Expulsion express
Pas assez ou trop ? Laxiste ou répressive ? Sociale ou comptable ? La loi subit souvent de grands mouvements de balancier, et en voulant améliorer certaines choses, en aggrave d’autres. Il semble bien que ce soit le cas avec cette loi Kasbarian-Bergé sur les squats, un texte qui, s’il rassure les propriétaires, inquiète jusqu’aux locataires les plus scrupuleux.
Il faut dire qu’on a connu une période hautement folklorique, une vraie guéguerre entre proprios et squatters, avec des épisodes pittoresques. On se souvient des mésaventures de Georges et Roland, ces octogénaires toulousains victimes d’occupants illégaux : leur malheur a suscité une mobilisation inattendue de voisins, d’amis ou de témoins. Ailleurs, ce sont des gros bras qui sont venus chasser manu militari les occupants. Rage extrême : un propriétaire exaspéré a attaqué à la pelleteuse ses propres murs, en présence du locataire indélicat… De fait, les bailleurs se retrouvaient généralement impuissants contre ceux qui avaient décidé de s’incruster chez eux, parfois avec une bonne dose de cynisme.
On a donc changé les lois, qui au départ, étaient destinées à protéger les plus précaires, et non pas à faciliter la vie des profiteurs de mauvaise foi. Mais aujourd’hui, ce sont les associations de mal-logés qui s’inquiètent. La possibilité d’appliquer rapidement des mesures radicales a jeté à la rue des centaines de personnes. Et beaucoup n’ont pas retrouvé un toit.
Ce qui est regrettable, c’est que les plus retors des occupants illégaux vont presque toujours trouver une solution pour retarder ou éviter les expulsions. On mettra beaucoup plus facilement à la porte les plus vulnérables, les moins procéduriers, bref, ceux à qui il aurait peut-être fallu tendre la main.
Tout cet épisode met en lumière deux constats sur notre société. D’abord, une profonde crispation, une agressivité inédite entre propriétaires et squatteurs ou locataires. Les premiers, qui ont longtemps été obligés de subir les impayés ou les dégradations ont sonné une sorte de révolte, en utilisant parfois la violence. De leur côté, ceux qui étaient dans l’illégalité ont joué jusqu’au bout sur les nerfs des premiers en exploitant les moindres recoins de la loi. Un vrai bras de fer, qui a débouché sur cette loi Kasbarian-Bergé.
Le second constat, c’est l’état catastrophique du logement dans notre pays. Désengagement des bailleurs sociaux (qui devraient prendre les risques, à la place des privés), construction en panne, diagnostic énergétique dissuasif, hausse des taux d’intérêt, etc. Le résultat est que quatre millions de personnes sont mal-logées en France ou pas du tout logées. 300 000 vivent dans la rue dont 3 000 enfants. Le double d’il y a dix ans.