ENTRETIEN. Défaite de Louis Boyard : pourquoi LFI est un "tigre de papier électoral", selon le sondeur Frédéric Dabi

     
     
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    l'essentiel Pour Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop, la défaite de l’Insoumis Louis Boyard aux municipales anticipées de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) illustre l’incapacité de la gauche radicale à rassembler au-delà de son propre électorat. Elle met également en lumière les limites de la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, centrée sur la jeunesse et les quartiers populaires.

     

    Comment interprétez-vous la défaite de Louis Boyard aux élections municipales de Villeneuve-Saint-Georges ?

    D’abord, il faut rappeler qu’une élection locale, surtout une partielle, ne doit pas être systématiquement traduite à l’échelle nationale. Ces scrutins enregistrent souvent une faible mobilisation, bien que, dans ce cas précis, avec 40 % de participation, on soit dans une fourchette plutôt élevée pour ce type d’élection. Cela dit, après les échecs de LFI en Ariège, en 2023, en Isère il y a trois semaines, et maintenant à Villeneuve-Saint-Georges, on peut se demander si le mouvement n’est pas un "tigre de papier" électoral (expression de Mao Zedong désignant quelque chose de menaçant en apparence, mais en réalité inoffensif, NDLR).

     

     

    Frédéric Dabi, directeur général de l’institut de sondage Ifop.
    Frédéric Dabi, directeur général de l’institut de sondage Ifop. AFP - BERTRAND GUAY

     

    Quels enseignements tirer de ce scrutin ?

    Trois constats majeurs se dégagent. Premièrement, la marque LFI semble devenir un véritable repoussoir pour une majorité de Français. Ce phénomène n’est pas nouveau : de nombreux sondages l’ont déjà mis en lumière. Lorsqu’un candidat Insoumis accède au second tour, l’élection se transforme souvent en un référendum "pour ou contre LFI". Cela rappelle le concept de "vote d’élimination" défini par Guy Mollet : au premier tour, on choisit ; au second, on élimine. Villeneuve-Saint-Georges devait être un bastion naturel pour LFI, avec une sociologie favorable, mais cela n’a pas suffi. Ce blocage rappelle celui qu’a longtemps connu le Rassemblement National, qui ne pouvait l’emporter qu’en cas de triangulaire. La différence ici, c’est que LFI n’y parvient même pas dans ce contexte.

     

    Deuxièmement, la stratégie de Jean-Luc Mélenchon, axée sur la jeunesse et les quartiers populaires, montre ses limites. Même dans une ville où ces électorats sont très présents, la mobilisation a été insuffisante. Ce problème est accentué par le fait que les Insoumis disposent de peu d’élus locaux, contrairement à d’autres formations de gauche qui bénéficient d’un ancrage territorial plus fort.

     

    Enfin, ce scrutin met en évidence un décalage entre la stratégie de LFI et les attentes des Français vis-à-vis d’un maire. Un élu local est avant tout jugé sur sa capacité à améliorer concrètement le quotidien des habitants. Or, LFI semble davantage axé sur le militantisme et les postures symboliques que sur la gestion municipale. La communication sur les réseaux sociaux ou la participation à des manifestations ne suffisent pas à convaincre un électorat en attente de solutions tangibles.

     

    Quelles conséquences pour les scrutins nationaux à venir ?

    Elles sont peu encourageantes pour LFI. La stratégie de Jean-Luc Mélenchon peut fonctionner lors d’une présidentielle, mais elle se heurte à l’exigence de rassemblement nécessaire pour remporter d’autres types de scrutins. Les échecs répétés en Isère, en Ariège et maintenant à Villeneuve-Saint-Georges illustrent à quel point LFI peine à convaincre au-delà de son socle militant.

     

    De plus, ce scrutin confirme que les Français font une distinction claire entre les différents types d’élections. Un électeur peut soutenir LFI à la présidentielle, où l’incarnation et la radicalité peuvent être des atouts, tout en rejetant le même parti dans des élections locales, où la gestion pragmatique prime. LFI semble incapable de résoudre cette contradiction.

     

    Que pensez-vous des attaques de LFI contre les autres forces de gauche, accusées d’avoir "refusé le rassemblement" ?

    Cet argument est très faible. Il faut rappeler que la liste d’union PCF-EELV-PS s’était retirée et avait appelé à battre la droite. En niant la défaite, LFI adopte une posture quasi sectaire, refusant d’admettre toute remise en question interne. La réaction de François Ruffin, qui a comparé la situation au roman 1984, en est une illustration. Cela montre que LFI n’a tiré aucun enseignement de ses précédents revers électoraux.