2566- Hamas, Frères musulmans, Union européenne : les liaisons dangereuses 2 posts

Hamas, Frères musulmans, Union européenne : les liaisons dangereuses

  • par Alexandre Devecchio, pour Le Figaro - octobre 2023 Redpublié par JARL
ENTRETIEN - Alors que la guerre se poursuit entre Israël et le Hamas, l’anthropologue et chargée de recherche au CNRS Florence Bergeaud-Blackler revient sur les liens qui unissent ce mouvement terroriste aux Frères musulmans, et sur le rôle trouble qu’a pu jouer l’Union européenne dans l’attribution de certains financements.
 
Le Figaro. - Vous êtes l'auteur d’une enquête sur les Frères musulmans. Quels sont les liens entre le Hamas et la nébuleuse frériste ?
 
Florence Bergeaud-Blackler. - Bien que la branche palestinienne des Frères musulmans ait été officiellement fondée en 1946 à Jérusalem, le Hamas s’est structuré comme force de lutte contre Israël lors de la première Intifada, en 1987, comme alternative islamiste aux mouvements nationalistes le Fatah (Mouvement national palestinien de libération) et l’OLP (Organisation de libération de la Palestine). C’est l’un des deux mouvements islamistes palestiniens, aux côtés du djihad islamique, lequel est lié au Hezbollah.
Le Hamas - et sa branche armée, les Brigades Ezzeddine al-Qassam - s’inscrit dans la lignée de la montée de l’islam politique que l’on observe dans les années 1980 en Égypte, en Jordanie, au Yémen, au Koweït, en Algérie au Maroc en Tunisie, etc., puis partout dans les diasporas musulmanes du monde. Le Hamas exprime la tendance qutbiste de la confrérie (Sayyid Qutb), une tendance djihadiste qui veut réinstaurer le califat dans les limites du monde musulman, politiquement ou par la force en destituant les pouvoirs en place.
Le frérisme européen appartient à une autre branche de la confrérie, arabe qaradawiste (du nom du prédicateur égyptien Youssef al-Qaradawi, dit aussi Global Mufti en raison de son audience mondiale grâce à ses prêches sur la chaîne qatarienne al-Jazeera) et indo-pakistanaise «mawdoudiste» (Mawdoudi, fondateur de la Jamaat Islami), qui s’est déployée à partir des campus européens et américains, où les activistes islamistes pourchassés dans leurs pays d’origine sont venus se réfugier dès les années 1960. Totalement libres d’expression et de réunion, ces Frères se sont donné une nouvelle mission : propager l’islam dans le monde occidental de façon pacifique, par la persuasion, la séduction. Ils ont compris que, face à l’Occident maître de la technologie et supérieur militairement, la conquête territoriale doit être préparée par la conversion des esprits et des cœurs. Leur méthode est l’influence, l’intelligence, l’entrisme ou le noyautage. Organisés en réseaux transnationaux, les fréristes sont des «missionnaires» qui contournent le politique pour emprunter la voie du droit, de la culture et de l’économie. Ils s’inspirent aussi bien des fondamentalistes chrétiens prosélytes que des juifs orthodoxes et proposent une «charia de minorité» qui prend la forme moderne du marketing halal avec son «halal way of life».
 

«Dans la dernière décennie, au moins 200 millions d’euros de fonds publics européens et internationaux ont financé des projets impliquant des ONG en liens avec le FPLP, désigné comme organisation terroriste par l'Union européenne.»

 

Les Frères européens ont construit les Palestiniens en martyrs des ennemis de l’islam dès les années 1990, auprès de jeunes musulmans, diffusant en boucle sur des cassettes vidéo les images sanglantes de familles tuées à Sabra et Chatila. La notion de martyr, cette bombe à retardement du djihad, a été diffusée chez deux générations de jeunes réislamisés par des prédicateurs fréristes violemment antisémites, comme Hassan Iquioussen.
 
