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Israël et Palestine, au-delà de la haine
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par Kamel Daoud, pour Le Point - octobre 2023
Pour penser la complexité de la «cause palestinienne», il faut recourir à la nuance : défendre Israël, mais aussi l’avenir de la Palestine.
Une guerre est là et elle divise, tue et menace le reste du monde. Que faut-il faire alors ? Et qu'en penser ? Choisir un camp est le geste le plus aisé. Choisir empêche de penser l'humanité complexe, occulte la douleur de l'autre partie et entrave la véritable compassion, si précaire, ou la réflexion sur la paix réelle, pour l'âme et pour cette terre. Applaudir aux meurtres du Hamas sur des Israéliens n'incarne pas un acte de résistance ni de solidarité. On ne célèbre que le crime que l'on prétend dénoncer. Faut-il rappeler cette évidence ? Oui, parce que des millions dans le monde dit «arabe» ou ailleurs croient que cette guerre est «sacrée». Veulent que son but reste le génocide du peuple juif au nom d'une religion. Et estiment que la Palestine est ce pays qui nous dispense de construire nos pays et d'habiter le monde, d'assumer la vie et la vie des autres.
Après les tueries commises par le Hamas, la cause palestinienne sort entachée, amoindrie, sinon presque définitivement exclue des faveurs de la communauté internationale. Et l'on refuse de voir ce fait ou de le considérer comme un désastre pour les Palestiniens. Et ce que veut la «rue arabe», c'est la guerre puisque ce sont les Palestiniens qui vont en mourir, pas les libérateurs imaginaires. Mais les images des civils palestiniens qui paient le prix horrible de la réponse israélienne et de la prise en otage du petit califat du Hamas restent intolérables. Elles augmentent encore la souffrance de ce peuple sans terre fixe et, aujourd'hui, sans issue pour fuir. En bombardant, on ne fabrique pas des morts, mais des tueurs à venir.
«À la fin du "film", ce sont les Palestiniens qui meurent, pas les haineux ni les libérateurs imaginaires.»
Les manifestations contre les bombardements ? Certains veulent déjà en faire la preuve d'une solidarité du monde contre les Israéliens, contre le «Juif», alors qu'elles ne sont que de l'indignation, tout humaine, face aux morts, blessés, femmes, enfants et civils à Gaza. Car aujourd'hui, même l'indignation se trouve détournée. Alors, ne pas témoigner son refus des bombes, dans ce cas ? C'est quelque part ajouter son assentiment à la guerre, qui, si elle peut être justifiée par le besoin de se protéger, n'est et ne sera jamais juste quel que soit l'endroit du monde. Alors, dire non à la riposte ? Le faire risque de vous voir gonfler les rangs des haineux et de réveiller des judéophobies, si malignes à se glisser dans l'habit des causes honnêtes. Dénoncer les crimes du Hamas ? Cela vous range dans la catégorie des vendus, traîtres et inhumains, selon les propagandes dans le monde dit «arabe», sournoisement travaillées par l'internationale islamiste. Crier à la libération de la Palestine sans distinction des moyens ? Cela risque d'arranger les programmes génocidaires de ceux qui confondent ce rêve avec l'extermination du peuple juif.
Tenter d'expliquer la complexité ? Voilà que s'alignent des armées de simplifications. Rêver d'une terre pour les Palestiniens sans la mer pour noyer les Israéliens ? Dans l'empire des affects «arabes», cela équivaut au péché majeur, pire que d'égorger un enfant en lisant un menu de restaurant. Et défendre le droit d'exister pour Israël est considéré comme un crime de guerre par les miens. Ce qu'il nous est demandé, c'est justement de baisser les bras, de récuser la nuance, d'abdiquer face au choix de la guerre comme seule solution. Puisque, à la fin du «film», ce sont les Palestiniens qui meurent, pas les haineux ni les libérateurs imaginaires.
Dans le vacarme des radicalités et des tueries. Et c'est toujours pire si vous êtes arabe. Là, condamné à cette nationalité du ressentiment et de la nostalgie, expliquer que la Palestine apparaît comme une cause qui attire les monstres comme les bâtisseurs sincères, les judéophobes comme les libérateurs sans le sang, les fanatiques de l'extermination et de la fin du monde comme ceux qui rêvent d'un monde possible demeure chose laborieuse. Défendre l'idée que l'on ne peut libérer la Palestine imaginaire si, dans son propre pays, on n'est pas libre soi-même reste une gageure. Rappeler que tout ce que l'on sait de la Palestine et d'Israël provient de nos mythes, de nos rancunes, de nos propagandes et de nos préjugés est un défi. Écrire que toute vie reste précieuse, celle de l'enfant kurde assassiné par Erdogan ou celle d'une famille palestinienne à Gaza ou ailleurs en Israël, fait hurler les suprémacistes musulmans. Et soutenir le principe qu'une guerre ne tue jamais celle qui l'a provoquée, mais la nourrit ? Les voix manqueront toujours. Et nous voilà piégés, pris en otage, incommodés, partout dans le monde, dans notre droit au bonheur et notre devoir de compassion. Nous voilà sans réponse ou sans droit de réponse dans le vacarme des radicalités et des tueries. Et pourtant, c'est ce qui nous reste : rappeler les évidences, celles qui nous maintiennent vivants et dans l'inconfort de toute existence.
Israël a le droit d'exister et de se défendre. Et la Palestine a le droit d'exister. Mais, pour Israël comme pour la Palestine, ni par le moyen de massacres de civils, ni par celui du rêve d'extermination ou de djihad universel contre les Juifs, ni par les bombardements et leur terrible coût humain. Il faut défendre Israël, mais il faut aussi libérer la Palestine. Affranchir la «cause palestinienne» de ceux qui la refusent, de ceux qui exploitent la souffrance pour leurs recrutements dans le monde dit «arabe» et de ceux qui rêvent d'un holocauste. Aujourd'hui, cette cause a le double malheur d'être plaidée par les pires et de servir à les dédouaner de leur haine et à la muer en solidarité. Et cela ne libère pas la Palestine, mais l'asservit encore plus.
