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Jean-François Kahn : «Jean-Luc Mélenchon est devenu fou»

  • par Saïd Mahrane, pour Le Point - mai 2024 Republié par Jal Rossi
Dans «Ne m’appelez plus jamais gauche», le journaliste analyse les raisons du déclin d’une gauche qui, à force de puiser son inspiration outre-Atlantique, est en train de perdre son identité.
 
Jean-François Kahn a 85 ans. En scrutant sa petite barbe grise qui dessine un collier, on songe qu'il est plus âgé que le PS, les Verts, LFI et a tout juste dix-huit ans de moins que le Parti communiste français. Autant dire que l'homme, éminent journaliste, est habilité à parler de cette galaxie politique, dont il a été le témoin des firmaments électoraux comme des ruines idéologiques. Pour nous présenter son dernier livre, Ne m'appelez plus jamais gauche 
(L'Observatoire), il nous a donné rendez-vous près de chez lui, dans un bar d'hôtel de la place de la République qui a perdu de son lustre. Tout un symbole. Parmi les badauds qui se pressent, personne ne fait attention à ce monsieur penché sur sa canne, au pas lent, la faute à une récente opération de la jambe.
 
Si la statue de bronze qui surplombe le lieu pouvait parler, elle le raconterait traversant, quelques années plus tôt, cette place de chez lui à l'hebdomadaire Marianne, qu'il a fondé – 700 mètres entre les deux –, d'un pas volontaire mais toujours tête baissée, absorbé qu'il était par le choix de la prochaine couverture de son magazine. Arrivé dans ce bar d'hôtel d'un kitsch moderne, il prend un Schweppes et repose son corps fatigué sur une épaisse banquette.
«On a rarement eu autant besoin de la gauche»
 
Ces temps-ci, il publie donc un essai remarquable sur la gauche, qui est une sorte d'acte de décès en même temps qu'un appel à la résurrection. Pour lui, la gauche n'est plus qu'un «trou», une «béance», une «cavité», écrit-il en préambule. On lui demande ce qui a pu arriver à ce courant qui, depuis plus de deux siècles, fait l'Histoire. «Pourquoi tout part en couille ?» est-on tenté de lui demander en reprenant le titre d'un de ses fameux éditos de Marianne. Il se redresse, puisant dans ses forces physiques pour les mettre au diapason de ses forces intellectuelles, intactes. «On a rarement eu autant besoin de la gauche. L'extrême droite va peut-être gagner les prochaines élections. Poutine attaque l'Ukraine, les injustices et les inégalités se creusent, le grand capital met la main sur la presse… Or, la gauche a dénoncé tout ça, mais quand ce n'était pas encore vrai ! Elle voyait du libéralisme alors qu'on était presque socialistes. Maintenant que ça devient vrai, elle le dénonce toujours. Mais elle n'est plus écoutée. On a donc vraiment besoin de ce qui faisait la fonction de la gauche depuis deux siècles.» Il fait une pause, puis reprend son propos, les yeux dans le vide, comme s'il se parlait à lui-même : «Pourquoi elle en est arrivée là ? À ne plus exister alors qu'elle a toutes les raisons d'exister… C'est la grande question.»
 
L'heure est grave, selon lui. Car c'est une loi de la physique : pour tenir, une démocratie a besoin d'une droite et d'une gauche. Il voit le paysage politique et médiatique se transformer à une même vitesse et déplore la grande part prise, partout, par l'idéologie qui interdit l'échange, le compromis, la nuance. Il voudrait voir la France à l'image des journaux qu'il a fondés : des espaces de confrontation, certes, mais dans le respect et même dans la bonne humeur. Un peu comme dans Le Banquet de Platon, où la philosophie côtoie l'ivresse.
LES VIES DE «JFK»
  • 12 juin 1938 Naît à Viroflay (Yvelines).
  • 1959 Journaliste à Paris-Presse.
  • 1960 Reporter en Algérie pour Le Monde.
  • 1977 Directeur des Nouvelles littéraires.
  • 1984 Fonde L'Événement du jeudi.
  • 1997 Fonde Marianne.
  • 2009 Élu au Parlement européen (MoDem). Il cède sa place à Nathalie Griesbeck.
  • 2011 Prend sa retraite.
  • 2021 Publie le premier tome de ses Mémoires (Éd. de L'Observatoire).
Les gauches, déconnectées
 