Les Frères européens sont solidaires du Hamas, ils partagent cette même haine d’Israël, dont ils ne veulent même pas prononcer le nom, l’appelant «entité sioniste», et dont ils veulent l’éradication pure et simple.
 
Votre enquête montrait comment les Frères ont su étendre leur emprise sur les institutions européennes. L’UE finance-t-elle directement ou indirectement le Hamas ?
 
Là où ils se déploient les Frères ciblent toujours en premier les universités et les écoles. D’après un rapport israélien de 2020, l’Université islamique de Gaza, fondée par les Frères musulmans et liée au Hamas depuis sa création, a participé à des projets internationaux avec plus de 130 universités et centre de recherche dans 21 pays de l’UE. La plupart des fonds auraient été distribués via Erasmus+ (le programme de l’UE en faveur de l’éducation, de la formation, de la jeunesse et du sport en Europe) ou encore le projet Horizon 2020 (programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’UE pour la période 2014-2020) et cela pour des montants de plusieurs millions d’euros. L’Université islamique de Gaza dispensait au départ uniquement des enseignements religieux, puis, grâce à l’argent reçu, elle a élargi son enseignement devenu multidisciplinaire. L’argent européen alimente donc directement l’idéologie islamiste et djihadiste du Hamas.
 
À l’inverse, en 2013, des chercheurs du monde entier rassemblés notamment par l’Association des universitaires pour le respect du droit international en Palestine (AURDIP) ont demandé à Catherine Ashton, haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, «de veiller à ce que les projets, les entreprises et les institutions situés dans les colonies israéliennes illégales ne soient pas éligibles au financement de la recherche par l’UE». Selon les analyses de NGO Monitor, il n’y aurait pas que le Hamas qui serait ainsi soutenu. Dans la dernière décennie, au moins 200 millions d’euros de fonds publics européens et internationaux ont financé des projets impliquant des ONG en liens avec le FPLP, désigné comme organisation terroriste par l'Union européenne, sans compter les financements nationaux des pays membres de l’UE.
 
Bruxelles a annoncé entamer une revue de toutes les aides fournies à la Palestine pour s’assurer qu’elles ne profitent pas «à une organisation terroriste». S’agit-il d’une prise de conscience salutaire ?
 
Cette annonce a surpris tout le monde, car cela impliquait que les obligations de «due diligence» si chères à l’UE n’étaient pas effectives. Nous savons que l’UE était informée depuis longtemps par des ONG des problèmes de destination de ses fonds pour le développement et la recherche. On ne peut donc pas appeler cette décision dont on ne connaît pas les modalités d’application «une prise de conscience». Les lumières commencent à se braquer sur ses responsabilités éventuelles, donc l’UE anticipe. Il faudra que les médias soient vigilants dans les mois à venir pour informer les citoyens européens des progrès faits en la matière…
 
En France, on constate que, à l’exception notable de l’imam Chalghoumi, la plupart des responsables religieux musulmans n’ont pas condamné les crimes du Hamas. Que cela révèle-t-il ?
 
Ni la FIF, ni le CFCM, ni la Grande Mosquée de Paris n’ont condamné les méthodes terroristes du Hamas. Il n’y a aucun débat contradictoire sur la situation palestinienne à l’intérieur de la communauté musulmane, c’est un tabou absolu, que l’imam Chalghoumi brise au péril de sa vie. Celui qui est appelé «l’imam des juifs» - ce qui est accablant dans un milieu antisémite - révèle une chose : aucun candidat ne peut prétendre à la représentation de la communauté musulmane s’il défend cette position. On peut alors supposer qu’elle est très minoritaire chez les musulmans de France.�
 
 
  • Illustration : Chargée de recherche au CNRS, Florence Bergeaud-Blackler a notamment publié «Le Frérisme et ses réseaux, l’enquête» (Odile Jacob, 2023)© Seb Leban
Peut être une image de 1 personne et cheveux blonds
 
 


28/10/2023
2 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 355 autres membres

blog search directory
Recommander ce blog | Contact | Signaler un contenu | Confidentialité | RSS | Créez votre blog | Espace de gestion