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Comment résister à un tel matraquage quotidien?
Jacques COSQUER
Visitez donc cette compilation de titres de presse publiés sur une quinzaine de jours depuis la nomination de François Bayrou à Matignon (13 décembre 2024). Elle conduit à un funeste constat: titraille rime richement avec mitraille. Troublante analogie. N’est-il pas stupéfiant ce tir de barrage médiatique auquel se livre la caste éponyme? Mesure-t-on l’effet sur l’opinion de ce mitraillage continu, quotidien, 24h sur 24, jour après jour, 365 jours par an? Sachant qu’il faut rajouter à ces quelques publications-échantillon, les contributions tapageuses des journaux mainstream, papier, radio et télé, matin, midi et soir, ainsi que le rabâchage appliqué des chaines dites d’information en continu, radios et télés, sans oublier les contributions souvent frustes des réseaux dits sociaux. L’ensemble constitue un tir de barrage monstrueux, permanent, contre les gouvernants, quels qu’ils soient; une sorte de credo antigouvernemental qui n’a rien à envier au prosélytisme religieux par son aspect massif, insistant, incessant. À compulser cette litanie de quasi «copiés-collés» on prend la mesure de l’esprit grégaire qui soude la corporation, comme si les rédactions étaient composées de clones interchangeables à l’infini; chaque rédaction dans son silo, supposée en concurrence avec d’autres silos, mais se montrant incapable de déployer son activité en dehors du cadre routinier, d’élever sa pratique au-dessus du registre étriqué de la mystique corporatiste: le dénigrement a priori, permanent, des gouvernants.
Ils aiment la violence les journalistes
Auréolées du prestige qu’elles-mêmes accordent à leur carte de presse et, bien à l’abri dans cette posture qu’elles squattent volontiers, en surplomb de la société (dont elles vivent cependant), les têtes de gondole journalistiques se délectent, lorsque l’occasion se présente (lors des manifs notamment), d’images de violences (présumées policières naturellement), pour mieux faire la leçon aux gouvernants. Les choses sont si simples: dans l’univers culturel étriqué qui caractérise le milieu, la société est divisée en deux catégories. D’un côté les gouvernants et de l’autre tous les autres, lesquels composent l’armée des victimes (quasi synonyme de citoyen dans la vulgate journalistique); victimes assurément mais chacun pour son compte exclusivement, chaque groupe, corporation, lobby, syndicat se plaçant au centre du monde et, de ce point de vue imprenable, s’efforçant d’ignorer la pléiade d’autres demandes victimaires afin de demeurer sinon la victime exclusive, du moins la victime prioritaire.
S’il y a violence sur la voie publique c’est donc la faute aux gouvernants, par essence, puisque les manifestants sont des victimes, par définition. Et, comme des Mélenchon ou des Le Pen en goguette, les journalistes patentés se prennent d’affection pour les victimes, n’ayant de cesse à ce titre de faire la leçon aux gouvernants. Au point qu’il est devenu impossible dans le pays de distinguer un discours journalistique d’un discours d’opposant politique professionnel. Mais, curieusement, quelque chose échappe totalement à la corporation: sa propre violence. Elle ne voit pas le rôle qu’elle joue dans les interactions sociales; l’illusion probablement de se considérer comme un observatoire neutre, en surplomb de la société; comme si elle n’avait aucune responsabilité dans la fabrication de l’opinion; comme si le rôle de porte-voix de la multitude des gentils lobbies et des valeureux syndicats face aux méchants gouvernants saturait en soi l’activité journalistique; comme si, une fois proclamée la revendication du jour (chaque jour la sienne, soit 365 priorités par an, sans que jamais la moindre vision d’ensemble ne soit esquissée), comme si une fois proclamée la revendication du jour, il n’y avait plus rien à dire, mais qu’il restait juste aux gouvernants à s’exécuter en réponse aux admonestations journalistiques.
Pas de liberté d'expression sans responsabilité d'informer
De quelle manière se sentent-ils concernés, les journalistes mainstream, par les enjeux qui travaillent une société complexe et à laquelle pourtant ils appartiennent? Est-ce que le travail d’information ne pourrait consister, aussi, à éclairer les orientations et les décisions des gouvernants dans leur complexité, à les insérer dans le faisceau des contingences du monde vivant (économiques, énergétiques, environnementales, diplomatiques…), à rechercher et exposer les contraintes qui ont conduit à ce compromis-là, à ce moment-là, dans ces circonstances-là (dans une société complexe toute décision d’intérêt général est une élaboration composite née de compromis), à rechercher et exposer les obstacles à surmonter, les limites perceptibles, les effets secondaires potentiels indésirables, au lieu de la dissoudre, la complexité, dans un catalogue inépuisable de revendications qui par définition ne seront jamais satisfaites? En quoi un gouvernement issu d’un processus électoral ne représenterait-il pas, dans une démocratie, l'expression de la recherche de l’intérêt général? En quoi l’interminable catalogue de revendications corporatistes et partisanes au fil des mois exprimerait davantage l’intérêt général qu’une option gouvernementale élaborée dans la confrontation de plusieurs scénarios? En quoi la liberté d'expression pourrait-elle s'affranchir de la responsabilité d'informer?
Cet échantillon, ci-dessous, n’a évidemment aucun caractère exhaustif. La cinquantaine de copies d’écran de «unes» d’origines variées (presse papier, radios, télés, médias en ligne) n’est qu’une illustration. L'effet de masse est terrible et induit ce constat: les violences médiatiques n’ont rien à envier aux violences urbaines. Elle est tout de même étrange cette atmosphère qui s’est installée dans notre démocratie, à bas bruit au commencement puis progressivement portée au paroxysme tapageur qu’on lui connait depuis quelques années, portée par des titulaires de carte de presse dont l’assurance souveraine en toutes circonstances leur fait miroiter l’illusion d’occuper une position, non pas au sein de la société dont ils vivent, mais en surplomb d’icelle, comme si le fait de n’avoir jamais rien «fait», le fait de n’avoir aucune responsabilité (autre que la gestion de leur carrière) constituait un brevet de compétences universelles.
Ils ont un avis sur tout les journalistes, y compris dans les domaines où leur ignorance manifeste devrait les inviter à une certaine humilité; ils ont surtout des avis. Enfermés dans leur vision étriquée de la société, nourris de platitudes et de lieux communs justifiés par la nécessité de ne pas éloigner l’auditeur-téléspectateur ils tancent, ils sermonnent, ils dénigrent, ils vitupèrent, ils stigmatisent les gouvernants avec acharnement; armés de cette bonne conscience et de la confiance que procure la traque en meute.