leur droite. Mais, comme l’avait très exactement prévu l’anti-staliniste russo-français Souvarine dès 1931, dans un article dans lequel il dénonçait leur asservissement à l’idéologie, ils en seront réduits à se sacrifier en vain une fois Hitler au poste de chancelier. Ils mourront en héros, comme des cons, par centaines, pendus, fusillés ou affamés. D’aucuns, peut-être, avec cette dernière pensée au moment de faire face à leurs bourreaux : « Ah, c’est donc ça des fascistes en fin de compte ?
Sergent Poivre
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19/05/2023
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