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La France est-elle en train de faire sécession ?
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par Étienne Gernelle, pour Le Point - septembre 2024
Plutôt que de se pencher sur les enjeux de l’intelligence artificielle, nos députés préfèrent revenir sur la réforme des retraites. Ce pays est-il sérieux ?
Les infortunes du pouvoir… Il y a un an, Emmanuel Macron se voyait redessiner le monde et envisageait – dans un entretien accordé au Point – de «rebâtir une architecture géopolitique de l'Europe». Le voici à patauger péniblement au milieu des factions et des sous-groupes de l'Assemblée nationale nouvelle, qu'il a contribué à créer. Ce n'est plus Vladimir Poutine en face de lui, mais quelques-uns de ses idiots utiles, comme Jean-Luc Mélenchon. Il faut savoir réviser à la baisse le niveau de ses adversaires…
Bien sûr, ce malheur est commun à tout dirigeant empêtré dans ses affaires intérieures, mais ce recentrage express est aussi révélateur d'un étonnant isolement français, en dehors de la – très réussie – parenthèse des Jeux olympiques. En clair, en désaccord avec la Terre qui continue de tourner, nous avons fait sécession et décidé de faire du surplace.
La sensation Orion
Ainsi, pour beaucoup de dirigeants tout autour du globe, la sensation de l'été ne fut pas Lucie Castets mais les dernières rumeurs quant à une nouvelle technologie de raisonnement d'OpenAI baptisée Strawberry. Le futur modèle de langage de la firme, surnommé Orion, ferait passer, selon certains observateurs, les échanges avec ChatGPT-4 pour une conversation avec un enfant de 6 ans. Les concurrents d'OpenAI ont bien sûr aussi des projets mirobolants dans les cartons:la course s'accélère encore, sur fond de bataille de plus en plus féroce entre la Chine et les États-Unis.Et nous ?
Certes, la campagne fut courte et les échéances ont été rapprochées, mais un petit tour des programmes, en la matière, des trois grands blocs pour les législatives laisse pantois. Celui d'Ensemble – censé incarner la start-up nation – ne mentionnait pas l'intelligence artificielle. Pas une ligne. Celui du RN ne l'évoquait qu'une fois, pour parler des besoins en énergie. Quant à celui du NFP, il expédiait le sujet en quelques mots : «Créer une mission nationale de maîtrise de l'intelligence artificielle.» Avec ça, nous sommes sauvés…
Courbettes et nombrilisme
L'IA doit donc être un sujet secondaire… De toute façon, en France, la question qui monopolise l'attention est de savoir si l'on va abroger ou suspendre la réforme des retraites. Voilà l'avenir ! Ce n'est d'ailleurs pas une blague, car, sur le papier, il existe bien une majorité à l'Assemblée pour voter ce retour en arrière, et donc acter notre séparation d'avec à la fois la raison et le reste de l'Europe.
Faut-il que notre pays se croie le centre du monde, et une vocation éternelle à figurer parmi les pays riches et dominants, pour se permettre cela… Il est vrai que le nombrilisme vient aussi d'en haut. On se délecte dans notre monarchie républicaine de ce jeu des nominations, où la vanité du décisionnaire se nourrit de la courbette du pressenti. Je nomme, donc je suis.
Dans Cinna, Corneille fait dire à l'empereur Auguste ces vers qui décrivent, évidemment, la France de son temps mais ne détonnent pas à notre époque :
«Ma faveur fait ta gloire, et ton pouvoir en vient ;
Elle seule t'élève, et seule te soutient ;
C'est elle qu'on adore, et non pas ta personne :
Tu n'as crédit ni rang, qu'autant qu'elle t'en donne ;
Et pour te faire choir je n'aurais aujourd'hui
Qu'à retirer la main qui seule est ton appui.»
Chacun y reconnaîtra qui il voudra. En revanche, si Auguste (le vrai !) fut un grand réformateur, ses équivalents dans la politique française sont plus rares. Il faudra pourtant en trouver, d'une manière ou d'une autre. Car la situation est peut-être encore pire que nous le pensions. Nous ne nous étonnons plus de grand-chose depuis un moment, mais il est tout de même stupéfiant de constater que c'est sur la demande insistante d'Éric Coquerel, président – LFI ! – de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, que Bercy a dû transmettre des documents montrant qu'un nouveau dérapage des finances publiques était en cours. Ce pays est-il sérieux ?
La France finira bien par retrouver le monde réel. Cela ne sera pas forcément agréable.