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Bruno Tertrais : «La défense de la cause palestinienne est devenue l’acmé du wokisme géopolitique»
 
� Le Figaro republié par JAL Rossi Revue de presse
 
 
ENTRETIEN - Pour le géopolitologue, le fait que la quasi-totalité du monde ne voit pas que le 7 octobre représente la plus grande tragédie depuis la Shoah ajoute, pour le pays, l’insulte à la blessure.
 
Quelle est l’origine de la passion que suscite Israël dans le monde ? Est-ce parce que c’est un État blanc, riche et colonisateur, avant-poste des États-Unis ? Ou est-ce parce que c’est un État juif et que le sort des Palestiniens est unique au monde ? Telles sont les questions que pose Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS) et expert associé à l’Institut Montaigne, dans son dernier ouvrage La Question israélienne (Éditions de l’Observatoire). Selon lui, l’accusation de « deux poids deux mesures » a été renversée. Israël est assimilé à la Russie, alors que son sort est plutôt analogue à celui de l’Ukraine.
 
 
� LE FIGARO. - Comment expliquer le fait que les critiques visant Israël , dans le monde, soient plus nombreuses et plus violentes que celles qui visent le Hamas, un groupe terroriste ? Est-ce parce que c’est un État juif ?
� Bruno TERTRAIS. - Il y a effectivement une question. Pourquoi ce petit État de la taille de la Bretagne attire-t-il autant d’attention internationale et de manière aussi démesurée ? Est-ce à cause de l’occupation et de la colonisation ? Parce que la paix au Moyen Orient dépend du règlement de la question palestinienne ? Ou alors parce que c’est un État juif ? Bien que très critique vis-à-vis de la politique de Benjamin Netanyahou, je suis choqué par la manière dont le débat public a évolué dans le monde vis-à-vis d’Israël.
Pour moi, l’accusation de « deux poids deux mesures » a été renversée. Israël est assimilé à la Russie, alors que son sort est plutôt analogue à celui de l’Ukraine. L’occupation de la Cisjordanie n’est pas celle du Donbass. Jérusalem n’a pas annexé les territoires occupés – sauf le Golan, mais c’était à la suite d’une agression. Et quoi qu’on pense de la stratégie militaire d’Israël, il n’y a pas de bombardements délibérés des civils. Cette russification d’Israël va jusqu’à la nazification. Comme avec l’Ukraine…
 
L’historien Georges Bensoussan dit qu’Israël est le seul État de l’ONU à qui l’on demande en permanence ses papiers. On peut se demander pourquoi l’occupation d’autres terres peuplées de Musulmans, comme Chypre, le Sahara ou le Cachemire, ne suscite pas les mêmes protestations. Les Palestiniens ne bénéficient-ils pas d’une attention disproportionnée au regard des tragédies algérienne ou syrienne? Quand ils furent victimes d’un autre gouvernement, jordanien ou syrien par exemple, cela ne déclencha pas des protestations sur les campus américains ! Il est donc difficile de penser que la nature juive de l’État est étrangère à ce « deux poids deux mesures »
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⏺ Quand Washington évoque l’expulsion des Gazaouis, l’opinion arabe se réveille – à juste titre d’ailleurs. L’avenir de la relation entre Donald Trump et le prince héritier Mohammed ben Salmane en Arabie saoudite sera cruciale. ⏺
 
 
 
