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«En cas de renversement du régime des mollahs en Iran, le chaos ou l’effet domino ?»
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par Edouard Tétreau, pour Le Figaro - juin 2025
En signant le premier grand échec de l’islamisme politique mondial, la possible chute du régime en place à Téhéran apporterait de grands bénéfices, estime l’essayiste.
Et si nous étions à l’aube d’une nouvelle ère de paix et de prospérité mondiales, totalement inattendue ? Le monde n’a jamais été aussi proche de la troisième guerre mondiale et du triomphe des dictatures sur les démocraties. L’usine à morts de la Russie poutinienne tourne à plein régime en Ukraine (1300 morts et blessés par jour, pour un front figé), où les missiles comme les drones iraniens Shahed tuent les civils par dizaines. Dans un ordre croissant du nombre de victimes, les 50.000 morts de Gaza pris en otages entre le Hamas et l’armée israélienne, le génocide silencieux des Ouïgours en Chine (stérilisation des femmes, incarcérations par millions), les massacres au Soudan (des dizaines de milliers de morts, 13 millions de personnes déplacées, 25 millions au bord de la famine) n’incitent pas à l’optimisme. Les dictatures nord-coréenne et vénézuélienne semblent aussi solidement établies que les militaires chinois s’entraînent désormais quotidiennement à l’invasion en apparence inéluctable de Taïwan.
Tout cela est vrai. Mais, depuis quelques jours, avec la décapitation de la chaîne de commandement iranien et la destruction du potentiel militaire et du programme nucléaire iranien, initiées par les Israéliens, une possibilité nouvelle émerge. Celle de la théorie des dominos - une théorie américaine du XXe siècle selon laquelle la chute d’un pays dans le communisme entraînerait les autres (notamment en Asie du Sud-Est, cf. la guerre du Vietnam). Mais une théorie des dominos à la façon du XXIe siècle, selon laquelle la chute d’une dictature, islamique de surcroît, pourrait entraîner d’autres dictatures dans sa chute, ainsi que le terrorisme et le fondamentalisme islamistes.
«L’échec de la République islamique signerait le premier grand échec de l’islamisme politique mondial»
Cette possibilité émerge ces jours-ci à Téhéran, où Israël, ne pouvant accepter la menace existentielle d’une bombe atomique aux mains des mollahs, a décidé d’agir, et les États-Unis de suivre. On tentera d’ignorer, avec un sentiment de colère et de honte mêlés, les lamentables décisions et déclarations présidentielles françaises à ce sujet (boycott des industriels israéliens au Bourget, discours alarmiste sur le «chaos» en cas de renversement du régime iranien), pour se concentrer sur un motif d’espoir. Celui de voir, à l’instar de la chute du mur de Berlin en 1989 puis de l’URSS, l’effondrement du régime des mollahs, qui a propagé le cancer islamiste dans le monde depuis 1979, et favorisé, partout où cela était possible, les dictatures hostiles à l’Occident. Qui, aujourd’hui, achète 90 % du pétrole iranien, donnant à ce régime assassin, tueur de la liberté de ses femmes, les moyens de sa prospérité ? La Chine de Xi Jinping. Qui, depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, fournit la Russie poutinienne en missiles, drones, et engins de mort de toutes sortes ? L’Iran de Khameinei. Qui sont les principaux alliés, militaires et stratégiques, de ce pays où furent exécutés sommairement 1.000 civils dans ses prisons, en 2024 ? La Corée du Nord de Kim Jong-un, et le pays modèle de La France insoumise - le Venezuela du dictateur Maduro, sa famine et ses nervis.
On peut, comme le président de la République française, faire de la rhétorique et s’inquiéter du chaos qui arriverait en Iran en cas de renversement du régime, comme cela a été le cas en Irak, en Libye, ou plus récemment en Syrie - en rappelant que son actuel dictateur, Ahmed al-Charaa, dont l’organisation planifia les attentats du Bataclan, fut reçu en grande pompe à l’Élysée le 7 mai 2025.
«Les mollahs disparus, c’est aussi moins de devises pour la Corée du Nord ; moins de cash pour le Venezuela.»
Il y a un temps pour tout, et le temps actuel n’est plus celui de la diplomatie peureuse, stérile et bavarde, mais celui de l’action. C’est aussi le temps de l’espoir. Il faut mesurer les très grands bénéfices qu’apporterait un tel renversement. L’échec de la République islamique signerait le premier grand échec de l’islamisme politique mondial. Il fragiliserait, par contagion, ses deux principaux partenaires stratégiques : la Russie, qui devrait se fournir ailleurs en armes ; et la Chine, qui a un besoin vital de ce pétrole, au moment où son économie est si endommagée qu’elle n’ose plus publier les statistiques du chômage de ses jeunes (sans doute 25 %). Les mollahs disparus, c’est aussi moins de devises pour la Corée du Nord ; moins de cash pour le Venezuela.
La France a encore une dette à régler vis-à-vis du peuple iranien
Que pouvons-nous faire, là où nous sommes ? Faire des commentaires à contretemps sur le match qui se joue ? Ou reconnaître qu’Israël et les États-Unis, démocraties certes très imparfaites dirigées par des leaders inquiétants sur de nombreux plans, œuvrent de façon déterminée pour le camp des démocraties et des pays libres, contre les dictatures et les théocraties ?
Osera-t-on enfin rappeler que la France a encore une dette à régler vis-à-vis du peuple iranien, qui souffre depuis bientôt un demi-siècle sous la férule des mollahs ? C’est nous, et personne d’autre, qui avons accueilli et hébergé Khomeyni à Neauphle-le-Château entre 1978 et 1979.
L’humble réalité de notre dénuement stratégique et militaire nous oblige à reconnaître que nous n’avons ni les moyens, ni la vocation d’être cobelligérants dans ce conflit. Mais à tout le moins, reconnaissons, comme a pu le faire le leader allemand Friedrich Merz, qu’Israël, et, depuis samedi soir, les États-Unis, font aujourd’hui «le sale boulot pour nous tous». Et que, en cas de chute du régime des mollahs et d’un effet domino sur les autres dictatures, le terrorisme islamiste et le fondamentalisme religieux, les tartufes de la diplomatie de la lâcheté n’auront pas leur place à la table des vainqueurs. C’est pourtant la vocation de la France d’œuvrer activement pour les démocraties et la liberté dans le monde. Il faudra attendre 2027 pour espérer reprendre ce fil.

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Illustration : Édouard Tétreau. © Jean-Christophe MARMARA / Le Figaro