2528- La jeunesse française se radicalise-t-elle?» 2 posts

«Extrême gauche, islam, abstention… La jeunesse française se radicalise-t-elle?»

  • par Martin Bernier, pour Le Figaro - septembre 2023 Republié par JALR
ENTRETIEN - Entre le port de l’abaya dans les établissements scolaires et le déplacement vers l’extrême gauche des plus diplômés, la radicalité d’une partie de la jeunesse s’observe empiriquement, explique le sociologue Olivier Galland, qui appelle toutefois à ne pas oublier l’ampleur de la désaffiliation politique dans cette classe d’âge.
 
 
Le Figaro. - La semaine dernière, Emmanuel Macron a été interviewé par Hugo Travers (Hugo Décrypte) sur sa chaîne YouTube. Une interview par un jeune sur des sujets qui concerneraient les jeunes (santé mentale, école, budget étudiant…). Faut-il vraiment distinguer les jeunes du reste de la population?
 
Olivier Galland. - Les jeunes rencontrent effectivement des problèmes particuliers, bien qu’ils soient souvent moins différents du reste de la population que le pense souvent l’opinion. Ils s’éloignent des adultes en partie sur la question des valeurs civiques, des valeurs de la vie quotidienne et sur tous les sujets ayant trait aux questions de société. Dans les années 1960, il y avait un fossé générationnel extrêmement profond sur les valeurs, en ce qui concerne le genre, la sexualité et l’autorité par exemple. Il y avait également une coupure générationnelle très forte, qui a d’ailleurs donné lieu à des mouvements sociaux de la jeunesse un peu partout dans le monde à cette époque.
Mais lorsqu’on exploite les enquêtes sur les valeurs, on observe un très fort rapprochement entre les générations aujourd’hui. Toutes les classes d’âge sont d’accord pour considérer que chacun doit être libre de mener sa vie privée comme il l’entend, ce qui n’était pas du tout évident il y a 50 ans. Cela est lié au recul de l’influence de la religion dans la société qui a été très fort en France. On le voit bien dans les enquêtes sur la tolérance à l’égard de l’homosexualité, qui s’est très fortement accrue depuis 50 ans avec une convergence entre les générations, à l’exception des personnes les plus âgées.
 
«Les jeunes» prétendent souvent qu’ils ne sont pas écoutés, que leurs revendications ne sont pas prises en compte, sur le sujet du climat par exemple. Cette génération n’a-t-elle vraiment pas voix au chapitre?
 
Il faut faire très attention à ne pas dire «les jeunes» mais plutôt «des jeunes». Les jeunes sont extrêmement divers et ils sont loin de constituer un tout homogène. Une partie de la jeunesse prétend avoir le monopole de la représentation: c’est la plus mobilisée, la plus contestataire, mais aussi la plus éduquée. Évidemment, c’est tout à fait faux. Il y a toute une partie de la jeunesse qui est plus silencieuse, parfois très désengagée sur le plan politique et sociétal, et qui reste à l’écart de ces débats.
Dans une grande enquête sur les jeunes réalisée en 2021 pour l’Institut Montaigne, nous avions montré cette diversité de la jeunesse. Nous pointions une montée assez inquiétante de la désaffiliation politique de la jeunesse. De plus en plus de jeunes ne se reconnaissent aucune attache ou orientation politique. On voit d’ailleurs que l’abstention de cette classe d’âge progresse d’élection en élection. Et l’enquête montrait un clivage culturel extrêmement fort entre ces jeunes-là, désaffiliés, et une partie de la jeunesse qui est mobilisée, qui s’intéresse à des enjeux politiques comme l’écologie. Ces derniers proviennent pour l’essentiel de familles avec un capital culturel élevé, et ce sont eux-mêmes plutôt des jeunes diplômés. Il y a aussi un facteur sexué: les filles sont bien plus en pointe que les garçons sur un certain nombre de questions sociétales.
 
Les jeunes se retrouvent parfois en première ligne sur des sujets de société d’envergure, comme l’abaya récemment… Les jeunes sont-ils plus radicaux que leurs aïeux?
Il faut être prudent avec les comparaisons dans le temps. Mais il est certain qu’une frange de la jeunesse est aujourd’hui révoltée, radicale, et justifie ou tolère un certain niveau de violence politique. On l’a vu aussi dans notre enquête de l’Institut Montaigne. Sur l’abaya, il faut bien saisir que les jeunes comprennent assez mal les règles de la laïcité. Ils sont gagnés par l’idée qu’on doit tolérer tous les comportements privés, que chacun est libre d’adopter l’identité à laquelle il veut adhérer ; et la façon de se vêtir fait partie de cette liberté revendiquée. Beaucoup de jeunes, y compris chez les non-musulmans, comprennent mal qu’on puisse réglementer ce domaine qui, pour eux, fait partie de la vie privée. Il ne s’agit pas de justifier ces attitudes mais simplement de comprendre.
 
