2122-Comment Réformer le "mamouth" ? 2 posts

«Faire de chaque école un lieu où les parents n’auront plus peur d’envoyer leurs enfants»

  • par Madeleine Bazin de Jessey, pour Le Figaro - janvier 2023
TRIBUNE - Pap Ndiaye a présenté ses «exigences» pour réformer l’Éducation nationale. La professeur agrégée de lettres estime que l’on ne résoudra pas les défaillances du système scolaire avec des expérimentations hasardeuses et des ajustements partiels. Et appelle le ministre à une véritable refondation.
 
Dans une tribune dernièrement publiée par Le Monde, Pap Ndiaye présente les trois «exigences» qui seront au cœur de son action pour réformer l’Éducation nationale, cette «formidable institution, bien éloignée de la fameuse caricature du “mammouth”». Si les mesures pour y parvenir ne sont pas encore clairement précisées, nous pouvons y deviner certaines orientations, et en tirer quelques questionnements.
 
La première exigence consiste à relever le niveau des élèves dans les matières fondamentales«Les tests en orthographe, en lecture, en calcul, en langues vivantes indiquent qu’il faut encore insister sur les enseignements fondamentaux, en particulier en CM1, CM2 et sixième.» Si nous ne pouvons qu’approuver l’idée de recentrer l’école sur ses fondamentaux, ces lignes laissent craindre un écueil dans lequel les ministres de ces dernières années se précipitent dès leur entrée en fonction: concentrer l’essentiel de leurs réformes sur le collège et le lycée et négliger les premières classes du primaire (maternelle, CP, CE1 et CE2), où l’essentiel se joue pourtant. Hélas, en sixième, «il est déjà trop tard» pour un nombre conséquent d’élèves, pour reprendre le triste aveu qu’une collègue me glissait alors que je commençais tout juste ma carrière d’enseignante en collège public, et que j’ignorais encore l’ampleur du désastre orthographique, grammatical et syntaxique dans lequel l’institution accule aujourd’hui impunément une majorité de jeunes Français - voilà du reste une cause pour laquelle ils seraient fondés à porter collectivement plainte.
 
Du fait de fondamentaux mal ou insuffisamment enseignés, les retards engrangés sont parfois si considérables à l’entrée au collège que le professeur est saisi de vertiges: comment combler le retard des élèves les plus faibles sans ralentir ceux qui sont encore au niveau et ne demandent qu’à progresser? Gérer efficacement de tels écarts au sein d’une seule et même classe sans sacrifier personne se transforme bientôt en véritable tonneau des Danaïdes et décourage à petit feu certaines vocations d’enseignant, présentes et à venir. Ce n’est donc pas d’abord au collège ni à la période charnière entre cours moyens et sixième qu’il serait nécessaire de s’atteler en priorité, si importante soit-elle, mais à la façon (taux horaires, méthodes, objectifs, formation…) dont les fondamentaux sont dispensés dès les petites classes du primaire, notamment lorsqu’on sait à quel point ils sont depuis des années rognés par des matières moins essentielles. On observe à ce sujet que Pap Ndiaye a jugé bon d’inclure les langues étrangères parmi les fondamentaux, au même titre que le français et les mathématiques: sans nier son utilité, on peut toutefois considérer que l’apprentissage d’une langue vivante en primaire est moins prioritaire que celui du français. Comment former de bons linguistes lorsque les bases de conjugaison et de grammaire françaises, si essentielles dans l’apprentissage des langues étrangères, sont aussi branlantes?
 

«Sur l’égalité des chances et la mixité sociale, le ministre laisse deviner essentiellement des mesures contraignantes, notamment dans la refonte de la carte scolaire.»

 
On touche également du doigt un autre problème que Pap Ndiaye est sans doute le moins susceptible de dénoncer: l’impossibilité d’établir des classes de niveau au collège, au nom du sacro-saint principe d’égalité, alors même que l’absence de telles classes bride le talent des élèves les plus scolaires sans permettre d’aider en profondeur ceux qui sont en difficulté: le résultat, c’est une égale médiocrité pour tous, et un abaissement progressif du niveau scolaire. Est-ce là ce que nous voulons pour nos enfants? Est-ce ainsi que nous pourrons à nouveau faire de l’école ce tremplin social et républicain qu’elle a si formidablement été jusqu’aux années 1960? À une école globalisatrice et médiocratique qui s’interdit d’enseigner des savoirs exigeants à ceux qui sont capables de les recevoir par crainte de léser les plus faibles - et qui, ce faisant, finit par léser tout le monde -, je préfère une école qui tienne davantage compte des rythmes, intelligences et capacités différenciés de ses élèves.
 
Chantier colossal, situation ubuesque
 
La deuxième exigence de Pap Ndiaye concerne l’égalité des chances et la mixité sociale. Le ministre laisse deviner essentiellement des mesures contraignantes, notamment dans la refonte de la carte scolaire. Sans remettre en question la nécessité d’une plus grande mixité sociale dans nos établissements, publics comme privés, on peut émettre l’interrogation suivante: le meilleur moyen d’assurer une réelle égalité des chances consiste-t-il d’abord à imposer aux parents telle école pour leur enfant ou à faire de chaque école un lieu où les parents n’aient plus peur d’envoyer leurs enfants et où chaque écolier aurait une chance de réussir?
 
L’État ne devrait légitimement imposer un établissement à des parents que s’il est par ailleurs capable de garantir que leur enfant y sera en sécurité et tiré vers le haut. C’est à ce prix seulement que la mixité redeviendra une réalité. Or on s’étonne de ne trouver dans la tribune de Pap Ndiaye aucune mention de la lutte contre les violences scolaires. Soyons honnêtes: si les parents qui le peuvent évitent la carte scolaire, c’est d’abord parce que certaines écoles publiques ne sont plus tenues, depuis bien longtemps, et qu’y sévissent impunément face à de jeunes enseignants envoyés au casse-pipe des élèves perturbateurs qu’on se «refourgue» commodément d’établissement en établissement, pour le plus grand malheur de tous.
 
Enfin, la troisième exigence concerne la gestion des enseignants. Le chantier s’annonce colossal, tant la situation est ubuesque. Devenir enseignant, c’est en effet consentir à ne recevoir son emploi du temps que le 1er septembre - au diable l’organisation des modes de garde pour ceux qui ont des enfants en bas âge! C’est honorer des réunions parents-professeurs tôt le matin, avant les cours, ou tard le soir, après ceux-ci, sans le moindre dédommagement ; c’est attendre parfois près de quatre mois avant d’être payé en cas de changement de situation, être confronté à un système arbitraire et rigide qui peut à loisir vous empêcher de muter lorsque vous en auriez besoin, ou vous affecter à plusieurs dizaines, voire centaines, de kilomètres de chez vous, sur parfois deux ou trois établissements différents, sans solution de transports en commun et sans dédommagement des frais de carburant… Le tout pour le salaire qu’on connaît. Dérisoires, voilà ce que nous sommes au sein de cette vaste gabegie.
 
Plus d’humanité, de reconnaissance, d’efficacité, et moins de mépris: telle est donc la réforme structurelle qui attend Pap Ndiaye - par-delà les discours de façade, les expérimentations hasardeuses et les ajustements partiels qui ont prévalu jusqu’ici — et pour laquelle nous lui souhaitons, malgré nos réserves, bien de la réussite et du courage. Car, jusqu’à nouvel ordre, les ministres passent et le mammouth demeure.


13/01/2023
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