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  JUSTICE FISCALE ? 

     

Dans mon précédent article consacré à l’abattement fiscal de 10% accordé aux retraités, je signalais que celui-ci avait été récemment remis en cause par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) pour mettre fin, affirme cet organisme, à une « inégalité flagrante ».

 De fait, le coût de cet abattement de 10% accordé uniformément à près de 17 millions de retraités est estimé à 5 milliards d’euros en 2025. Or, relève le CPO, près du tiers de cette mesure bénéficie aux 10% de retraités les plus aisés, ceux dont le niveau de vie dépasse 3.290 euros par mois. (Observons au passage qu’à l’heureux bénéficiaire d’une retraite de 3.291 euros il ne restera pas un kopeck une fois réglé le coût de son hébergement en ehpad).  

Les efforts ainsi exigés des retraités, nous dit-on, le sont au nom de la justice fiscale. Ce que confirme Marc Ferracci, ministre délégué à l’industrie et à l’énergie : « A partir du moment où l’on dit que les efforts sont partagés, on ne peut pas exclure, par principe, une catégorie de la population ».

 

Mais, à y regarder de près, ce principe de justice fiscale s’avère contestable et peut  même être parfois regardé comme  un dévoiement du principe en question.

 

En effet, il convient de rappeler ,

  • d’une part, qu’à l’époque  où il a été créé, cet abattement de 10% a été accordé à l’ensemble des retraités  non seulement pour compenser l’importance croissante de leurs dépenses de santé mais aussi en raison de l’impossibilité pour les intéressés de minorer leurs revenus imposables, c’est-à-dire de frauder le fisc. Motif toujours valable.
  • d’autre part, que , à l’opposé de ces « vertueux » retraités, d’autres catégories de contribuables continuent, elles, à frauder le fisc dans des proportions estimées  entre 50 et 100 milliards d’euros par an. (étant observé que ces évaluations ne permettent pas de faire la part entre la fraude fiscale proprement dite et l’optimisation fiscale agressive)

 

Dès lors, la justice fiscale ne voudrait -elle pas qu’on combatte, d’abord, en priorité, et avec tous les moyens nécessaires, ce véritable cancer de nos finances publiques ?

 

Certes, le Gouvernement ne cesse d’affirmer qu’il s’y emploie, affirmant récemment , par exemple, avoir mis en recouvrement 14,6 milliards d’euros de rappels d’impôts en 2022 , 15,2 milliards en 2023, ou encore, le 13 mars 2025, que Bercy avait « détecté » (?) 20 milliards de fraude fiscale en 2024.

 

Ces déclarations de satisfaction méritent toutefois d’être nuancées :

 

  • tout d’abord, parce que, rapporté aux montants estimés de la fraude fiscale annuelle (entre 50 et 100 milliards, voir ci-dessus), dire que Bercy a « détecté » 20 milliards d’euros de fraude fiscale en 2024, c’est admettre, a contrario, qu’entre  30 à  80 milliards d’euros d’impôts et taxes diverses possiblement dus ne seront jamais recouvrés.
  • d’autre part, il faut savoir que l’avis de mise en recouvrement établi et visé par le comptable public compétent donne au redevable concerné la possibilité de contester les impositions qui lui ont été préalablement notifiées. En effet, diverses procédures sont à sa disposition, tant gracieuses que contentieuses, voire hors contentieux juridictionnel.  Les rappels d’impôts mis en recouvrement  vont donc inévitablement  fondre au fil  de ces procédures.
  • Au terme de ces nombreuses étapes procédurales , il ne resterait donc plus qu’à recouvrer les rappels d’impôts ainsi confirmés en dernier ressort.

Mais, l’Administration peut alors se heurter à l’insolvabilité du redevable. Insolvabilité réelle. Ou insolvabilité organisée.

Dans cette dernière hypothèse, l’administration dispose, certes, d’un véritable arsenal juridique (action paulienne, action oblique…) pour tenter de rétablir la solvabilité de son débiteur, mais ce sont autant procédure souvent longues, complexes et aux résultats incertains.

 

Force est donc de reconnaitre que les sommes éludées qui vont, au final, être effectivement recouvrées par l’Etat,  seront  inférieures à celles dont se prévalent les ministres et les services spécialisés en charge de cette mission.

