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Feu nucléaire, écoutons ceux qui savent
Prôner un monde débarrassé des armes nucléaires semble au
mieux naïf, au pire illusoire, dans le paysage actuel des rapports
de force internationaux. Mais il est capital d’en garder et
d’en nourrir l’espoir. C’est ce que nous rappellent les survivants
japonais de la bombe atomique. Nommé Nihon Hidankyo, ce
groupe de femmes et d’hommes dont la moyenne d’âge tutoie les
90 ans, possède, sur ceux qui bavardent sur la bombe ou en brandissent
la menace, l’avantage insigne d’avoir vécu dans sa chair ce que
peut signifier l’emploi d’une telle arme. Cette expérience donne aux
témoignages de ses membres une légitimité profonde, justement
récompensée à Oslo par le prix Nobel de la paix.
Quatre-vingts ans après, les noms d’Hiroshima et Nagasaki personnifient
le moment terrible, et jusqu’ici unique, où la pire arme de destruction
massive a servi contre des populations civiles. Cette
action américaine, qui a mis fin à la guerre du Pacifique et vaincu
le militarisme nippon, a aussi installé par l’horreur l’idée qu’il
était devenu inconcevable de recourir le premier à la bombe,
voire d’y recourir tout court. Le tabou a vacillé en 1962
à Cuba lors de la crise américano-russe de la « baie des Cochons »
mais a survécu à la guerre froide et à la chute de l’URSS.
Or trente-cinq ans plus tard, il menace de sauter avec la guerre
d’Ukraine pour accélérateur. Vladimir Poutine, qui a hérité du régime
soviétique, le plus gros arsenal atomique du monde, a méthodiquement
remis sur la table la menace ultime. Pour l’autocrate du Kremlin,
dissuader n’est plus un silence, mais un sinistre jeu de mots qui fait
miroiter le passage à l’acte, devenu envisageable depuis qu’un missile
balistique conçu pour porter l’arme nucléaire a touché la cité ukrainienne
de Dnipro. Et contre l’envoi de soldats nord-coréens, la Russie
appuie le programme nucléaire du docteur Folamour de Pyongyang,
tandis que l’Iran, autre allié de Moscou, reprenait sa course à l’atome
militaire en installant de nouvelles centrifugeuses.
Ni Poutine, ni Kim Jong-Un, ni les mollahs de Téhéran ne se soucient
du Nobel japonais, préférant jouer avec les allumettes. Les autres
puissances « dotées », dont fait partie de la France, sont moins cyniques.
Mais elles n’ont pas signé non plus l’historique traité d’interdiction
des armes atomiques paraphé en 2017 par 122 pays aux Nations
Unies. Il y va de la dissuasion, et cela peut se comprendre. Pourtant, le
message des survivants d’Hiroshima, qu’on le veuille ou non, vaut
pour tous.
Christophe Lucet édito Sud-Ouest