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«Face à la criminalité contemporaine et au djihadisme, notre système est d’un autre temps»
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par Eric Delbecque, pour Le Figaro - février 2025
L’attaque terroriste à Mulhouse comme l’arrestation de Mohamed Amra en Roumanie, ce samedi, ont montré l’efficacité de nos forces de sécurité. Mais celles-ci sont entravées par l’inadaptation de notre matrice juridique et administrative à la nouvelle criminalité et à l’islamisme, estime l’ancien directeur sûreté de Charlie Hebdo.
L’arrestation de Mohamed Amra et l’attaque terroriste de Mulhouse rendent évident aux yeux des Français qu’une contradiction majeure hante l’ordre public hexagonal et fabrique l’insécurité permanente. Quelle est-elle ? D’un côté, nous faisons l’expérience de l’efficacité et du dévouement de nos forces de sécurité intérieure (y compris les polices municipales), de l’autre nous discernons clairement un cadre administratif et légal inadéquat, une sclérose bureaucratique, des investissements structurels insuffisants, des débats idéologiques d’un autre temps, qui révèlent une inadaptation criante à l’évolution de la criminalité contemporaine et du djihadisme.
La traque d’Amra a prouvé la qualité et l’acharnement du travail des enquêteurs, la coordination exemplaire entre notre pays et la Roumanie, l’utilité des technologies mobilisées, tandis que le drame de Mulhouse a démontré le sang-froid et le courage des policiers municipaux, lesquels immobilisèrent l’assaillant en évitant de faire usage de leur arme à feu pour ne pas blesser des passants.
Face à cette volonté de faire son devoir se pose un refus du réel que traduit une partie de notre système juridique et de notre maquis administratif. Une fois encore, l’attaque de Mulhouse nous confronte à un profil cent fois vu, un individu connu des services, inscrit au FSPRT, sous OQTF, souffrant de troubles psychiques qui n’annulent pas automatiquement sa responsabilité pénale (soyons prudents sur la caractérisation précise de sa pathologie), radicalisé puisqu’il fut condamné pour apologie du terrorisme, sous contrôle judiciaire, et s’attaquant à des représentants de l’administration avec une arme blanche.
Notre droit patine
Pour finir le portrait, une dizaine de fois nous avons tenté de le renvoyer dans son pays d’origine, l’Algérie, sans succès devant la mauvaise volonté du gouvernement d’Alger. De surcroît, il était sous contrôle judiciaire et devait pointer au commissariat. En l’occurrence, il a refusé de signer celui-ci juste avant d’agresser au couteau les agents de stationnement.
Autant de faits démontrant pleinement que notre droit patine face aux types de profils qu’il s’agit aujourd’hui de gérer en matière d’islamisme. Nous ne pouvons ni les interpeller en cas de refus d’une obligation élémentaire liée à une obligation judiciaire, ni les éloigner du territoire national, ni les empêcher de nuire d’une quelconque manière lorsque les experts, les policiers et les magistrats affirment leur dangerosité : comment les Français ne se montreraient-ils pas dès lors irrités ? C’est exactement cette perception que souligne Bruno Retailleau et dans laquelle il inscrit son discours.
«Il devient impératif de réfléchir à l’alourdissement des peines ou au refus d’aménagement ou d’allègement desdites peines en cas d’apologie du terrorisme, voire à avancer davantage sur la rétention de sûreté.» Éric Delbecque
Quant au cas Amra, nous savons parfaitement désormais qu’il révèle les vulnérabilités insupportables de notre système carcéral. Celui-ci ne constitue plus un obstacle à l’action des criminels. À l’intérieur, ils continuent leurs petites affaires comme à l’accoutumée : quasiment de la même manière que s’ils étaient à l’extérieur… Constat d’échec absolu. Ils gèrent leur business à distance, se font livrer à peu près tout et n’importe quoi, «bossent» avec une multitude de téléphones portables dans leur cellule, et menacent les surveillants pour obtenir ce qu’ils souhaitent, n’hésitant pas devant le chantage et l’agression.
Il ne s’agit pas de remettre en question les libertés
Il n’y a dès lors plus aucun sens dans l’action pénale : non seulement la justice exécute peu les peines de prison ferme, le fait tardivement (favorisant la récidive et l’enkystement dans la délinquance), mais de surcroît la prison n’isole pas les détenus et ne protège pas la société, tout en échouant parallèlement dans la réinsertion… Bilan pour le moins préoccupant. Quant aux prisons en construction, nous sommes déjà prévenus qu’elles ne seront pas disponibles à la date prévue. Et nous connaissons la problématique de la communication sur la dangerosité des détenus entre les services de la justice, le monde carcéral et la police judiciaire : c’est sa mauvaise qualité qui explique très probablement la réussite de l’évasion d’Amra, qui coûta deux vies.
Il ne s’agit ici à aucun moment de remettre en question les libertés individuelles et l’État de droit. Prétendre le contraire, c’est une fois encore introduire de la mauvaise foi idéologique et politique au cœur d’une problématique toute simple exigeant exclusivement du bon sens, du réalisme, de la lucidité ; oui, le droit et les mesures administratives doivent coller à la plasticité de la criminalité.
Réfléchir à l’alourdissement des peines
Nous devons donc encourager et faire aboutir une réflexion sur des notions simples. Par exemple, les individus sous OQTF connus comme des gens dangereux ne doivent pas circuler librement dans l’espace public et on ne doit pas compter sur leur bonne volonté pour appliquer la loi. Par exemple, les détenus suspectés d’assassinat doivent faire l’objet de mesures d’escorte renforcées ou il faut en effet s’assurer que les profils les plus incontrôlables soient rassemblés dans des établissements pénitentiaires offrant des garanties de sévérité incontestables.
Aussi, il devient impératif de réfléchir à l’alourdissement des peines ou au refus d’aménagement ou d’allègement desdites peines en cas d’apologie du terrorisme, voire à avancer davantage sur la rétention de sûreté. Et il nous faut enfin durcir le ton avec un pays comme l’Algérie, qui s’ingénie ostensiblement à faire la sourde oreille lorsque des influenceurs algériens encouragent la violence sur notre sol ou que certains de ses ressortissants la pratiquent.
Que nous restions une démocratie, un État conscient de ses responsabilités internationales, protégeant les libertés individuelles, y compris des non-nationaux, cela va de soi ; en revanche, ne pas protéger les citoyens, faire preuve d’une absence totale de réalisme, de lucidité et de courage pour procéder aux ajustements nécessaires, cela nous mènera directement au chaos, ou à des solutions autoritaires, à plus ou moins brève échéance. Observons ce qui se passe en Allemagne avec l’AfD. Nous sommes prévenus, nos «élites» portent une lourde responsabilité. Il ne faudra pas qu’elles prétendent ensuite qu’elles n’ont rien vu venir.

Illustration :
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Éric Delbecque, expert en sécurité intérieure, est l'ancien directeur délégué à la sûreté de Charlie Hebdo après l'attentat de 2015. @ DR
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Vidéo. - Mohamed Amra, Mulhouse : deux symboles d'une même pièce ? Le point de vue d'Éric Delbecque - Durée 16:08 - Éric Delbecque, spécialiste de sécurité intérieure et auteur de «Les irresponsables» (Plon), est l'invité d'Alban Barthélemy dans Points de Vue.