«Une part substantielle des jeunes de confession musulmane va par exemple condamner très nettement l’homosexualité. Ils sont complètement à rebours de l’évolution des valeurs du reste de la société.» Olivier Galland
Au-delà du cas précis de l’abaya, vous avez aussi travaillé avec Anne Muxel sur la radicalité chez les jeunes. Comment expliquer que les jeunes soient plus enclins à épouser des causes radicales, tant religieuses que politiques?
 
Il faut distinguer les différents types de radicalité. Il y a une radicalité politique qui gagne une partie de la jeunesse, et surtout l’élite scolaire. Anne Muxel a fait une étude sur les étudiants de Sciences Po avec Martial Foucault en 2022, et ils montrent la croissance de la radicalité dans cette frange de la jeunesse faisant partie de l’élite scolaire. 58 % des étudiants de Sciences Po disaient avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon, ce qui est tout à fait nouveau. La même enquête avait été faite plusieurs années auparavant, et la majorité des jeunes étaient plutôt des sociaux-démocrates.
Il y a ensuite le phénomène de la jeunesse musulmane. On observe là une évolution assez nette depuis une trentaine d’années. Dans les années 1990, Michèle Tribalat avait réalisé une grande enquête sur la population d’origine étrangère pour l’Ined ; elle montrait qu’il y avait plutôt un mouvement d’assimilation culturelle qui était en route. Les mœurs, les goûts et les attitudes des jeunes d’origine étrangère et des jeunes musulmans avaient tendance à se rapprocher de ceux des jeunes d’origine française. Ce mouvement a été interrompu puis s’est inversé. Et on a eu une remontée très forte de la religiosité parmi cette jeunesse musulmane. Cette remontée de la religiosité a contribué à creuser le clivage entre les valeurs auxquelles cette partie de la jeunesse musulmane adhère et les valeurs dominantes dans la société française, à commencer par la tolérance. Une part substantielle des jeunes de confession musulmane va par exemple condamner très nettement l’homosexualité. Ils sont complètement à rebours de l’évolution des valeurs du reste de la société.
Chez une partie de ces jeunes d’origine étrangère et de confession musulmane, il y a aussi l’idée qu’ils sont collectivement victimes d’un ostracisme de la société, qu’il y a un racisme structurel dans la société française qui vise leur groupe ethnique et religieux. Cela alimente les tensions avec la police qui est vue comme le bras armé de cette société qui leur serait foncièrement hostile. Nous faisons face à un très gros problème, et il faut dire que la société française a raté l’intégration de cette jeunesse d’origine étrangère.
 
Est-on jeune plus longtemps aujourd’hui?
Aujourd’hui, on est effectivement jeune plus longtemps. On est jeune à la fois plus tôt et plus tard. Les pré-ados ne sont plus des enfants ; ils ont acquis une grande autonomie par rapport à leurs parents, notamment à travers les téléphones portables, les réseaux sociaux et internet. Cela leur a permis de développer des goûts qui sont propres à leur classe d’âge. L’entrée dans l’âge adulte est aussi plus tardive, parce que les études se prolongent, que la stabilisation dans l’emploi est plus tardive et surtout parce qu’on forme un couple et qu’on a un premier enfant beaucoup plus tard, après 30 ans aujourd’hui. La jeunesse est donc plus longue, mais je ne crois pas du tout à l’idée de «génération Tanguy», c’est-à-dire l’idée que les jeunes se complaisent dans une jeunesse qui se prolonge, et qu’ils sont totalement irresponsables. Une nouvelle phase de la vie est apparue, avec des jeunes adultes qui ont quitté leurs parents, sont souvent indépendants financièrement, ont un emploi stable, mais qui repoussent le moment des engagements familiaux. Cela n’existait pas du tout il y a 50 ans.�
  • Illustration : Directeur de recherche au CNRS, Olivier Galland a notamment publié, avec Anne Muxel, «La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens» (PUF, 2018).
Peut être une image de 1 personne
  


28/09/2023
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion