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 Gauche, le virage extrémiste : enquête sur les dérives de Jean-Luc Mélenchon
  • par Judith Waintraub, pour Le Figaro - mai 2022, republié par JALR
ENQUÊTE - L'ex-ministre délégué à l'Enseignement professionnel du gouvernement Jospin, revendique aujourd'hui un projet de «rupture radicale» qui l'a conduit à trahir des principes républicains aussi essentiels que la laïcité et l'égalité des sexes au profit d'une stratégie de séduction des «minorités».
 
Ce 10 novembre 2019, le laïc Mélenchon a définitivement rendu les armes. Les images du leader de La France insoumise défilant dans les rues de Paris contre l'«islamophobie» à l'appel d'associations ­islamistes de diverses obédiences sont le symbole le plus parlant de l'abandon des principes universa­listes par celui qui s'en prétendait le plus ardent défenseur.
 
En 2010 encore, réagissant aux velléités du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) d'Olivier Besancenot de présenter une femme voilée aux régionales, Jean-Luc Mélenchon condamnait le concept même d'«islamophobie» en déclarant à l'hebdomadaire ­Marianne : «En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au-devant des stigmatisations : ils se stigmatisent eux-mêmes – car qu'est-ce que porter le voile, si ce n'est s'infliger un stigmate – et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes.»
 
Onze ans plus tard, le ralliement de l'ex-député européen à l'une des thèses centrales des «décolonialistes» est salué par une experte en la matière : Houria Bouteldja, fondatrice du Parti des indigènes de la République (PIR). Dans un échange vidéo diffusé sur les réseaux sociaux, elle se réjouit de ce «butin de guerre»«On revient de loin», estime-t-elle, et pour cause : en 2017, Jean-Luc Mélenchon s'affirmait «en totale opposition avec le PIR» et reprochait à sa porte-parole son antisémitisme.
 
Mais sa conversion est-elle sincère ou de pure opportunité ? «Le Jean-Luc que j'ai connu était un grand laïc, affirme Julien Dray, député de l'Essonne quand son «camarade» socialiste en était sénateur et qui a fondé avec lui le courant de la Gauche socialiste au sein du PS. Il était très imprégné par son appartenance à la franc-maçonnerie, il a été au cœur de la bataille de 1983 pour la loi Savary sur l'école privée. Par ailleurs, il s'entendait très bien avec les représentants de la communauté juive à Massy.»
 
Que s'est-il passé ? Le fondateur de SOS Racisme – à l'époque où le mouvement militait pour le «droit à la ressemblance» et pas à la «différence» – n'exclut pas que Jean-Luc Mélenchon ait été influencé par «les sphères d'extrême gauche qu'il s'est mis à fréquenter quand il a commencé à s'éloigner du PS, en 2008» : «Il est allé les voir un par un, en prenant le temps de les écouter, comme il fait toujours. Il se peut qu'il ait intégré certains aspects de leur idéologie.» L'extrême gauche de ces années est déjà imprégnée par l'indigénisme, le wokisme et l'antisionisme, nouvel habit de l'antisémitisme. Elle n'a plus grand-chose à voir avec l'Organisation communiste internationale (OCI), le groupuscule trotskiste où le jeune étudiant bisontin a fait ses premières armes en 1969.
«L’ancien militant socialiste a trouvé dans les révolutions en Amérique latine la confirmation qu'il ne fallait plus compter sur la social-démocratie pour changer la société.»
Discours antiflics
Mais pour Julien Dray, ce qui séduit Jean-Luc Mélenchon, c'est surtout la «radicalité» de cette mouvance, qu'il a retrouvée aussi dans les révolutions en Amérique latine«Il y est beaucoup allé et ça l'a confirmé dans sa conviction que la social-démocratie était morte, qu'il fallait une rupture radicale, se souvient l'ex-député de l'Essonne. Et quand on faisait remarquer qu'il défendait parfois des méthodes pas très démocratiques – parce qu'à l'époque, on pouvait encore lui parler ! –, il nous faisait comprendre qu'il n'en avait rien à faire, que la fin justifiait les moyens.»
 
Les emprunts à l'indigénisme, discours «antiflics» compris, sont surtout, pour La France insoumise, le moyen de toucher un public qui ne s'intéresse pas aux partis traditionnels. Le théoricien de cette stratégie est Éric Coquerel, député sortant de Seine-Saint-Denis. Lui aussi vient du trotskisme. Le 18 novembre 2018, après la déception de 2017, il organise les Rencontres nationales des quartiers populaires, à Épinay-sur-Seine, dans son département. «Je suis persuadé que les 600.000 voix qui nous ont manqué pour accéder au second tour de la présidentielle sont là, expliquait-il à LibérationJe me suis alors dit qu'il était hors de question d'attendre les prochaines ­élections pour y revenir.» Quand il arrive à la tribune d'Épinay, Jean-Luc Mélenchon désigne l'auditoire : «Voici la nouvelle France, celle sur laquelle nous nous appuierons pour construire et faire tout ce qu'il y a à faire dans ce pays demain, tout changer !»
La date de ces rencontres ne doit rien au hasard : elles visent aussi à donner un coup de pouce à Farida Amrani à la législative partielle en Essonne, dont le premier tour a lieu le même jour. La candidate de La France insoumise a été battue par Manuel Valls un an auparavant, malgré le soutien de Dieudonné et de figures de l'indigénisme littéraire et universitaire. La campagne a été d'une violence inouïe contre l'ancien premier ministre, dont le discours sur la sécurité, sur l'immigration et sur les principes républicains est honni par LFI. Ce climat n'est sans doute pas pour rien dans sa décision de quitter la France et de laisser son ami Francis Chouat briguer – et remporter – sa succession à l'Assemblée nationale. De nouveau candidat en juin, cette fois dans la 5e circonscription des Français de l'étranger (Espagne, Portugal, Andorre et Monaco) et avec le soutien d'Emmanuel ­Macron, Manuel Valls n'a pas changé d'avis sur le «mélenchonisme», qu'il accuse de porter un projet de «rupture républicaine».
 
Changement de cible
 
L'entreprise de séduction des «quartiers populaires», selon la terminologie en vigueur à LFI, a commencé avant même 2017, grâce à Éric Coquerel, à Danièle Obono et à d'anciens étudiants à Sciences Po comme la toute-puissante «coordinatrice du programme» Clémence Guetté et comme Mathilde Panot, qui a imaginé les «caravanes des quartiers populaires» pour aller draguer les jeunes issus de l'immigration sur leur terrain. Ils ne font, en fait, que mettre en œuvre les préconisations de la note publiée en 2011 par le think tank Terra Nova, proche du PS : ne plus essayer de ­reconquérir l'électorat ouvrier, qui a basculé vers le Front national, mais s'adresser aux «minorités», «aux ­jeunes, aux femmes et aux Français d'origine immigrée».
 
Georges Kuzmanovic, qui a quitté LFI en 2018 après son éviction de la liste pour les européennes, n'a découvert ce changement de cible qu'après la présidentielle de 2017 : «Je suis tombé sur une déclaration de soutien de Danièle Obono à une réunion “afro” en non-mixité raciale. On a ­décidé d'en parler à Jean-Luc Mélenchon. Sa réaction a été très claire : il m'a dit “c'est inadmissible, ce n'est pas la ­République !”.» Le chef s'est indigné à huis clos, mais jamais il n'a désavoué publiquement la députée. Son «en même temps» à lui.
 
Jamais, non plus, il n'a eu un mot de soutien pour Georges Kuzmanovic, qui fut responsable de son service d'ordre avant de devenir son conseiller aux affaires internationales. Le géopolitologue a publié une tribune pour expliquer les raisons de son départ de LFI. Il y fustige «le choix de ne s'appuyer, parmi les classes populaires, que sur “les quartiers”», qui «a amené la FI à laisser s'installer une approche quasi communautariste, proche du modèle anglo-saxon et profondément contraire au républicanisme français»,«la complaisance des segments gauchistes de la FI à l'égard des thèses indigénistes, le mépris affiché pour les forces de l'ordre, la négation du problème posé par l'islamisme et le refus de regarder en face les défis posés par l'immigration».
 
Antisémistisme
«La vraie raison de mon éviction, c'est que je refusais de faire primer le sociétal sur le social, estime Georges Kuzmanovic, qui a depuis fondé son propre mouvement, République souveraine. Et quand je vois l'évolution de Jean-Luc Mélenchon depuis cette tribune, je suis surpris de constater à quel point j'avais raison. Par électoralisme, il a même flirté avec la ligne rouge de l'antisémitisme en 2019 et 2020.»
 
Avant de jeter l'éponge, Georges Kuzmanovic a essayé avec François Cocq, qui sera également évincé des européennes, de s'opposer à la stratégie d'«essentialisation et de victimisation des musulmans» pilotée par le tandem Coquerel-Panot : «On leur a dit qu'il y a plein d'exemples de réussite, que les classes moyennes musulmanes n'ont pas envie que les “barbus” leur disent quoi faire…» Plutôt que de leur répondre, les dirigeants de LFI ont tenté de discréditer Georges Kuzmanovic en l'accusant d'avoir tenu des «propos sexistes» au cours d'une réunion particulièrement houleuse.
 
Accusations de harcèlement
 
Quand on veut tuer son chien… Thomas Guénolé a, lui aussi, été la victime de ce qui apparaît comme une méthode éprouvée de LFI pour faire taire la contestation interne. Dans le cas du politologue, qui a fondé l'école de formation de La France insoumise, l'affaire est allée plus loin puisqu'il a été accusé de «harcèlement sexuel» sur une de ses étudiantes de Sciences Po même pas membre du mouvement. Les proches de Jean-Luc Mélenchon voulaient se débarrasser d'une figure connue du grand public qui dénonçait à voix haute le fonctionnement «antidémocratique» de LFI. Danielle Simonnet, candidate aux législatives à Paris, s'était érigée en procureur général. Thomas Guénolé a fini par saisir la justice : «Elle a confirmé qu'il n'y avait pas matière à m'accuser, mais elle a reconnu à Danielle Simonnet le bénéfice de la bonne foi, donc je me suis pourvu en cassation»,résume-t-il.
 
Dans le livre La Chute de la maison Mélenchon (Albin Michel, 256 p., 19 €) qu'il a consacré à sa mésaventure, il décrit un Jean-Luc Mélenchon qui se conduit en «autocrate», à la tête d'une machine conçue pour le servir. La France ­insoumise, que son créateur a voulue «gazeuse», par opposition aux partis traditionnels, s'en distingue surtout par son absence totale de démocratie interne. «Il n'y a jamais de vote pour départager les lignes, ni sur les grands changements de stratégie, accuse Thomas Guénolé. Il n'est pas non plus possible de débattre et de voter librement des amendements au programme, sur lequel Clémence Guetté a la haute main. Manuel Bompard est statutairement dirigeant à vie de LFI. Paul Vannier distribue en ce moment les investitures aux législatives sans qu'on sache sur quels critères.»
«La France insoumise est dirigée par le tandem Mélenchon-Chikirou, dont les consignes sont exécutées par une garde rapprochée peu soucieuse de procédures démocratiques.»
Pas d'adhérents
 
Cerise sur le gâteau, LFI n'a pas d'adhérents. Un clic suffit pour s'en dire membre, un non-statut qui n'ouvre donc aucun droit. Jean-Luc Mélenchon dirige le mouvement avec l'omniprésente Sophia Chikirou, et avec les membres de l'association de financement du parti, sa trésorière Marie-Pierre Oprandi et Benoît ­Schneckenburger, son chef de la sécurité. À côté de ces «historiques», les «chouchous» politiques se succèdent – il ne faudrait pas que l'un d'eux s'imagine en dauphin ! Personne n'est intouchable, comme l'a prouvé la mise à l'écart de Charlotte Girard, «pressentie comme tête de liste aux européennes et placardisée dès lors qu'elle s'est alarmée de la présence de ­Sophia Chikirou dans le dispositif de campagne», écrit Thomas Guénolé. Elle était pourtant la veuve de François Delapierre, que Jean-Luc Mélenchon considérait comme son fils spirituel.
 
Le promoteur de la «VIe République» a aussi une conception très particulière du rôle de la presse. En 2016, sur son blog, il avait traité d'«assassin repenti» un ex-journaliste du Monde dont il n'avait pas apprécié les articles sur le régime Chávez au Venezuela. En 2018, furieux d'une enquête de Radio France sur les affaires liées à sa campagne, Jean-Luc Mélenchon avait désigné ses auteurs à la vindicte militante dans une vidéo :«Les journalistes de France Info sont des menteurs, sont des tricheurs ! Ils ont l'air de ce qu'ils sont, c'est-à-dire d'abrutis. Pourrissez-les partout où vous pouvez.» Poursuivi par ses victimes et condamné dans les deux cas, le leader de La France insoumise a fait appel.
 
Caricatures
 
En septembre 2020, un contentieux d'une autre nature l'a opposé à Charlie Hebdo . L'hebdomadaire a consacré sa une du 16 au procès des attentats de janvier 2015, qui démarrait. Avec des caricatures d'Edwy Plenel, Jean-Luc Mélenchon et Tariq Ramadan, tiges de tests PCR dans le nez et cette ­légende : «Plutôt “Charlie” ou ­Kouachi ? On attend les résultats !» «Je ­déplore que Marianne et Charlie soient devenus les bagagistes de Valeurs actuelles, a réagi le chef de LFI dans La Provence. Je les aimais bien […]. Maintenant, ils favorisent une manière de traiter la question du regard raciste qui encourage les débordements.»◾


03/07/2023
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