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Émeutes en Nouvelle-Calédonie : la CCAT, cette cellule violente qui attise le feu de l'insurrection
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par Christophe Cornevin, Paule Gonzalès et Stéphane Kovacs, pour Le Figaro - mai 2024 Republié par Jal Rossi
ENQUÊTE - Mêlant syndicalistes énervés et indépendantistes endurcis, cette organisation est pointée du doigt pour son rôle joué dans les émeutes à Nouméa.
Derrière le fracas des actes de vandalisme, le noir panache des fumées qui surplombent l’archipel livré aux pyromanes, les routes barrées et les claquements de coups de feu mortels, les autorités voient la main criminelle d’un groupe violent réuni sous la bannière de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT).
Émanation, à la fin de l’année 2023, de l’Union calédonienne, frange la plus radicale du Front de libération kanak socialiste (FLNKS) où se mêlent syndicalistes énervés et indépendantistes endurcis, cette organisation à la structuration diffuse est pointée du doigt, selon nos informations, comme «proche d’une cellule clandestine» qui assumerait de s’entourer d'«éléments radicaux». Dans un de ses communiqués en date de mercredi, le mouvement rappelle que son «seul objectif est l’accession à la pleine souveraineté de la Kanaky», appellation que donnent les activistes à une Nouvelle-Calédonie rêvée, libérée du joug soi-disant «colonial» de la métropole.
«Un groupe mafieux qui veut manifestement instaurer la violence.» Gérald Darmanin à propos de la CCAT
Mais la CCAT est accusée d’avoir un double discours et d’utiliser la cause indépendantiste pour capitaliser et manipuler une jeunesse locale livrée à elle-même et très clairement apolitique. Le ministère de l’Intérieur, très bien renseigné par diverses remontées de terrain, est catégorique : le mouvement est responsable de l’insurrection qui a embrasé Nouméa et ses environs. Dès mercredi, Gérald Darmanin a sonné la charge en assimilant la CCAT à «un groupe mafieux qui veut manifestement instaurer la violence». Ce jeudi, le premier flic de France a enfoncé le clou sur France 2 en martelant : «C’est la CCAT, le problème. Nous avons de nombreux éléments qui montrent que c’est une organisation mafieuse, violente, qui pille des magasins, tire à balles réelles sur des gendarmes, met le feu à des entreprises, attaque des institutions pourtant indépendantistes. Nous ne reculerons pas.»
De son côté, lors d’une conférence de presse tenue au même moment à Nouméa, le haut-commissaire de la République Louis Le Franc a fustigé une «organisation de voyous qui se livre à des actes de violences caractérisées avec la volonté de tuer des policiers, des gendarmes, des forces de l’ordre». «Ceux qui sont à la tête de cette cellule sont tous responsables. Ils devront assumer devant la justice», a ajouté le haut fonctionnaire, précisant qu’aucune communication n’existait entre l’organisation et l’État. «Ils se sont rendus injoignables. Nous sommes en train de les localiser…»
«La violence pour la violence»
Selon un dernier bilan dévoilé jeudi par Gérald Darmanin, «dix leaders mafieux de la CCAT» ont été assignés à résidence dans le cadre de l’état d’urgence décrété la veille, sachant que les forces de l’ordre ont déjà procédé à «plus de 206 interpellations». Sur le papier, ce «groupe d’action» s’affiche comme vent debout contre la révision constitutionnelle adoptée à l'Assemblée nationale et réaffirme son «combat pour le gel du corps électoral» en Nouvelle-Calédonie. «Nous constatons que l’État français par son entêtement, soutenu par les non-indépendantistes, ne souhaite pas que la paix civile perdure», poursuit la CCAT sur un ton provocateur. À ses yeux, «les exactions commises sur les commerces, les sociétés, les bâtiments et les équipements publics n’étaient pas nécessaires, ils sont l’expression des invisibles de la société (…) marginalisés au quotidien». «Ils sont dans une stratégie de la violence pour la violence et leur dialectique n’a que pour objet le passage à l’acte», assure une source.
Selon nos informations, les autorités leur imputent l’incendie criminel de la grande case du Sénat coutumier, symbole du peuple kanak à Nouméa. Sur place, nombre d’observateurs y voient un geste prémédité et une tentative de déstabilisation commise par des incendiaires faisant fi des symboles.
Rupture avec les membres historiques du FLNKS
Une source judiciaire le confirme : les activistes de la CCAT sont en rupture avec les membres historiques du FLNKS qui étaient tenus par les valeurs et les institutions coutumières, mais aussi par un fort ancrage chrétien, autant catholique que protestant. C’est ce qui a permis, notamment lors de la crise des années 1980, de trouver un terrain d’entente et de discussion avec l’exécutif en métropole.
