3505-Jean-Louis Bourlanges : « Nous sommes sur la pente du déclin » 2 posts
Jean-Louis Bourlanges : « Nous sommes sur la pente du déclin »
Il redresse sa silhouette à la Maigret dans le canapé rouge grenat où il s'était calé, un éclair de passion brille dans ses yeux vert-de-gris, sa voix de stentor retentit dans le salon élégant décoré de vedute : « Il faudrait dire aux socialistes : Ce qui nous sépare, ce ne sont pas nos options, mais nos priorités. Les vôtres, ce sont les gratifications sociales, assurément légitimes mais infinançables à court terme. La nôtre, c'est, au-delà de la réduction des déficits, le redressement économique ! » Jean-Louis Bourlanges, 78 ans, déclame le discours de politique générale qu'il aurait prononcé à la place de François Bayrou. Et pour un peu, l'appartement où l'ancien député MoDem des Hauts-de-Seine (2017-2024) reçoit pour un café, à deux pas des Folies Bergères, se transformerait presque en hémicycle du Palais-Bourbon.
« JLB », dont la mèche grise, le sourcil hirsute et les lunettes évoquent un professeur à Sciences Po, où il a enseigné, a toujours eu les idées claires. Son esprit et sa culture font de lui un des plus fins observateurs de notre vie publique. L'un des plus exigeants, aussi. Au fil des années, les espoirs de cet homme du centre « libéral, social et européen » ont souvent été déçus. Les habiletés de Bayrou, qui a réussi à faire adopter un budget en évitant la censure, heurtent son « vieux fond héroïque ».
« Le style de Bayrou est fascinant par ce souci calculé de ne rien passionner, au risque de démobiliser un corps électoral qu'il estime dangereusement chauffé à blanc, s'étonne-t-il. avec sa façon de flotter sans perdre le fil, on l'a comparé à Columbo : l'idée est juste et, pour lui, rassurante, car Columbo gagne toujours à la fin. Il y a chez lui un côté Volpone, le faux mourant de Ben Jonson [dramaturge anglais, NDLR] qui empoche la mise. » Sans parvenir à l'approuver, il comprend la tactique du Premier ministre : « Il a compris que nous étions revenus, au moins provisoirement, à un régime parlementaire, type IIIe ou IVe République. Il gère des contraintes sévères et il le fait plutôt intelligemment. »
À LIRE AUSSI Jean-Louis Bourlanges : « Dans ce monde, toutes les amarres sont lâchées » Cet entre-deux reflète la complexité de ses rapports avec le Béarnais, qu'il a soutenu lors de l'élection présidentielle de 2007 avant de s'éloigner, lassé par son irrédentisme centriste, et dont il n'avait pas anticipé la renaissance, à 73 ans. « Notre relation a toujours été amicale, et même complice. Nous nous sommes toutefois constamment agacés, voire épisodiquement opposés, car nous ne sommes pas issus des mêmes familles même si nous occupons des bivouacs très proches : c'est un centriste qui a appris la Ve République ; je suis un gaulliste qui a retenu de De Gaulle la culture du « en même temps » ».
Mélancolie
Un gaulliste aujourd'hui tenté par la mélancolie. L'intarissable Bourlanges, capable de disserter à l'infini sur la difficile conciliation des libéraux et des démocrates-chrétiens comme de narrer un scrutin européen d'il y a vingt ans, a décidé, après la dissolution, de ne pas se représenter à l'Assemblée, où il présidait depuis 2021 la prestigieuse commission des Affaires étrangères. La faute à des problèmes de mobilité, mais aussi à une forme de lassitude. Il porte aujourd'hui un regard sombre sur l'état du pays.
« La France passe totalement à côté des choix cruciaux qu'il faut faire. Depuis la dissolution, pas un problème sérieux n'a été abordé. Même nos moments de joie, les Jeux olympiques et la réouverture de Notre-Dame, ont été placés sous le signe d'une profonde introversion. Nous sommes sur la pente d'un déclin que je pressens irrémédiable, qui est à la fois d'ordre moral, géopolitique, technologique et mais,dans une moindre mesure , démographique. » Il ajoute : « La France est particulièrement mal partie, mais c'est l'Europe entière qui est en désarroi. Regardez-la, cette pauvre Europe menacée à l'Est, durement concurrencée par la Chine, humiliée en Afrique, marginalisée au Moyen-Orient, et attaquée à l'Ouest par celui qui est supposé la défendre. »
Un constat qui sonne comme un désaveu pour Emmanuel Macron, qu'il a soutenu en 2017 puis 2022. « L'une de ses grandes erreurs, déplore-t-il, est de ne pas avoir admis que son succès passait, comme l'y invitait Jean-Michel Blanquer, par l'affichage d'une absolue priorité pour l'école au sens le plus large du terme, car c'est la clé de tous les redressements nécessaires : les banlieues et l'intégration, l'emploi par les formations initiale et permanente, les défis technologiques et environnementaux, la force de nos armes. Le business pour la droite, l'école pour la gauche, voilà « un en même temps » qui pouvait marcher, relancer l'ascenseur social et assurer le rayonnement du pays ».
Le « vieux churchillien » continue, malgré tout, à guetter le redressement. « Pour faire face, il faudrait, en France d'abord mais aussi en Europe, bouleverser nos priorités budgétaires et politiques. « Je ne désespère pas complètement de pouvoir entendre ,dans un mois, dans un an, un discours qui puisse proposer au pays une vraie politique de redressement sans être aussitôt censuré. »
Inachèvement
L'ancien député européen (1989-2007) ne s'est-il pas lui-même parfois complu dans la critique, au détriment de sa propre carrière ? Son indépendance d'esprit a peut-être joué des tours à Bourlanges, capable d'admonester Emmanuel Macron, lors d'une visite d'État en Suède, pour avoir prononcé l'intégralité de ses discours en anglais? Il avait pourtant les qualités intellectuelles pour faire un ministre de l'Éducation ou des Affaires étrangères. « J'ai toujours été trop mégalomane pour être ambitieux ! » sourit-il. Au fond, seule la présidence de la République aurait vraiment convenu à cet orgueilleux. Il n'a jamais envisagé sérieusement de s'y faire élire.
En attendant ce redressement qui tarde à venir, Jean-Louis Bourlanges poursuit son grand oeuvre : une histoire du centre en France, commencée il y a quatorze ans. Quelle place accordera-t-elle à François Bayrou, l'« impromptu de Matignon » ? Celle d'un sauveur du centrisme ou, au contraire, d'un fossoyeur ?