Par Julie Lancelot - j.lancelot@sudouest.fr
 
L’ancien Premier ministre et maire de Bordeaux a accepté de sillonner sa ville natale avec « Sud Ouest » pour se remémorer, sur place, des souvenirs d’enfance qu’il évoque dans son dernier ouvrage, « Une Histoire française ». Rencontre avec Alain Juppé le Montois

Au XXIe siècle, croiser Alain Juppé le Montois n’est pas commun. Ceux qui peuvent s’en vanter sont soit des membres de sa famille, des proches ou des amis d’enfance avec lesquels il entretient toujours des liens intimes, mais dont les rangs s’éclaircissent, les décennies passant. Ses racines landaises et ses attaches dans le Sud-Ouest, l’ancien homme politique d’État et maire de Bordeaux, aujourd’hui membre du Conseil constitutionnel, les a toujours revendiquées avec fierté. Dans son dernier ouvrage « Une Histoire française », paru aux éditions Tallandier en septembre dernier, il en parle et les décrit avec détails pour les rattacher à ses souvenirs.

« Sud Ouest » a profité de sa venue pour une conférence et une séance de dédicaces à la librairie Lacoste, en fin d’après-midi ce vendredi 20 octobre, pour l’inviter à sillonner sa ville natale avec sa compagne Isabelle. Sous les bourrasques et la pluie battante de la tempête Aline, les souvenirs lui sont revenus à mesure qu’il se remettait dans les pas de son enfance.

« La fenêtre de ma chambre »

Ses visites à Mont-de-Marsan sont rares, il en convient. « Je n’ai plus beaucoup de famille, j’ai une nièce qui habite encore ici, mais plus de maison depuis que mes parents sont morts et que nous l’avons vendue. » Son père a disparu en 1998, sa mère en 2004. Il vient tout de même dans les alentours, « de temps en temps au cimetière de Campagne », pour se recueillir sur leur sépulture. À 78 ans, il voit plutôt ses amis d’enfance à Bordeaux, ou à Hossegor, là où se situe désormais la maison familiale des Juppé dans les Landes, sur les bords du lac. « Nous y sommes depuis cinquante ans et les enfants y ont passé leur enfance et leur adolescence, ils y sont très attachés, et il faut dire que c’est un endroit magnifique. »

Alain Juppé de retour à Mont-de-Marsan, ici devant la maison familiale, rue Despiau. « La maison Darroze » héritée de sa mère.
Alain Juppé de retour à Mont-de-Marsan, ici devant la maison familiale, rue Despiau. « La maison Darroze » héritée de sa mère.
Philippe Salvat / « Sud Ouest »

Mais retour à Mont-de-Marsan, à l’angle de la rue Despiau et du boulevard d’Auribeau, pour retrouver la première maison de famille d’Alain Juppé, la maison Darroze, qui appartenait aux parents de sa mère depuis plus d’un siècle. « On voit la fenêtre de ma chambre », signale-t-il en pointant du doigt avec émotion l’arrière de la bâtisse, côté cour. « Là, après le balcon. Une grande chambre », précise le petit garçon qui se réveille en lui.

Direction le collège et le lycée Duruy, où il a décroché tous les premiers prix possibles. Neuf ans de scolarité brillante qui lui ont ouvert les portes du prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris. Un tremplin pour des études supérieures qui l’ont mené à la carrière politique qu’on lui connaît.

Alain Juppé lors de la conférence à la librairie Lacoste, animée par Odile Faure, cheffe d’agence départementale de « Sud Ouest ».
Alain Juppé lors de la conférence à la librairie Lacoste, animée par Odile Faure, cheffe d’agence départementale de « Sud Ouest ».
Philippe Salvat / « Sud Ouest ».

Service militaire à la BA

Élève, Alain Juppé s’en allait à pied ou à vélo, en traversant la place de la Tannerie devenue place Poincaré. Sur le trajet, il passait devant le domicile de Mme Dulong, l’institutrice qui l’a tant marqué. « Une enfance heureuse, résume-t-il, dans une petite ville tranquille, où je n’ai jamais ressenti un sentiment d’insécurité. J’aimais mon lycée, j’y ai passé neuf ans de ma vie », décompte-t-il. Il en garde des souvenirs précis, comme « ce proviseur qu’on appelait Raton, je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Et il y avait aussi le surveillant général, on l’appelait le Zou. »

« Tout droit, c’est la base aérienne, reconnaît-il dans le prolongement de la rue Henri-Duparc, car je suis revenu ici dix ans plus tard après le lycée pour faire mon service militaire. Là, c’était la Clinique des Landes », se souvient-il en contemplant la nouvelle résidence seniors qui a poussé à la place.

« Voilà la place des lycées », indique Alain Juppé devant l’entrée du parc Jean-Rameau, « avec l’Auberge landaise, c’est là que je faisais mes réunions politiques », lance celui qui a été président de la fédération départementale RPR des Landes à la fin des années 1970 jusqu’au milieu des années 1980. « L’entrée du lycée Duruy se faisait par ce côté à l’époque, avec le bâtiment du XIXe. » « Tu m’avais déjà montré cette grille », se souvient Isabelle.

