ENTRETIEN. "Trump ne s’intéresse à rien et ne sait rien…" L’ancien ambassadeur Gérard Araud décrypte la relation Paris-Washington
Ambassadeur de France aux États-Unis de 2014 à 2019, Gérard Araud a assisté à l’arrivée de Donald Trump au pouvoir et suivi de près l’évolution des relations franco-américaines en tant qu’observateur privilégié.
Comment qualifieriez-vous l’histoire des relations franco-américaines ? Le second mandat de Donald Trump marque-t-il une rupture ?
C’est un vaste sujet ! Ce qui différencie fondamentalement la France de ses partenaires européens dans son rapport aux États-Unis, c’est que la plupart des pays européens, sans exception, se considèrent comme faisant partie du monde euro-atlantique. Leur sécurité dépend des États-Unis, et c’est un choix existentiel pour eux. La France, en revanche, a une relation plus indépendante avec les États-Unis. Cela vient du gaullisme et de notre expérience particulière de la guerre. Nous considérons les États-Unis comme un allié avec qui nous pouvons avoir des accords, mais aussi des désaccords. Disons, pour résumer, que la France entretient une relation moins affective avec les États-Unis que d’autres pays européens. Nous voulons être dans la cour des grands, mais les Américains ne nous prennent pas toujours au sérieux.
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En ce qui concerne Donald Trump, je ne pense pas que son second mandat marque une rupture. Il prolonge plutôt une tendance observée depuis une dizaine d’années : un désengagement progressif des États-Unis envers l’Europe. Lorsque Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, les Américains étaient déjà en train de se tourner vers d’autres priorités, notamment l’Asie, où se trouve la menace (la Chine) et la croissance. L’Europe, avec sa faible croissance, semble de moins en moins significative face à une Chine qui, même en crise, continue de croître à 5 %. Ce qui change avec Trump, c’est la forme de ce désengagement. Contrairement à ses prédécesseurs, il ne se contente pas de se retirer discrètement, mais ferme la porte brutalement.

Historiquement, la France a-t-elle toujours été un allié fidèle des États-Unis ?
Nous sommes le seul pays du G7 à ne jamais avoir été en guerre avec les États-Unis ! C’est une anecdote, mais c’est révélateur. La France a toujours entretenu un lien fort avec les États-Unis, tout en veillant à préserver son indépendance, comme le montre l’épisode gaullien. Cela dit, la posture de la France reste ambiguë : elle aime jouer les indépendants, mais en période de crise, elle se réfugie souvent sous le parapluie américain.
Comment décririez-vous la relation entre Macron et Trump ?
Macron a bien géré sa relation avec Trump. Il l’a invité au défilé du 14 juillet 2017, ce qui a marqué un bon départ entre eux. Tout au long du mandat de Trump, Macron a maintenu un dialogue direct avec lui, ce qui était essentiel, car dans l’administration Trump, seule la parole du président compte. Bien sûr, Trump est imprévisible, il peut changer d’avis sur un simple tweet, mais Macron a su maintenir un lien.
Plus largement, comment les Américains perçoivent-ils la France ?
Les États-Unis sont un pays très provincial, et l’élite américaine, surtout sur la côte Est, reste relativement francophile. Mais pour la majorité des Américains, la France évoque avant tout Versailles et le Mont-Saint-Michel. Leur intérêt pour notre puissance technologique est limité.
Et Trump, quel regard porte-t-il sur la France ?
Trump ne s’intéresse à rien et ne sait rien. En septembre 2017, quelques mois après avoir assisté à la parade du 14-Juillet en France, il avait demandé à sa délégation, en présence de Macron, s’ils savaient que les Français avaient déjà remporté des batailles. Il semblait totalement ignorer notre histoire militaire.