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Comment la gauche française s’est «trumpisée»
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par Brice Couturier, pour Le Point - septembre 2024
Non, la gauche n’a pas «gagné les législatives» ; oui, elle a empêché la nomination d’un social-démocrate à Matignon. Le NFP a montré son visage, celui d’une union bancale des mauvais perdants.
La trumpisation de la gauche française constitue l'un des phénomènes les plus navrants de la séquence que nous venons de traverser. Toutes nos démocraties sont victimes, à des degrés divers, d'un phénomène d'hystérisation du débat public qui les fragilise face à leurs antagonistes. Mais lorsque le simple constat des faits est refusé, que leur sont opposés des prétendus «faits alternatifs», la conversation démocratique devient problématique. Et désigner un gouvernement, accepté de tous, relève de l'exploit.
Il y eut d'abord ce mépris des chiffres qui a propulsé le soi-disant Nouveau Front populaire dans un monde virtuel où il aurait «gagné les élections» puisqu'«arrivé en tête». À force d'être serinée soir et matin par des médias complaisants, cette idée fausse s'est installée dans les esprits.
La France a rarement été aussi à droite
La vérité, c'est que le pourcentage des voix recueillies lors des dernières élections législatives par l'alliance concoctée sous la férule de l'agitateur Mélenchon, avec la complicité des rescapés du naufrage communiste, des écologistes «wokisés» et d'un PS proche de l'agonie politique, est l'un des plus faibles jamais enregistrés par l'ensemble des partis de gauche durant toute la Ve République.
Aux élections législatives de juin 1981, celles qui ont donné le pouvoir à la gauche, les trois partis (PS, PCF, MRG) obtenaient 54,42 % des voix au premier tour et 56,75 % au second. Cette fois, le NFP n'a recueilli que 28,6 % des voix au premier tour et 25,68 % au second. Moins de la moitié.
Le 30 juin, le parti arrivé en tête était le Rassemblement national (33,22 %), qui semblait aux portes du pouvoir. C'est pour conjurer ce risque que les autres forces politiques ont décidé de mettre en place un barrage au deuxième tour. La gauche en a bénéficié, puisqu'avec un quart des suffrages, elle a obtenu un tiers des députés. «Si l'on fait le total de toutes les droites, c'est 47 %», estimait le politologue Dominique Reynié au lendemain du deuxième tour. En réalité, le pays a rarement été aussi à droite. Dans ce contexte, réclamer l'application du «programme du NFP, rien que ce programme et tout ce programme», comme l'a fait aussitôt Mélenchon, témoignait d'une impudence trumpiste.
La «tradition» voudrait que le parti arrivé en tête obtienne la formation du gouvernement ? Oui, certes, dans le cadre bipartite que nous avons connu jusqu'à la «disruption» macronienne. Matignon est revenu à Chirac en 1974, parce qu'au sein de l'union victorieuse de la droite et du centre, son parti, le RPR, était arrivé en tête. Pierre Mauroy est devenu Premier ministre en 1981, parce qu'au sein de l'Union de la gauche victorieuse, le PS dominait le PCF. Mais le NFP n'est nullement victorieux et le système est devenu tripartite.
La provocation Lucie Castets
Aucun bloc ne peut prétendre gouverner seul. Il lui faut soit des alliés au sein de l'un des deux autres – ce que le PS d'Olivier Faure a refusé –, soit que l'un des blocs s'abstienne de voter une motion de censure présentée par un autre, ce que le RN s'apprête à faire.
Après bien des cafouillages (Huguette Bello, Laurence Tubiana, Najat Vallaud-Belkacem…), les leaders du nouveau cartel électoral des gauches, en désaccord connu sur de très nombreux sujets, allant de l'énergie nucléaire aux relations avec la Russie, finissent par se mettre d'accord sur la candidature de Lucie Castets. Une haute fonctionnaire de la mairie de Paris dépourvue de tout mandat électif, sans aucune expérience politique et inconnue du public. Une véritable provocation probablement concoctée par Mélenchon dans la certitude qu'elle serait inacceptable pour le président de la République. Or, c'est ce dernier qui, selon la Constitution, possède en propre un pouvoir de nomination du Premier ministre qu'il ne partage pas avec le Parlement. La Ve République ne connaît pas le vote d'investiture de la IVe.
Emmanuel Macron, de son côté, fait circuler deux noms. Bernard Cazeneuve et Xavier Bertrand. Deux personnalités réputées en marge de leur parti respectif, et donc créditées d'une capacité à rassembler au-delà de leur propre camp. Paradoxalement, c'est le RN qui annonce d'emblée qu'il censurera l'homme de droite et le NFP qui met son veto sur l'ancien Premier ministre socialiste. Lucie Castets ou personne, proclame le NFP à l'unisson.
La mauvaise foi de la gauche
Eh bien ce sera Michel Barnier, tranche l'Élysée. Ce gaulliste europhile est aussitôt accusé par la gauche d'être «le candidat du Rassemblement national», parti souverainiste créé par des anciens de l'OAS… Le NFP reproche en particulier à Barnier de ne pas vouloir abolir la trop timide réforme des retraites. Mais sur quelle force politique un éventuel gouvernement NFP comptait-il s'appuyer pour supprimer cette réforme ? Il n'y a que les députés du RN pour partager, avec le NFP, l'idée folle selon laquelle les Français, seuls en Europe, pourraient partir en retraite avant 64 ans. Elle était là, la véritable convergence.
Avec une mauvaise foi digne du «Donald», les leaders de la gauche accusent à présent Emmanuel Macron de n'avoir jamais vraiment voulu Cazeneuve. Mais qui a brandi la menace d'une motion de censure contre cet homme de gauche, mesuré et responsable ? En écartant cette perspective, le président de la République nous a épargné le spectacle pitoyable qu'aurait offert un François Hollande votant, à l'unisson des «frondeurs» qui lui ont pourri son quinquennat, la censure d'un gouvernement dirigé par son ancien Premier ministre.
À présent, furieuse qu'on lui ait «volé» sa victoire imaginaire, une partie du NFP prétend destituer le président de la République réélu avec 58,55 % des voix et elle manifeste dans ce but dans les rues. La prise du Capitole inspirera-t-elle les plus agités du bocal ? L'assaut de l'Assemblée nationale fera-t-il partie du programme ?
Comme Trump, relançant ses «guerres culturelles», la gauche mélenchoniste prétend tout «conflictualiser», quand la situation dramatique du pays exigerait, au contraire, un large accord national sur quelques dossiers urgents et essentiels. Ces gesticulations contribuent à discréditer la classe politique dans son ensemble. Au bénéfice d'un populisme de droite qui se garde bien d'y participer et se contente d'attendre que le fruit tombe de l’arbre.
Illustration :
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Brice Couturier. © Hannah Assouline / Opale photo
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Vidéo. - Comment la gauche française s’est «trumpisée» - Durée 01:31 - La trumpisation de la gauche française constitue l'un des phénomènes les plus navrants de la séquence que nous venons de traverser. Le 30 juin, le parti arrivé en tête était le Rassemblement national (33,22 %), qui semblait aux portes du pouvoir. C'est pour conjurer ce risque que les autres forces politiques ont décidé de mettre en place un barrage au deuxième tour.
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