3299-L'Union de la gauche est devenue une camisole idéologique 8 posts

«L’union de la gauche est devenue une camisole idéologique»
  • par Stéphane Le Foll, maire PS du Mans, pour Le Point - octobre 2024
Le maire du Mans veut que le Parti socialiste rompe avec LFI et ses vieilles lunes dépensières afin de retrouver le sens des réalités et son socle électoral passé.
 
Et maintenant ? Alors que le chef de l'État est largement désarmé, que le Parlement est affaibli, que le PS est sous le «couvercle programmatique» de LFI, que les députés du NFP montrent une grande imagination dépensière lors du débat budgétaire, que doivent faire le Parti socialiste et toute la gauche, affaiblis comme rarement ? Dans cette tribune, Stéphane Le Foll dessine plusieurs pistes : tout faire pour réduire la dette, limiter la politique de l'offre pour investir dans la recherche, l'innovation et la transition énergétique, renforcer le bicamérisme en redonnant plus de pouvoirs au Sénat (et en revenant en partie sur l'interdiction du cumul des mandats)…
 
Toujours membre du PS, l'ex-ministre de l'Agriculture de François Hollande souhaite que son parti soit le fer de lance de ce mini-aggiornamento. Il doit pour cela, juge-t-il, en finir avec les années Faure et Mélenchon afin que la «gauche de transformation» s'impose face à la «gauche de rupture». Les personnalités ne manquent pas, relève-t-il, de Carole Delga à Raphaël Glucksmann en passant par le maire de Saint-Ouen, Karim Bouamrane. Il ne se cite pas, mais Stéphane Le Foll se place sans nul doute dans la liste de ceux qui aimeraient redonner à la gauche son poids d'antan, quand elle cumulait, au premier tour de la présidentielle en 2012, 42 % des voix.� M.R.
 
Un front républicain sans ligne politique
 
«Le président a provoqué avec la dissolution de l'Assemblée nationale la plus dangereuse instabilité de la Ve République. Il n'y a plus de majorité, plus de rationalité et pas de budget. Les consultations de l'été dernier n'ont donné à voir ni objectif, ni projet, ni programme, mais un vaudeville lassant de refus et de claquements de portes. La gauche, de son côté, s'est présentée comme la seule coalition constituée face au Rassemblement national. Rassemblée dès le premier tour, elle a réussi à faire oublier que le RN et ses alliés ciottistes sont arrivés en tête avec 34 % des voix au premier tour des élections législatives, alors que le NFP obtenait 29 % et Ensemble ! 20 %. L'exceptionnelle mécanique du front républicain a profité à la gauche au second tour, qui, avec 25,68 % des voix, est arrivée en tête en nombre de députés, loin devant le RN, qui seul a fait 32 % des voix, alors qu'Ensemble ! (24 %) a bénéficié pleinement du report des voix de la gauche quand ils étaient face au RN.
Le front républicain a fonctionné en faveur de la gauche et des candidats “macronistes”, mais aucune ligne politique ne s'est dégagée puisque le seul objectif était de faire battre le RN. De cette ambiguïté naît aujourd'hui une instabilité durable et dangereuse. La gauche a, quant à elle, un problème de légitimité avec le vote populaire et rural. Elle a disparu du monde rural et du monde ouvrier, qui a voté RN à 57 %. Surprise supplémentaire pour LFI aux européennes, les ouvriers ont voté davantage PS que La France insoumise. Ainsi, pour le PS, confondre la nécessité de l'union avec la ligne de La France insoumise, c'est l'échec, avec un total de voix à moins de 30 % pour la gauche.
 