Un des drames de la gauche actuelle, estime-t-il, est précisément son appellation. «C'est tout bête, mais, s'agissant de socialisme, comment s'accrocher à un terme qui désigne à la fois l'émancipation et l'oppression, l'humanité et le crime ?» Dès lors, la gauche socialiste ne pense plus le monde selon des réalités, mais selon cette appartenance ambiguë, qui devient sa prison. «On pense de là où on est. Le “là” s'est débarrassé du “quoi”», dit-il justement, précisant que ce constat vaut aussi pour la droite. Les élus socialistes se réclament du peuple quand celui-ci rejette la réforme des retraites, mais ne le suivent plus quand il plébiscite la loi immigration. Car ils «se veulent d'abord fidèles, non aux Français, mais à l'intitulé de leur parti». Ça marche aussi avec les « Insoumis », qui chercheraient moins l'intérêt des petites gens que l'occasion de surjouer l'insoumission à un ordre. Où l'on voit que les mots comptent plus que les idées ou les réalités. Puisque CNews adore l'immigration pour la vilipender, la gauche l'occultera. Et, si on la force à en parler, ce sera pour en prononcer l'éloge. «Les gauches étaient unies devant de Gaulle, elles sont à terre devant Marine Le Pen», constate le journaliste. Plon, l'éditeur de son essai paru en 2014, Marine Le Pen vous dit merci !, serait bien inspiré, si jamais, de le rééditer en 2027…
L'auteur affirme aussi que le «socialisme» est le nom d'un mensonge : «Qui peut croire que les élus de gauche sont favorables à un régime de type socialiste ou productiviste socialiste ?» Partant, le procès en trahison est inéluctable. C'est l'arc idéologique dessiné par François Hollande qui va faire de la finance son ennemie à la loi Travail. La conviction de Kahn est que les gauches devraient «se dissoudre pour se fondre dans une large force de résistance républicaine, démocratique, laïque et sociale».
 
«Le narcissisme, l'égocentrisme de Mélenchon l'ont rendu fou»
 
Pour les besoins de l'analyse, l'historien de formation a segmenté dans son essai la gauche dans son rapport à l'Histoire, aux mots, à la trahison, au réel, à l'immigration… Depuis le regretté Jacques Julliard, rares sont ceux qui l'ont à ce point disséquée. Et que voit-on dans les entrailles du cadavre ? En dehors des conquêtes, des dénis, des angoisses – comme celles de faire le jeu de la droite –, des compromissions, des interdits et des primes à la violence «révolutionnaire». «Elle glorifie les périodes les plus attentatoires aux impératifs de démocratie représentative et de libertés», relève-t-il, prenant pour exemples la Terreur montagnarde de 1793, la Commune de Paris ou l'adhésion à la révolution bolchevique.
 
Kahn voit dans Mélenchon, outre le cynisme calculateur du politique, l'héritier et le «passeur» théorique de ces épisodes sanglants. Comme ceux de sa génération, il a connu un «Méluch'» propre sur lui, sourcilleux républicain, bouffeur de curés à barbe et à soutane. Que lui est-il arrivé, à lui aussi ? Son explication vaut ce qu'elle vaut, il n'en voit pas d'autre : «Je crois qu'il est devenu fou.» Fou ? «Oui, fou. Je pense que son narcissisme, son égocentrisme l'ont rendu fou. Il voit bien les sondages, il voit qu'il régresse. Mais le fait de remplir les salles l'exalte, et ça lui suffit.» À l'évocation de Jean-Luc Mélenchon, on comprend, à ses grands gestes, qu'il en veut à l'Insoumis d'être ce qu'il est devenu, en plus d'hystériser les débats. Il formule le même reproche aux commentateurs de CNews, des «extrémistes» qui «parlent fort et se coupent la parole en plateau alors même qu'ils disent la même chose». À choisir, il préfère encore l'ambiance des émissions de Michel Polac, comme Droit de réponse, joyeux foutoir enfumé où, un jour de 1982, le dessinateur Siné lui a lancé : «Sale type, je vous déteste, je vous hais. Vous allez crever, connard !»
 
