La fusée Retailleau

par Laurent Joffrin | publié le 18/05/2025
 

La victoire du ministre de l’Intérieur peut rebattre les cartes à la droite de l’échiquier politique. Ce qui souligne encore plus le retard de la gauche.

Laurent Joffrin

La France avait deux partis d’extrême-droite, un grand avec le RN de Marine Le Pen, un petit avec Reconquête d’Éric Zemmour. En voici un troisième, de taille moyenne, avec LR version Retailleau. Dans la course à la présidence, le ministre de l’Intérieur a balayé son rival en remportant les trois quarts des voix, dans une compétition qui a triplé les effectifs de son parti.

Trois facteurs expliquent le décollage de la fusée Retailleau : la sinuosité de Wauquiez confrontée à la rigidité de Retailleau, son embardée à Saint-Pierre et Miquelon, son idée de critiquer son rival pour sa présence au gouvernement alors que c’est elle qui a fait la fortune sondagière de « Bruno ». Ce fut donc une victoire toute personnelle, qui récompense un homme politique chevronné, ultradroitier, mais aussi cohérent et courtois.

Car sur le plan idéologique, il n’y eut point de débat. Ou plutôt si : celui qui oppose Dupond et Dupont dans les aventures de Tintin. Quand Retailleau disait : « je suis pour l’ordre et contre l’immigration », Wauquiez ajoutait « je dirai même plus : je suis pour l’ordre et contre l’immigration ». Bonnet brun et brun bonnet. Symbole s’il en est de la droitisation de la droite française.

C’est maintenant un vendéen pur sucre façon 1793 qui dirige le parti de Jacques Chirac. Un homme formé par Philippe de Villiers, catholique et français toujours, opposé à l’IVG, au mariage pour tous, à la PMA et à toute loi sur la fin de vie, qui croit au « grand remplacement » et critique le droit du sol. Comme le dit Éric Zemmour : « Quand je les lis, j’ai l’impression de me lire et de m’entendre. »

On dira que cette peu sainte trinité divise la droite de la droite, ce qui tend à l’affaiblir. On se trompera : pour l’instant, le RN est certain d’accéder au second tour ; Zemmour d’un côté et Retailleau de l’autre lui serviront de supplétifs dans le duel final. À moins, bien sûr, que le ministre de l’Intérieur, plébiscité par la bourgeoisie conservatrice et populaire pour ses propos sécuritaires et anti-immigration, ne rétablisse les affaires de LR, ce qui n’est pas impossible, surtout si Marine Le Pen est finalement empêchée de concourir.

Si bien que la droite de l’échiquier politique se retrouve dotée d’un logiciel politique aussi efficace que peu républicain et de plusieurs candidats pouvant prétendre à l’Élysée. Pendant ce temps, la gauche ne possède ni l’un ni l’autre. Mélenchon bat de l’aile, le PS ne produit toujours pas de candidature crédible et le programme de feu le NFP, dont certains à gauche voudrait faire la matrice d’une candidature commune, a perdu toute pertinence, si tant est qu’il en ait eu un jour. Une seule chance : voir une formation renouvelée émerger du prochain congrès du PS. Sinon, adieu Berthe !

Laurent Joffrin