«La gauche devient une caricature d’elle-même.» Stéphane Le Foll
 
Pire aujourd'hui, c'est un écran de fumée qui masque une réalité politique : la droite et l'extrême droite totalisent 49 % des suffrages au second tour des législatives. La prochaine fois, il n'y aura plus de sursaut républicain à la hauteur de ce que nous venons de connaître et la demande d'autorité, de responsabilité, sera d'autant plus grande que l'instabilité politique sera élevée. C'est le contraire de ce que théorise Jean-Luc Mélenchon avec sa stratégie du “clivage permanent”, de la segmentation communautaire et de la “rupture” finale avec Emmanuel Macron, lequel s'est lui-même autodissous.
Jean-Luc Mélenchon a profité de la dissolution et de la menace réelle du RN pour remettre, après la fin de la Nupes, un couvercle programmatique sur Olivier Faure qui, sous pression après la bonne performance de Raphaël Glucksmann, a lâché l'acquis électoral des européennes pour l'union. Pour quelques circonscriptions en plus, il se verra imposer un programme “de rupture” que Jean-Luc Mélenchon, au soir du deuxième tour des législatives, [impose] cinq minutes après les résultats à la manière d'un tribun bolivarien : “Le programme, rien que le programme, tout le programme !”
Le cadre et le ton sont donnés. Le PS et son groupe suivent bras ballants en répétant “union, union !”, jusqu'à valider la procédure de destitution tout en étant contre la destitution… Comprenne qui pourra. De même, le jeu de dupes entre la gauche et le RN sur la censure d'un côté et l'abrogation de la loi sur les retraites de l'autre confère à la gesticulation politicienne une place de choix bruyante et incompréhensible qui risque de lasser les Français. L'union à gauche n'est plus un combat, elle est devenue une camisole idéologique qui va détruire le Parti socialiste.
 
Le contexte politique et budgétaire obligerait chacun à être raisonnable, et c'est bien là le hic du NFP, sur les questions de l'international, de l'immigration, de la sécurité ou du travail. Avec plus de 180 milliards d'euros de dépenses publiques, toutes gagées sur des augmentations d'impôts, la gauche devient une caricature d'elle-même. On passe de la redistribution à la distribution de ponctions. C'est la “ponction magique”, mais c'est une ponction amère pour les Français, qui viennent de subir l'impact de l'inflation sur leur pouvoir d'achat et ne comprennent pas que des taxes et des prélèvements fleurissent tous les jours dans le débat parlementaire. La conclusion politique est que l'union à gauche tout entière, avec à peine 30 % des voix, est sortie affaiblie de la dissolution. Elle se trouve dans l'incapacité de gagner une élection présidentielle.
 
«Mélenchon a transformé le plomb de l’extrême gauche en or électoral.» Stéphane Le Foll
 
 
Deux points sautent aux yeux. Il ne peut y avoir de seconde dissolution avec de nouvelles législatives, car elle se confondra avec la fin du mandat présidentiel. Des trois blocs actuels, deux vont s'effriter mécaniquement, d'autant que la perspective d'un changement de scrutin avec la proportionnelle voulue par presque tous les partis en accélérera le processus. Seul le RN est un bloc à lui tout seul, derrière sa cheffe mais sans grandes perspectives d'élargissement, sauf électoralement. Sa force actuelle en fait aussi potentiellement sa faiblesse future.
 
Le bloc central va, lui, se fragmenter avec les multiples successeurs d'Emmanuel Macron (Édouard Philippe, Gabriel Attal, Gérald Darmanin, etc.). De même, sa gauche va devoir se repositionner, contrainte par les coups de boutoir d'une droite faible à l'Assemblée nationale mais assurée de son maillage territorial, sénatorial, et de sa présence au gouvernement. Michel Barnier sera à la fois sa caution (il vient de LR) et en même temps son paratonnerre (il a été nommé par Emmanuel Macron), le tout sous la domination idéologique du RN. Pour Michel Barnier, son expérience et l'introuvable majorité alternative sont deux atouts, l'absence de projet légitimé par les urnes est son plus grand handicap.
 
Enfin, la gauche qui a perdu les ouvriers, les employés et l'électorat social-démocrate européen est idéologiquement dominée par Jean-Luc Mélenchon, qui a, en deux élections présidentielles, transformé le plomb de l'extrême gauche en or électoral. Mais, aujourd'hui, il s'essouffle à hurler et à durcir ses positions pour garantir son socle de 10 %, indispensable pour s'imposer au reste de la gauche si elle reste inconsistante. Cette inconsistance est son pire handicap pour la suite dans la perspective présidentielle. Il faut s'affirmer, retrouver un espace au premier tour en sortant de la logique des trois blocs pour passer devant LFI, et rassembler à nouveau plus de 50 % des Français au second tour.
 
Le premier engagement doit être de garantir à ce stade un objectif de réduction progressive du déficit budgétaire pour éviter l'explosion de la dette. Pas pour rester dans des clous européens, mais pour éviter une crise financière européenne. L'unité continentale, la solidité de l'euro et des taux d'intérêt bas sont essentiels pour éviter la récession en France. Mais aussi, c'est le plus important, pour pousser l'Europe à investir dans la transition énergétique, comme le propose Mario Draghi dans un choix écokeynésien essentiel à mes yeux pour changer nos modèles de développement.
 