 
«Un produit d'importation»
 
Les modérés vivent décidément des temps difficiles. Songez que Le Figaro et Le Monde lui ont déjà refusé des tribunes, car un centriste révolutionnaire de sa trempe ne désigne pas de bouc émissaire, refuse la binarité, accorde des bons points à la droite et à la gauche, apprécie le bon sens et jouit d'une liberté d'expression qui ne ménage aucune susceptibilité. Modéré, avec lui, ne veut pas dire tiède. Patron de presse, il a été mis en examen plus de 200 fois. Dans Marianne, il publiait les articles de Claude Askolovitch et d'Élisabeth Lévy – un antiraciste et une réac assumée –, et cela faisait un journal formidable. Ces deux journalistes sont devenus ce qu'est devenue une partie de la profession : des militants prévisibles.
Que Le Figaro rechigne à publier ses tribunes passe encore, mais voir que Le Monde renonce à son rôle de «grand journal d'un centre gauche républicain» le désespère. La presse de gauche aurait suivi la même pente que les partis : moins ils sont influents, plus ils se raidissent.
 
«La France est le pays qui a inventé la gauche», a dit Pierre Nora dans un discours à l'Académie française. Désormais, la gauche semble regarder outre-Atlantique, pensant que de cet horizon viendra sa renaissance, notamment à travers les identités de genre et de «race». «Cette approche est à la politique ce que sont le hot-dog et le hamburger à la consommation. Un produit d'importation», soupire JFK, qui aime la gauche patriote, gourmande, élévatrice, démocrate, protectrice et universelle.
 
Jeunes des quartiers et intellos gauchistes, un peuple fabriqué
 
De mémoire, il n'a jamais vu autant de dérives antisémites à l'extrême gauche, «peut-être au PCF», après la guerre du Kippour. «Il y a encore trente ans, la gauche condamnait l'idée de race. Cela n'existait pas. Désormais, elle renvoie tout à la “race”. C'est comme en Mai 68, où des petits groupes gauchistes, ultraminoritaires, ont fini par imposer une grande partie de leur idéologie. Déjà, dans Marianne, je dénonçais, parmi les premiers, les Indigènes de la République. C'est un petit groupe de rien du tout qui a une énorme influence dans les milieux intellectuels à gauche. Or, c'est un groupe raciste. Objectivement raciste.»
 
Dans son livre, il reproche également à la gauche d'idéaliser le peuple – là aussi, comme la droite. Elle idéalise un peuple fabriqué : jeunes des quartiers et intellos gauchistes. Kahn sait bien que cet agrégat ne fait pas un peuple, tout juste une clientèle. Il connaît la France pour l'avoir sillonnée en tant que journaliste, surtout son flanc est, en tant que candidat MoDem aux européennes de 2009. Petits blancs, agriculteurs, chômeurs, artisans ou travailleurs immigrés, il connaît. Ils étaient là aux meeting de sa campagne. La fin de ses discours ressemblait à celle du bouclage hebdomadaire de ses journaux : en musique, avec accordéon, planches de charcuterie et pichets de vin. Oui, les temps ont changé. «Je vais reprendre un Schweppes.»�
EXTRAIT
«Refaire la “social-démocratie”, disent-ils ? Et pourquoi pas l'orléanisme ? Parce qu'un plat trop pimenté vous a emporté la gueule, ne plus consommer que des carottes râpées ? Réhabiliter François Hollande ? Et pourquoi pas Guy Mollet ? […] La seule façon, aujourd'hui, de réactiver la fonction essentielle qui fut celle de la gauche, c'est d'en finir avec la gauche.»�
  • Illustration : Jean-François Kahn présente «Ne m'appelez plus jamais Gauche», éditions de l'Observatoire, mai 2024, 192 pages, 19 € (papier), 13,99 € (numérique).
Peut être une image de 1 personne et texte qui dit ’NE M'APPELEZ PLUS JAMAIS GAUCHE JEAN-FRANÇOIS KAHN POUR ÉVITER LE PIRE: TOUT CE QU'IL FAUT EFFACER DE NOS TETES bservatoire serva’
 


18/05/2024
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