3204-Éric Woerth : « Impôts, ne touchons surtout à rien »1 post
Éric Woerth :« Impôts, ne touchons surtout à rien »
LA TRIBUNE DIMANCHE - Le gouvernement Barnier s'apprête à rompre avec la politique fiscale d'Emmanuel Macron, en augmentant certains impôts. Est-ce un mal nécessaire pour redresser les comptes publics ?
ÉRIC WOERTH - La politique de l'offre a montré son efficacité. Notre majorité a baissé les prélèvements obligatoires de 60 milliards d'euros depuis 2017. Cela a contribué à réduire le chômage et à recréer des emplois notamment dans l'industrie. Qui peut vouloir casser cela ? Nous avons supprimé la taxe d'habitation et nous accepterions d'augmenter l'impôt sur le revenu ? C'est incohérent. Une telle contradiction ruinerait notre crédit aux yeux des Français. Et cela serait délétère aux yeux de nos partenaires européens comme de nos créanciers sur les marchés financiers. Il faut restaurer la confiance, c'est l'objectif le plus important. La stabilité nourrit la confiance.
Vous vous opposerez à toute hausse d'impôts ?
N'ajoutons pas de l'agitation fiscale à la situation actuelle. Malgré les efforts menés, la France a toujours le taux d'impôts, de taxes et de cotisations le plus élevé au monde en pourcentage du PIB. Je préconise de ne surtout plus toucher à rien. Le mouvement de baisse des impôts peut être temporairement mis sur pause, on peut maintenir la dernière tranche de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, par exemple. Mais j'espère que la partie fiscale du projet de loi de finances sera la plus réduite possible.
Le Premier ministre invoque « la justice fiscale » et son ministre du Budget parle d'une contribution des plus fortunés. C'est une mauvaise idée ?
Il y a déjà des mesures de justice dans la fiscalité française, c'est même sa philosophie profonde. Notre système est le plus redistributif au monde si on inclut les services publics dans le calcul des bénéfices perçus par la population. Il faut savoir ce que l'on veut : des mesures symboliques qui ne suffiront jamais à résorber le déficit ou bien des mesures qui rapportent beaucoup mais qui pèsent sur tout le monde ? Le risque, au bout du compte, est de porter atteinte aux investissements, à la croissance économique et aux créations d'emplois.
Le gouvernement mise aussi sur la lutte contre la fraude. Qu'en pensez-vous ?
Il est illusoire de penser que la lutte contre la fraude permettra de rétablir les finances publiques. La dernière étude sur le sujet estime la fraude sociale à 13 milliards d'euros. C'est important de s'y attaquer, d'utiliser l'IA pour débusquer les fraudeurs, par exemple. Mais cela ne su ra jamais à redresser vigoureusement la situation. Il s'agit tout de même de trouver 30 milliards d'euros par an pendant trois à cinq ans. Dès lors, le vrai sujet, ce sont les dépenses publiques.
Réduire la dépense, est-ce vraiment moins impopulaire qu'augmenter les impôts ?
Il ne s'agit pas d'austérité, comme je l'entends dire à gauche, mais de postérité. Ne faisons pas payer notre laxisme aux générations futures. En perdant la maîtrise des dépenses, nous perdons notre souveraineté. D'un côté, l'effort doit être maintenu sur l'éducation, la santé, tout en ayant une meilleure gestion, et sur les investissements. De l'autre, tout ce qui n'est pas prioritaire doit être révisé à la baisse. La bonne méthode est de cibler les dépenses les plus importantes. Nicolas Sarkozy avait limité à un sur deux le remplacement des fonctionnaires partant à la retraite, cela avait obligé à réfléchir au fonctionnement de l'État. Nous avions aussi réformé les retraites. S'agissant de la Sécurité sociale, il faut arrêter la dérive des arrêts maladie et surveiller les autres dépenses qui doivent être mieux pilotées. Mais on n'y arrivera pas en changeant si souvent de ministres de la Santé.
Les collectivités locales sont dans le collimateur. Les maires dépensent-ils trop ?
Ne déclarons pas la guerre aux collectivités locales. Il faut certes revoir leur financement et leur accorder davantage de responsabilités, qu'elles puissent effectuer des choix structurants, aller plus loin dans la décentralisation de manière ambitieuse. Mais le déficit de la France n'a pas à leur être reproché. J'observe, comme Bercy, que leurs dépenses ont augmenté mais, dans le solde global, elles pèsent infiniment moins lourd que les autres administrations.
Faut-il négocier à Bruxelles un délai pour redresser les comptes ?
Le gouvernement doit présenter un calendrier crédible. On a trop souvent affiché des objectifs fantaisistes ou non tenus devant nos partenaires européens. Ce n'est pas digne de la France. Si on ne peut pas tout faire en quelques jours, j'espère néanmoins que ce budget sera celui d'un renouveau, le début d'une nouvelle époque pour nos finances publiques, et aussi que l'on posera une méthodologie e cace pour réduire les dépenses et que cela convaincra tout le monde. S'il faut deux ans supplémentaires pour ramener le déficit sous la barre de 3 % du PIB, alors prenons ces deux ans mais assurons-nous d'atteindre l'objectif.
Michel Barnier aura-t-il une majorité pour éviter la censure du budget ?
Il faudrait une entente entre l'extrême gauche et l'extrême droite pour que le projet de loi de finances soit rejeté. Je n'y crois pas. Nous pouvons agir, même avec une majorité relative. Cela nécessite une discipline collective et des objectifs clairement partagés. Je pense que Michel Barnier est dans cet état d'esprit.