Alain Juppé et son épouse Isabelle ont passé un moment à l’hôtel de ville par le maire Charles Dayot. Ils reçoivent la visite de Bernard Pédarré, son ami d’enfance.
Alain Juppé et son épouse Isabelle ont passé un moment à l’hôtel de ville par le maire Charles Dayot. Ils reçoivent la visite de Bernard Pédarré, son ami d’enfance.
Philippe Salvat / « Sud Ouest »

Regard affectif plus que politique

En arrivant à Mont-de-Marsan dans l’après-midi, il a été accueilli par le maire Charles Dayot. « Bienvenue chez vous », lui a lancé l’édile à son arrivée. Lors d’une demi-heure d’entretien, ils ont eu la visite de l’ami d’enfance Bernard Pédarré, et ils ont pu évoquer aussi les projets pour la ville. Comme l’îlot Laulom et « un grand projet de musée, l’extension du musée Despiau-Wlérick », cite Alain Juppé, sans en dire plus. C’est le regard affectif sur la ville qui l’emporte sur le regard politique : « J’y ai vécu jusqu’à mes 18 ans, puis de nouveau pendant un an et demi pour mon service militaire avec ma première femme et mon premier enfant, Laurent… », retrace-t-il.

« Si j’avais été élu au Conseil général en 1979, j’aurais persévéré »

Lui qui a remodelé la ville de Bordeaux, qu’aurait-il fait à Mont-de-Marsan ? « Je n’y ai pas réfléchi. J’avais l’intention de me présenter à la mairie ici, si j’avais été élu au Conseil général en 1979, j’aurais persévéré », confie-t-il. Ou comment deux défaites électorales, aux élections législatives de 1978 et aux élections cantonales de 1979, face à un certain Philippe Labeyrie, futur maire de Mont-de-Marsan, l’ont mené vers une autre destinée. « Ça, c’était la prison ici avant, s’interrompt-il, c’est quoi maintenant ? Et en face la Cartoucherie est toujours là ! Ça existait il y a cinquante ans », rigole-t-il.

Alain Juppé en dédicace vendredi 20 octobre à la librairie Lacoste.
Alain Juppé en dédicace vendredi 20 octobre à la librairie Lacoste.
Philippe Salvat / « Sud Ouest »

Impossible de se garer devant l’église de la Madeleine pour un autre arrêt. Celui qui y a été enfant de chœur, et qui se définit aujourd’hui comme « catholique agnostique » le regrette. Plus loin, après le monument aux morts, il reconnaît « la maison Lacoste, où habitaient ma sœur Jeanine et mon beau-frère, qui était propriétaire de l’imprimerie et de la librairie. J’y suis venu souvent pour les Fêtes de la Madeleine, quand mes parents n’étaient plus là, je dormais chez ma sœur. Il y a longtemps que je ne suis pas revenu aux fêtes », concède l’aficionado.

Le QG des Pyrénées

Un peu plus loin, en arrivant place du Sablar, il raconte : « Le quartier général de mes parents, dans leur vieillesse, c’était l’Hôtel des Pyrénées. Ils venaient dîner tous les soirs ou presque. À l’époque, le menu du soir était à 20 francs, avec vin à volonté, et mon père me disait : ‘‘C’est moins cher qu’à la maison, donc on va au resto !’‘ Et ils retrouvaient les copains. Quand j’appelais à la maison et qu’ils ne répondaient pas, je savais qu’ils étaient en forme et qu’ils étaient aux Pyrénées. »

Dernier détour par la place Saint-Roch. « Un maire qui s’appelait Philippe Labeyrie l’avait fait recouvrir en goudron rouge, raconte-t-il à Isabelle. Ça a bien changé », apprécie-t-il, en rendant non pas à César, le surnom du maire socialiste, ce qui lui appartient, mais plutôt en tressant des lauriers à ses successeurs, Mme Darrieussecq, qu’il a soutenue aux élections municipales en 2008, et M. Dayot.

« La ville n’a pas tellement changé, finalement, il y a encore de beaux restes », constate-t-il sur toute la distance parcourue. Est-ce un bien ou un mal ? « Ce sont les Montois qui apprécient. Mais pour moi, c’est bien », note-t-il, satisfait de son retour aux sources. « Et ça, c’est toujours fermé ? », lance-t-il, interrogatif, en jetant un regard aux Nouvelles Galeries fantômes en face de la librairie Lacoste dans laquelle il s’engouffre. Elles n’étaient apparemment pas au chapitre des grands projets pour la ville évoqués dans le bureau du maire un peu plus tôt. Ou peut-être le sujet était-il trop complexe pour le résumer. En tout cas, pour les voir rouvertes, Alain Juppé le Montois devra revenir visiter Mont-de-Marsan dans quelques années.