Le noyau dur des membres de la CCAT, en rupture de ban avec leurs anciens, n’a pas forcément le même niveau d’éducation. «Un peu comme en Corse à une époque se mêlent chez ces individus cette mobilisation politique mais également un ancrage fort dans la délinquance de droit commun», témoigne un magistrat contacté et bon connaisseur de la situation. «Beaucoup avaient, avant les émeutes, un casier judiciaire, pour certains de multiréitérant, pour faits de violences, vols et rixes sous l’emprise de l’alcool. Cela fait plusieurs mois qu’ils manipulent toute une jeunesse désœuvrée et entretiennent un mouvement larvé. Jusque-là, ils n’avaient pas décidé de renverser la table. Ils ont choisi de prendre le pouvoir et d’éliminer l’ancienne génération», conclut cette source judiciaire.
Si cette structure revendique 80.000 sympathisants potentiels, les observateurs ne parviennent pas à confirmer ce chiffre, qualifié d'«extravagant». Ce qui semble massivement disproportionné au regard des quelque 9000 manifestants rassemblés le 8 mai dernier par le groupuscule. Dans le cortège, les participants, drapeaux à la main, semblaient pour la plupart incapables de dire ce que représente la CCAT, ni ce que signifie le combat qu’elle est censée mener ou les thèses identitaires qu’elle développe. Ce qui aurait tendance à confirmer l’hypothèse d’une coquille vide sur le plan politique. Mais qu’importe, pour ces jusqu’au-boutistes qui ont prévenu : «Nous ne reculerons jamais et notre détermination restera indéfectible jusqu’à l’avènement de la République de Kanaky.»
Tandis que la CCAT souffle sur les braises, les habitants, eux, subissent. Ancien militaire, Serge a vécu «bien des situations dangereuses». «Mais là, c’est ma vie, celle de ma femme et de mes enfants que je défends, et ça me prend aux tripes», confie-t-il, alors qu’il s’apprête à passer la nuit dehors, armé, pour défendre l’une des six entrées de son quartier. À Koutio Dumbea, en banlieue de Nouméa, «quelque 200 familles vivent enfermées chez elles depuis lundi, décrit-il. On n’a plus de vivres frais. Tous les magasins et une trentaine d’entreprises tenues par des Blancs ont brûlé mercredi, le McDo fume encore. Il y a des rumeurs comme quoi après les commerces, ce sont aux habitants qu’ils vont s’en prendre !»
Les émeutiers ? «Des jeunes Kanaks à qui le CCAT a demandé de s’attaquer à nous, décrit Serge. Comme ils sont cagoulés, on ne voit pas qui ils sont. Ce jeudi matin, un pick-up avec trois passagers a essayé de forcer l’un de nos accès. L’un de nos gars a sorti le fusil, et ils sont repartis. Certains vivent dans un squat en face de notre maison. Sont-ils du CCAT ou pas, je n’en sais rien. Toujours est-il que toute la nuit ça gueule “Sales bâtards!, Saloperies de Blancs !”. Pour nous intimider ou simplement nous empêcher de dormir…»
Comment a-t-on pu en arriver là ?
Valentin, habitant dont la famille est présente en Nouvelle-Calédonie depuis le début du XIXe siècle.
Dans le quartier de logements sociaux où vit Valentin, au cœur de Nouméa, les tensions se sont au contraire apaisées : «Des habitants se sont improvisés médiateurs, et sont allés raisonner les autres communautés, raconte ce jeune papa. “Si vos jeunes brûlent les magasins, il n’y aura plus de nourriture pour personne”!, leur ont-ils fait comprendre. C’est une minorité dans la minorité qui met le bazar, et l’amalgame est vite fait.» Issu d’une famille présente en Nouvelle-Calédonie depuis le début du XIXe siècle, Valentin s’inquiète : «Au collège comme au lycée, j’avais des amis de tous bords, se souvient-il. On nous a éduqués à dialoguer. Comment a-t-on pu en arriver là ?»
Militant anti-indépendantiste, député Renaissance de Nouvelle-Calédonie, Nicolas Metzdorf est, lui, régulièrement menacé de mort. «Tous les deux jours ou presque, je reçois des messages me demandant où sont mes enfants, détaille-t-il. Mon père aussi a reçu des menaces de mort. On a dû hélitreuiller des militaires pour protéger la maison de mes parents. Mais tout le monde désormais se sent menacé ! Ces émeutiers ont été mis dans la rue par la branche la plus radicalisée des indépendantistes. Ces militants racistes et xénophobes essaient d’obtenir par les violences et les menaces ce qu’ils n’ont pas obtenu par les urnes. Le combat de fond qui se joue aujourd’hui, c’est entre ceux qui veulent l’universalisme républicain, et ceux qui veulent une société hiérarchisée en fonction de la couleur de peau».
Grâce aux renforts envoyés, ce sont désormais plus de 2700 policiers et gendarmes, parmi lesquels des unités d’élite, qui sont à pied d’œuvre pour faire sortir l’archipel du chaos.
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Illustration : Manifestation de la CCAT à Nouméa, le 13 mai. THEO ROUBY / AFP