 

Mais inférieures de combien ?

 

En réalité, aussi surprenant que cela puisse paraitre, personne ne le sait de source sûre. Ni l’Etat lui-même, ni aucun de ses services, aucun de ses ministres, aucun(e) de ses directeur(e)s d’administrations centrales … Ce que confirme la Cour des comptes : « Contrairement à de nombreux pays, la France ne dispose d’aucune évaluation rigoureuse de la fraude fiscale. »

 

Comment expliquer de telles lacunes informationnelles ?

 

Tout d’abord, c’est évident, parce que s’agissant de fraude, la matière se dérobe ; elle est donc difficile à appréhender avec certitude et exactitude.

 

Mais aussi parce que, parfois, il se pourrait que le flou et la confusion sur l’action de l’Etat dans le domaine de la lutte contre la fraude fiscale  soient sciemment maintenus et entretenus pour distraire l’attention de certains intérêts particuliers contraires au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques.

Faire état, par exemple, d’un nombre record  de contrôles fiscaux engagés dans l’année, mais sans distinguer clairement entre les vérifications effectuées sur place, c’est-à-dire dans les locaux et la comptabilité du contribuable, et les contrôle dits « sur pièces », effectués depuis le bureau du contrôleur, au vu, essentiellement, des déclarations fiscales déposées par le contribuable,  n’ ont pas le même impact en matière de lutte contre la fraude fiscale.

De même, présenter des redéploiements d’emplois (déshabiller Paul pour habiller Pierre) comme de véritables créations de postes, ne l’est pas davantage.

 

Une telle suspicion est-elle justifiée ?

 

La consultation des documents parlementaires de l’Assemblée Nationale, en particulier les Rapports faits au nom de la Commission des Finances , de l’Economie et du Contrôle budgétaire sur les projets de lois de finances  pour 2023 et pour 2025 apportent un début de réponse à cette question.

Certaines observations des Rapporteurs Spéciaux de ces Commissions sont sévères. Qu’on en juge :

  • « les moyens consacrés à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale sont aujourd’hui loin d’être suffisants et témoignent d’une volonté faible en la matière »
  • « Les moyens humains alloués à la lutte contre l’évasion fiscale sont insuffisants. » ( les Rapporteurs estiment que, depuis 2008, ce sont plus de 30.000 emplois qui auraient été supprimés à la DGFiP, soit plus du quart de ses effectifs).
  • « La mise en place malavisée de nouvelles technologies ne saurait remplacer les effectifs humains »
  • « octroyant les moyens techniques, humains et financiers d’exercer ses missions ».

 

A lire ce qui précède, il est évident que, quoi qu’on en dise, le chantier de la lutte contre la fraude fiscale n’est pas prêt d’être clos.

Et pourtant, comment ne pas se souvenir qu’en 1970, Valérie Giscard d’Estaing, alors  Ministre de l’Economie et des Finances, s’était solennellement fixé pour objectif, devant la Nation entière, « d’éliminer la fraude comme phénomène social en la ramenant aux proportions d’un phénomène isolé … ».

Il y a de cela plus d’un demi-siècle !

Comment expliquer un tel échec ?

Comment se défaire de l’idée qu’on berne sans vergogne les Français ?

Et pourtant, comme le rappelle le Ministère de la Justice :

« La fraude fiscale porte atteinte au principe d’égalité des citoyens devant les charges publiques et à celui de la libre concurrence. Elle cause un préjudice grave à la société dans son ensemble en portant atteinte au pacte social et en générant un trouble à l’ordre public économique. »

La fraude, nous dit-on à juste titre, « porte atteinte au pacte social … ».

Dès lors, comment, en se refusant à agir comme ils auraient dû le faire en vertu du principe de justice fiscale, nos Gouvernants successifs n’ont-ils pas compris , (et ne comprennent-ils toujours pas),  qu’ils contribuaient au délitement de ce pacte social, qu’ils insufflaient peu à peu dans la société un sentiment de défiance généralisée à l’égard de nos responsables politiques, et, pour tout dire, qu’ils portaient atteinte à la démocratie et à la République ?

 

                                                                   BORDADOUR 05/05/25



06/05/2025
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