Repenser les rôles des collectivités
 
Ainsi, la gauche française doit être européenne, patriotique et écologiste et dans le débat fiscal. Si le retour de l'ISF est nécessaire, il doit contribuer à l'investissement dans la transition écologique. De même, la politique de l'offre doit faire une pause et on doit rechercher la productivité par la formation, la recherche, l'innovation ; la compétitivité par l'efficacité énergétique et la baisse du coût de l'énergie.
D'autre part, on ne peut plus échapper à une concertation approfondie avec les collectivités territoriales et les partenaires sociaux pour sortir des “oukases”, des changements de pied brutaux, comme ce qui se passe aujourd'hui avec un hyperprésident qui a fait des erreurs graves dans la conduite du pays. Il faut revoir notre équilibre institutionnel pour mieux gouverner. Pour moi, le bicamérisme doit perdurer à condition que le Sénat représente vraiment les collectivités locales avec un aménagement du cumul des mandats et une nouvelle loi de décentralisation. C'est la condition pour sortir de la chronique de la perte d'autonomie financière des collectivités et passer à celle de l'investissement durable.
 
«La rupture avec LFI doit être politiquement actée par le Parti socialiste.» Stéphane Le Foll
 
Il faut aussi revoir les conditions du dialogue social en réhabilitant et en réorganisant les branches pour qu'elles deviennent capables de traiter des questions salariales, d'innovation, de formation continue, et d'offrir des garanties sociales aux travailleurs. Il faut remettre le sens du collectif dans la société pour réduire la fragmentation politique, industrielle, géographique et sortir de l'individualisme, des droits sans les devoirs qui sont pourtant essentiels à l'exercice de la citoyenneté.
Je vois que la gauche de transformation, face à la gauche de rupture, bouge enfin, s'agite même en multipliant les initiatives : Carole Delga à Bram, Karim Bouamrane à Saint-Ouen et Raphaël Glucksmann à La Réole. Mais il faut être clair : il ne s'agit plus de savoir si on est contre Olivier Faure ou pour un congrès, mais de savoir ce que l'on veut faire ensemble pour reconquérir une part significative de notre électorat et stopper la montée de l'extrême droite. Il faut être clair face à La France insoumise : la rupture doit être politiquement actée par le Parti socialiste. Si cette ligne n'est pas claire, alors un congrès ne changera rien. Remplacer Olivier Faure pour mettre quelqu'un qui porterait la même ligne que lui n'aurait aucun intérêt.
 
Pour des assises de la gauche
 
 
Je rappelle qu'en 2012 la gauche faisait plus de 42 % au premier tour. Il s'agit donc d'une question politique faite d'attitudes nouvelles, d'un langage clair, de projets économique, écologique et social ambitieux. On doit rassembler une majorité de Français non pas pour faire des additions entre partis mais pour sortir du “clivage permanent et reconstruire une alliance des couches populaires et moyennes, urbaines et rurales. Pour cela, il faut comprendre que l'individualisation profonde de nos sociétés a changé le rapport des Français à l'égalité et au progrès social. Nous sommes passés de la lutte des classes à la lutte contre le déclassement individuel.
Nos démocraties occidentales portent depuis toujours des “désillusions, comme le dit Dominique Schnapper dans son dernier livre. Aujourd'hui, ces désillusions se transforment en causes, basculant notre démocratie dans une radicalité défensive qui stigmatise nos faiblesses plutôt que nos forces, sans vision pour l'avenir. Il faut ouvrir un processus idéologique de refondation avec des assises de la gauche rassemblant le PS, Place publique, la partie des écologistes qui ne s'est pas noyée dans le programme de La France insoumise, et la Convention de Bernard Cazeneuve.
La gauche doit renouer avec son histoire et avec les Lumières plutôt que de rester dans l'ombre d'une lecture politique dépassée et datée qui la marginalise électoralement.»�
  • Illustration : Maire du Mans et ancien ministre de l'Agriculture (2012-2017), Stephane Le Foll exhorte le Parti socialiste à se démarquer de La France insoumise afin d'incarner le renouveau de la gauche. © PATRICK SICCOLI PATRICK / SIPA / SIPA / PATRICK SICCOLI PATRICK / SIPA
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12/11/2024
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