� Que pensez-vous des accusations de génocide proférées contre Israël ?
� Je suis sidéré par la légèreté avec laquelle l’accusation de génocide est proférée. Une accusation aussi grave ne devrait se baser que sur l’avis d’une juridiction internationale ou sur une enquête indépendante. Contrairement à ce qu’affirment certains, notamment dans la gauche radicale, ni la Cour Internationale de Justice (CIJ) ni la Cour Pénale Internationale (CPI) ne se sont prononcées sur ce sujet. La CIJ n’a même pas évoqué un « risque de génocide » ! Que des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité, aient été commis, c’est tout à fait possible, c’est souvent le cas dans un conflit à grande échelle comme celui-là. Mais que cela soit une stratégie délibérée du pouvoir israélien, c’est aujourd’hui une accusation infondée.
� Que s’est-il passé pour qu’on en arrive là ?
� Nous avons peut-être sous-estimé la permanence du malaise occidental vis-à-vis de la Shoah, et oublié les pogroms dont ont toujours été victimes les juifs en terre d’islam. Mais je rappelle que l’antisionisme, qui consiste à dénier le droit des juifs à vivre dans une entité politique qui serait la leur au Proche-Orient, a pour origine les trois grands maux du 20e siècle : le nazisme, l’islamisme, et le communisme. L’histoire de la défense de la cause palestinienne – une cause éminemment légitime en soi – montre clairement qu’elle n’aurait pas la même ampleur si elle n’avait pas été instrumentalisée par ces trois idéologies mortifères.
De manière plus générale, je crois qu’il faut déconstruire la sémantique des mots utilisés. Il y a des ambiguïtés destructives, certains termes sont dévoyés. L’antisionisme est devenu une forme dégradée de l’antisémitisme. La libération de la Palestine est une expression ambigüe : parle-t-on de l’État, ou de la région historique ? De la même manière, l’expression « État colonisateur » concerne-t-elle la Cisjordanie ? Ou l’État d’Israël lui-même ? Ces ambiguïtés sont malsaines.
� Comment expliquez-vous l’explosion de l’antisémitisme sur les campus étudiants ?
� La défense de la cause palestinienne est devenue l’acmé du wokisme géopolitique. La cause parfaite, celle qui réunit l’anti-occidentalisme, l’anti colonialisme et l’anticapitalisme. À en croire certains activistes, ce serait même « la cause ultime », celle qui permettrait de régler tous les problèmes du monde. Je ne doute pas de la sincérité de certains militants, mais il ne faut pas être aveugle : les manifestations sur les campus étudiants sont encouragées par des organisations révolutionnaires ou islamistes.
� La politique engagée de Donald Trump au Proche-Orient pourrait-elle changer cela ?
� Ce n’est pas sûr. Les idées de Trump pourraient au contraire régénérer ces mouvements : quand Washington évoque l’expulsion des Gazaouis, l’opinion arabe se réveille – à juste titre d’ailleurs. L’avenir de la relation entre Donald Trump et le prince héritier Mohammed ben Salmane en Arabie saoudite sera cruciale. La stratégie de Trump vise à instaurer une nouvelle forme de paix au Proche Orient. Dans cette partie de billard avec l’Arabie saoudite, Israël et l’Iran, Donald Trump choisira-t-il de céder à Riyad, qui exige la création d’un État palestinien comme condition de la reconnaissance d’Israël ? Ou cèdera-t-il à Netanyahou et à la droite radicale israélienne, qui ne rêvent que d’annexer la zone C, voire à ceux qui envisagent d’expulser les Palestiniens vers la Jordanie?
� Israël est-il plus isolé que jamais ?
� C’est le peuple juif qui se sent isolé. Le fait que la quasi-totalité du monde ne voit pas que le 7-Octobre représente la plus grande tragédie depuis la Shoah ajoute, pour Israël, l’insulte à la blessure. Mais Israël lui-même est-il au ban des nations ? Le gouvernement Netanyahou n’a pas cette perception. Il a au contraire le sentiment de l’être beaucoup moins qu’il y a dix ans. Grâce aux Accords d’Abraham, et maintenant grâce à la victoire de Trump. On a tendance à l’oublier, mais au début des années 2000, à l’époque de Sharon, Israël était présenté dans certains sondages comme la principale menace pour la paix du monde…
� Quel peut-être le rôle de la France au Proche-Orient ? Doit-elle reconnaître un État palestinien ?
� Ce serait une forme d’onanisme diplomatique. Les États européens qui ont reconnu l’État palestinien se sont fait plaisir et leur décision n’a eu aucune conséquence concrète. Elle est même contreproductive, car elle donne le sentiment aux dirigeants palestiniens qu’il leur suffit d’attendre et qu’un jour la pression sera si forte qu’Israël devra céder. C’est mal connaître ce pays… Si la France devait franchir ce pas, sa décision devra être accompagnée d’un déplacement de notre ambassade de Tel Aviv à Jérusalem, sauf à perdre tout crédit en Israël et donc toute chance de peser sur un éventuel règlement du conflit, alors que nous sommes engagés à organiser une conférence sur la question, avec l’Arabie saoudite, au printemps.
� Va-t-on vers un bombardement des installations nucléaires iraniennes ?
� Je pense qu’en 2025, il n’y aura ni bombe iranienne, ni bombardement des sites nucléaires. L’Iran ne se lancera pas dans une fuite en avant car il est trop affaibli et se dit qu’avec Donald Trump, un nouveau deal est possible. Quant à Trump, il n’encouragera pas une aventure militaire. Sauf, bien sûr, des intérêts matériels américains étaient directement en jeu.
� Comment voyez-vous l’avenir d’Israël ?
� Mon livre est celui d’un ami d’Israël, mais d’un ami inquiet par l’évolution interne de ce pays. Je ne suis pas sûr qu’en 2048, Israël sera un État juif, démocratique et en paix. Il sera sans doute encore juif et démocratique, mais en paix, c’est moins sûr.
 
Isabelle Lasserre Le Figaro 11 février 2025
Photo :
« Je suis sidéré par la légèreté avec laquelle l’accusation de génocide est proférée », affirme Bruno Tertrais. ALAIN JOCARD / AFP
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13/02/2025
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